On en apprend tous les jours. Je connaissais de nom les éditions L'Atinoir (auparavant une collection chez L'Ecailler), mais n'avais pas encore lu les romans de cette nouvelle maison d'édition spécialisée dans le polar latino-américain ("latine noire") et dont le conseiller éditorial est un certain... Paco Ignacio Taibo II. C'est chose faite avec ce Boléro noir du cubain Lorenzo Lunar - je remercie au passage JM Laherrère et Sébastien Rutès (un des auteurs de la maison dont je parlerai bientôt) qui m'en ont donné l'occasion.
Nous ne sommes ni à Santiago de Cuba ni à La Havane, mais à Santa Clara, un quartier populaire en périphérie d'une ville de province. Là vivent prostituées, petits délinquants, voleurs, et Léo Martín, chef du bureau de police local. Et comme il dit :
"Le quartier est un monstre, comme dit mon pote el Puchy.
Le quartier, il te réduit en purée, il te bringueballe, t'éduque, te pousse, te traîne, te relève, te jette à pierre et te piétine.
Il fait de toi un homme ou un débris. (...)
Mais ce monstre, tu l'aimes et t'as aucune intention de le quitter. Parce que tu t'es habitué à lui, parce que t'as besoin de son désordre pour vivre."
Là, un crime a été commis. Tout le monde aimait le vieux Cundo pourtant, et surtout Léo, qui s'est promis d'arrêter le salaud qui a fait ça. Pas facile, pourtant : s'il possède les codes du quartier et partage ses souvenirs d'enfance avec ses habitants, ceux-là ne se confient pas facilement, qui plus est à un flic.
L'unité de lieu (le périmètre restreint du barrio) et de temps (une journée) rappelle le roman d'énigme à l'anglaise. Et comme dans ce dernier, on passe en revue tous les suspects potentiels, les mobiles, les alibis, avant de trouver le coupable.
Mais nous sommes surtout, et d'abord, dans un roman noir et social : c'est la vie de ce quartier et de ses habitants, contraints pour survivre à la contrebande et aux petits trafics, que nous voyons se dessiner au fil des pérégrinations et des rencontres de Léo Martín.
Si Lunar montre une certaine empathie, voire de la tendresse vis-à-vis de ses personnages, il bannit tout sentimentalisme. En à peine une centaine de pages particulièrement cinglantes et éloquentes, il donne simplement à voir une réalité quotidienne. Sans emphase ni effets dramatiques, mais avec un sens aigu de l'observation et des mots affûtés et précis.
Boléro noir constitue la première chronique d'une trilogie. Je sais déjà que je retournerai à Santa Clara.
Boléro noir à Santa Clara / Lorenzo Lunar (Que en vez del infiernoencuentres gloria, trad. de l'espagnol (Cuba) par Morgane Le Roy. L'Atinoir, 2009)
PS : à noter la pertinente préface qui restitue le roman dans le contexte socio-historique cubain et revient aussi sur la riche tradition de l'ile en matière de roman noir (Padura, Chavarria et bien d'autres...).