"Si vous ne vous intégrez pas, personne ne le fera pour vous. C'est ça le problême avec ce pays, tout le monde se plaint, personne ne veut rien faire, personne ne veut oublier le passé."
Hier, l'Afrique du sud fêtait l'anniversaire de la libération de Nelson Mandela - le 11 février 1990. "Madiba" avait mené dans les années 90 un processus de réconciliation nationale qui a porté ses fruits. Mais des problèmes demeurent : criminalité, pauvreté, sida, tensions inter-ethniques.
Pour s'en rendre compte, on peut ouvrir un livre d'histoire. On peut aussi ouvrir un polar de Deon Meyer, un auteur aujourd'hui incontournable.
On avait fait connaissance avec l'inspecteur Benny Griessel dans Le Pic du diable. Alcoolique, au fond du gouffre. Sa femme l'avait jeté dehors. Règle tes problèmes, après on verra. Benny a bientôt purgé sa peine : six mois d'exil hors du foyer conjugal, six mois d'abstinence, à peine un accroc extra-conjugal. Ce soir il a rendez-vous avec Anna, quelle va être la sentence ?
Mais pour le moment il n'a pas le temps de s'en inquiéter. Réveillé à l'aube, deux affaires sur le dos : une jeune touriste américaine a été tuée tandis que sa copine est toujours poursuivie dans les rues du Cap par une bande de Noirs et de Blancs - étrange ; un célèbre producteur de musique afrikaans a été retrouvé assassiné chez lui.
Dans les deux cas, la pression monte - diplomatique, médiatique. Le temps presse, la journée va être longue et éreintante.
Comme si ça ne suffisait pas, Griessel doit jouer les gardes-chiourmes. Il a été chargé par sa hiérarchie de former et de superviser de jeunes enquêteurs, des produits de la discrimination positive et d'une nouvelle politique au sein d'une police par ailleurs minée par la corruption.
Les "bleus" :
La zouloue Mbali Kaleni se heurte au machisme de ses collègues, qui se moquent de ses rondeurs. Elle n'en a cure et fonce droit devant, pleine d'autorité et de détermination.
Vusi Ndabeni, un Noir plein de bonne volonté, se heurte le plus souvent à l'indifférence, à la suffisance ou au mépris.
Fransman Dekker, un métis à la rage difficilement contenue. Pas assez noir, pas assez blanc, c'est selon.
A travers ces personnages, Deon Meyer donne à voir les tensions ethniques qui parasitent toute la société sud-africaine. Entre zoulous, xhosas, afrikaners, métis... Chacun restant sur son quant-à-soi, englué dans ses préjugés, ses ressentiments, ses incompréhensions et parfois son auto-apitoiement.
Malgré tout, il se montre plutôt optimiste pour l'avenir : les couleurs de l'arc-en-ciel bavent un peu, mais ces hommes et ces femmes, malgré leurs différences et leur défiance mutuelle, parviendront finalement à travailler et à résoudre les problèmes ensemble.
Si chacun des personnages incarne un pan de la société et agit comme révélateur, l'auteur ne s'en sert pas seulement pour servir son propos, mais leur confère une vraie personnalité (comme d'habitude, ai-je envie de dire), à commencer par Benny Griessel, un rescapé (d'un système, d'une bouteille, d'un naufrage conjugal) et un homme de bonne volonté, avec ses faiblesses, ses failles et ses espoirs.
Voilà pour le fond.
Sur la forme, rien de bien nouveau mais une méthode bien rôdée : des histoires qui s'entremêlent savamment et une intrigue millimétrée. Du bon boulot, rondement mené.
Un glissement, cela dit : la chronique sociale est toujours présente, mais il me semble que Deon Meyer s'attèle davantage au suspense, raccourcit ses chapitres, accélère encore le rythme.
Est-ce pour cela que 13 heures me semble un cran au-dessous des précédents ? Sûrement, mais de toute façon on se laisse embarquer une fois de plus, et le plaisir est intact.
13 heures / Deon Meyer (13 UUR, trad. de l'anglais (Afrique du Sud) par Estelle Roudet. Seuil Policiers, 2010)