Après l'étonnant Retour à la nuit, les éditions Ecorce publient le non moins singulier Bois, premier roman du dénommé Fred Gevart. L'année commence bien.
Voilà l'histoire, sombre et tortueuse, de Sylvain Michalski, auteur à succès de romans sous pseudonyme, père de deux fillettes, époux de Marlène, avec laquelle il n'évoque jamais "l'accident" survenu douze ans plus tôt.
Douze ans plus tôt, victime d'une prise d'otage, il est resté enfermé quatre jours durant dans une galerie d'une mine désaffectée, près de Limoges. Le GIGN a donné l'assaut. Tirs, explosion, blessures, trois ans de coma. Au réveil, amnésie totale. Aucun souvenir, sinon la mémoire du corps : la soif. L'impérieux besoin d'alcool.
Michalski est un condamné à mort : il vient d'apprendre qu'il est atteint un cancer. Verdict : deux mois. L'alcoolique abstinent replonge. Des bribes de souvenirs remontent. Gueules de bois et cauchemar, toujours le même - La lumière au bout du tunnel. L'exctinction. Puis la voiture pleine à craquer, la villa vide. La route. Le carambolage et les débris. Les bâtiments au loin.
Jusqu'à ce qu'il tombe, après une gueule de bois carabinée, sur un drôle de manuscrit : le récit (apocryphe ?) de son enlèvement par le couple LLoebe-Pelletier (sic) et des jours qui ont suivi. Point de bascule dans la folie et l'irrationnel.
Cut-up
En remodelant son texte, l'auteur s'ingénie à brouiller les pistes, coupant, déplaçant, permutant des phrases, des paragraphes, des chapitres entiers même. Il superpose ainsi plusieurs couches narratives, plusieurs voix (signalées par le changement de la police de caractère), jouant sans cesse entre la réalité et l'illusion, le présent et le passé, l'hypothétique et le tangible.
Cette déconstruction du récit a pour effet d'abolir les repères de temps et de lieu, d'insinuer le trouble et l'incertitude. Médusé, on voit les mêmes scènes se répéter, dans les mêmes décors mais avec d'autres personnages et dans une temporalité différente (comme cette chambre d'hôtel plusieurs fois visitée, et toujours le bruit de l'eau qui coule, derrière la porte de la salle de bains...). On est plongé, piégé, dans un univers insaisissable et ambigu.
Un univers qui rappelle immanquablement David Lynch, ainsi que Mémento de Christopher Nolan ou encore Garden of love de Marcus Malte, pour l'aspect onirique.
Qu'est-il véritablement arrivé à Michalski ? Ses souvenirs sont-ils réels ou fantasmés ? Jusqu'à quel point l'alcool et la maladie altèrent-ils son discernement ? Les événements qui nous sont racontés ont-t-il seulement eu lieu ?
La fin du roman n'apporte pas toutes les réponses, et laisse libre court aux interprétations (à moins que mes neurones n'aient pas fait toutes les connexions !). Des zones d'ombre subsistent, sur lesquelles j'aurais aimé, pour ma part, que l'auteur fasse davantage la lumière.
Par son ambiance et sa construction, ce roman risque d'en dérouter plus d'un. Sombre, troublant, labyrinthique jusqu'au tournis, Bois n'appartient pas à cette catégorie de livres pré-mâchés et vite digérés. On ne va pas s'en plaindre.
Bois / Fred Gevart (Ecorce, 2010)