"Arizona Bill n'avait plus remis les pieds à Paris depuis l'affaire du parlementaire jeté dans une auge à cochons. Un soir, il entra au crépuscule par la porte de Versailles, conduisant deux mille têtes de bétail. C'étaient de superbes normandes, qu'il avait accepté de convoyer depuis les plaines de l'Ouest vers le ranch du nouveau propriétaire du troupeau, du côté de la gare Montparnasse."
Enfant, vous avez joué aux cow-boy et aux indiens, non ?
William Larue, lui, continue. Un grand enfant passionné de western, collectionnant tout un tas d'objets, incollable sur toute la panoplie cinématographique et la tête encore pleine d'exploits du vieil Ouest.
Tout va plutôt bien pour cet acteur de seconde zone, entretenu par sa femme, et il a même décroché le rôle principal dans un film, un western à l'ancienne, made in France.
C'est là que les ennuis arrivent : sa femme le jette dehors, lassée par ses enfantillages et ses infidélités ; du jour au lendemain il se retrouve à la rue et sans le sou, se réfugiant dans un hotel de passe, dormant sous les ponts de Paris parmi les SDF, en "plein territoire comanche", ou dans un squat avec des sans-papiers.
Se mêlant aux parias de la société, tous les sans-grade, parqués, oppressés, méprisés. Pour les indiens d'aujourd'hui, la loi (de l'ouest) peut être impitoyable.
Il est temps alors pour William alias Arizona Bill de sonner la charge, et de retrouver l'esprit chevaleresque de ses héros - les James Coburn, Gary Cooper, Henry Fonda... - pour vaincre ses ennemis. Encerclé par la cavalerie, le squat prend le nom de Fort Apache, sus aux coyotes et aux foies jaunes !
C'est la conquête de l'Ouest version citoyenne, le mythe de la Frontière version intra-muros.
La métaphore de Rutés est bluffante à certains moments. Ce qu'il a réussi à faire en partant du western, un genre bien moins codifié qu'on ne le pense, est assez ingénieux. Comme quoi une imagination débordante doublée d'une bonne dose de fantaisie peut être le meilleur moyen de montrer et de dénoncer une réalité peu reluisante.
Car s'il semble bien s'amuser à nous raconter cette histoire, l'auteur ne se prive pas pour autant de ruer dans les brancards et d'égratigner au passage le pouvoir actuellement en place - on croise un ministre de l'intérieur aux dents longues, suivez mon regard -, le règne de la communication, de l'information-spectacle. Et de nous livrer aussi une réflexion clairvoyante sur cette rhétorique et ce ressort de la peur dont se servent allègrement certains politiciens pour manipuler l'opinion publique ou détourner son attention.
Le tir est d'autant plus précis que Rutés n'a pas confondu fiction et tract politique. Il s'agit avant tout d'un roman, et d'un bon ! L'un des plus originaux que j'ai lus ces dernières années. Un vrai régal, et que vous appréciez le western ou non, ce serait vraiment dommage de s'en priver.
Comme tout western qui se respecte, La loi de l'Ouest s'achève sur un duel, bien-sûr, mais je ne vous en dis pas plus, pour ne pas gâcher le plaisir. Sachez juste que la Grand Rue est remplacée par les travées du Festival de Cannes et que vous serez entouré d'une belle bande de bagarreurs ! Quant au fameux duel, il a disons des vertus... cathartiques.
Allez, faites-moi confiance, ou à Jean-Hugues Oppel alors, qui signe la préface du présent ouvrage, ou encore à Jean-Marc Laherrère, qui ne me contredira sûrement pas.
La loi de l'Ouest / Sébastien Rutés (L'Atinoir, 2009)