Récit allégorique d'une société islandaise déshumanisée érigeant les banquiers ou les artistes décadents en nouveaux prophètes, transformant tout - et en premier lieu le corps féminin - en bien de consommation courante, Installation est un roman pour le moins atypique.
Eva Einarsdottir, récemment rentrée en Islande à la suite d'une déception amoureuse, se fait prêter un appartement par une vague connaissance new-yorkaise. L'appartement, situé en haut d'une tour, est immense, luxueux et doté d'un système de surveillance high-tech. Dans la chambre, un mystérieux masque est creusé dans l'un des murs. Dans l'immeuble, des voisins bizarres ou envahissants.
L'endroit la met tout de suite mal à l'aise. Froid, impersonnel, oppressant - "...mobilier noir, gris et blanc, en cuir, verre, métal, les surfaces lisses et brillantes - comme s'il avait été donné depuis le début que la taille de l'appartement excluait qu'il fut possible de le rendre humain." Impression diffuse mais tenace de jouer le personnage principal d'un film d'horreur, "un personnage de plus en plus confus et effrayé devant des circonstances qu'elle ne comprenait pas".
Le danger se précise subitement : l'ascenseur ne répond plus, impossible de sortir. le téléphone sonne. Sois sage, obéis aux ordres ou tu seras punie. Ils la séquestrent, ils la surveillent, ils jouent avec elle. Jusqu'où ?
Au-delà de la mécanique du huis-clos et du suspense attenant, c'est l'aliénation d'une société qui est mise en perspective ici (de façon quasi-métaphysique, symbolique en tout cas - le "masque" en est le meilleur exemple ), à travers le personnage d'Eva, retenue prisonnière dans l'appartement comme à l'intérieur d'elle-même, les murs matérialisant au final sa propre solitude ("Einar" signifie "seul" en islandais), sa dépendance amoureuse, son immobilisme, ses vélléités artistiques (ironiquement, elle est victime d'un happening pervers), bref la somme de ses angoisses et de ses échecs.
Ça commençe comme du Hitchcock, ça finit comme du David Lynch...
Tout au long de la première partie, la tension monte graduellement et s'accumule, inspirant au lecteur ce même "sentiment de claustration" qui étreint la jeune femme. A partir du moment où le piège se referme sur elle, que les événements s'accélèrent et que la violence se déchaîne, le roman prend des accents oniriques, devient de plus en plus abstrait - et même abscons -, jusqu'au dénouement un brin fantasmagorique qui m'a laissé perplexe, pour ma part. Avis aux amateurs, mais la transition est pour le moins déroutante.
Moins déroutante toutefois que les tournures grammaticales suspectes qui égrènent le texte (la faute à la traduction ? Des accords de temps douteux me le laissent penser, mais je peux me tromper), ou une prose parfois empesée (surtout dans la seconde partie) qui se marie mal avec l'atmosphère éthérée du récit.
Captivé - par sa façon de superposer différents niveaux de lecture, de manier les symboles, par l'écho qu'il renvoie suite à la crise financière qu'a connu l'Islande -, agaçé par la syntaxe approximative, déconcerté par le changement de registre... Ce premier roman (traduit en France) de Steinar Bragi me laisse des sentiments contradictoires. Trop ésotérique pour moi, mais là c'est affaire de goût.
Une chose est sûre : il se situe se situe loin, très loin des polars plus ou moins stéréotypés que charrie la vague nordique.
Installation / Steinar Bragi (Konur, 2008, trad. de l'islandais par Henry Kiljan Albansson, Métailié, Noir, 2011)