Antonin Varenne a déjà écrit deux romans, mais c'est avec Fakirs qu'il commence à faire parler de lui, si on en croit les nombreux - et élogieux - articles de presse. Désormais publié chez Viviane Hamy, il signe un polar subtilement décalé et, ma foi, franchement réussi.
D'un côté, deux flics qui enquêtent sur une vague de suicides spectaculaires. De l'autre, un américain à Paris venu identifier le corps d'un vieil ami, et qui se retrouve au coeur d'une machination.
Deux intrigues parrallèles qui finissent par se rejoindre. La trame classique.
Le reste l'est beaucoup moins, à commencer par les personnages : le lieutenant Guérin, placardisé à la section suicides du Quai des orfèvres, sa silhouette frêle toujours recouverte d'un douteux pardessus jaune, est sujet à de violentes crises d'automutilation. Il est aussi flanqué d'un perroquet neurasthénique - qui s'arrache les plumes comme Guérin le cuir chevelu - et d'un adjoint, Lambert, grand échalas un brin naïf toujours vêtu d'un survêtement.
Alan Mustgrave, un fakir qui fait fureur dans les cabarets du Paris underground, est aussi un ancien membre des forces spéciales américaines en Irak, spécialisé dans les interrogatoires (ou torture, dans le langage courant...).
John, son ami et compatriote, est un ermite qui a planté son tipi au bord d'une rivière lotoise - autrement dit en pleine cambrousse - et s'entraîne au tir à l'arc dans la forêt avoisinante.
Il finira par se réfugier chez le dénommé Bunker (clin d'oeil à l'écrivain du même nom), un ancien taulard du genre taiseux, et son chien répondant au nom de... Mesrine !
Quand la police lui apprend qu'Alan vient de mourir sur scène après s'être vidé de son sang, John pense immédiatement à un suicide, d'autant que son ami était un vrai... écorché vif, pour le coup. Mais une fois sur place, et après avoir croisé un diplomate américain à l'attitude suspecte et les poings de quelques types, il va avoir tendance à réviser son jugement. Complot politique ou banale affaire de drogue ? Sa route croisera bientôt celle du lieutenant Guérin.
On est rapidement pris par cette histoire, d'autant plus qu'on ne sait pas du tout où l'auteur va nous emmener. Et on se laisse agréablement balader dans les méandres d'une intrigue assez riche et dans celles plus retorses encore de l'esprit humain.
Perversion, sado-masochisme, troubles obsessionnels... Varenne nous donne à voir quelques spécimens humains assez singuliers, mais plutôt que d'explorer de façon plus ou moins racoleuse les thèmes de la déviance ou du voyeurisme, il fait un pas de côté et adopte un point de vue différent pour nous parler du Corps, comme révélateur de la personnalité et comme dernier territoire à explorer, à dompter. Ou à détruire.
Récit à la fois très sombre et un brin fantaisiste, peuplé de personnages insolites et attachants, Fakirs dégage une atmosphère trouble et singulière, parfois envoûtante. De quoi séduire de nombreux lecteurs, notamment ceux qui aiment à s'éloigner un peu des balises habituelles (sociales, policières...) du polar.
Fakirs / Antonin Varenne (Viviane Hamy, 2009)