Retour de "l'inspecteur Harry" de Jo Nesbo, avec Le Léopard, huitième opus de la série. 750 pages, environ un kilo : on tient du lourd, au propre comme au figuré.
Depuis l'affaire du Bonhomme de neige, Harry Hole s'est terré à Hong Kong où il vaque comme un mort-vivant, entre paradis artificiels, champs de courses et débiteurs aux trousses.
C'est là que vient le dénicher l'inspectrice de la brigade criminelle d'Oslo, Kaja Solness, afin de le ramener en Norvège où un tueur en série est en train de ridiculiser la brigade criminelle.
Comme si ça ne suffisait pas, le chef de la Kripos - une force de police parrallèle, aussi ambitieux que fin politicien, est prêt à tout pour s'accaparer l'enquête et se couvrir de gloire.
Délaissant cette fois l'arrière-plan sociétal (les crispations de la société australienne dans L'homme chauve-souris ou le passé douloureux de la Norvège pendant la guerre dans Rouge-gorge, par exemple), Nesbo semble vouloir se concentrer sur les personnages, sondant, creusant en eux avec une détermination proche de l'obsession, à commencer par Harry, dont il fouille davantage encore l'intimité, et notamment la relation avec son père.
Hole, sur lequel repose en grande partie le succès de la série. Ecorché vif, franc-tireur, handicapé affectif au caractère de cochon, à la fois impulsif et réfléchi, impavide et émotif, protecteur et vulnérable, sentimental et dur, autodestructeur et indestructible : Harry a... tout pour plaire, d'autant plus qu'il est très loin d'être aussi mauvais qu'il le dit lui-même. C' est un vrai dur et faux méchant, un type au fond du trou ("Hole") doublé d'un superhéros-malgré-lui, bref le genre de personnage entier, contradictoire - et néanmoins archétypal - qu'on adore adorer. Un stéréotype...
... parmi d'autres.
Un personnage de flic déglingué et alcoolique qu'on supplie de rempiler, un psychopathe machiavélique, une guerre des polices, une fliquette qui tombe dans les bras de son collègue... Le Léopard est une mine de clichés. Regrettable ? Pas du tout. Pourquoi ? Parce qu'ils sont surjoués, assumés, revisités ? Je ne sais pas exactement, mais toujours est-il qu'avec Nesbo on y adhère volontiers, alors qu'on les déplore chez tant d'autres. Ce qui confirme d'ailleurs que les clichés sont une matière inhérente à la fiction policière, et que tout dépend finalement du talent de l'auteur.
Le norvégien, lui, en a beaucoup, et il a dû aussi beaucoup travailler, à en juger par sa maîtrise impressionnante des techniques narratives (elles-mêmes rebattues, si on y réfléchit). Cliffhanger, montage alterné, multifocalisation, analepses... Une large palette et un auteur qui perfectionne son savoir-faire, ne dévoilant ni trop ni trop peu, glissant ça et là quelques indices en apparence insignifiants qui se révèlent finalement primordiaux, multipliant fausse-pistes et faux-semblants, jouant avec son lecteur, le baladant de faux coupables en fausses victimes, d'Oslo à Hong Kong en passant par le Congo.
Mais il serait faux de croire que ses romans reposent sur une simple mécanique, aussi souple soit-elle. On y trouve ce supplément d'âme, niché dans les personnages ou dans l'écriture, ce petit truc indéfinissable qui fait qu'on est à la fois pressé de tourner les pages et désireux de s'y attarder de temps en temps, pour apprécier telle description ou tel dialogue.
De la même façon, décortiquer un tant soit peu Le Léopard, très intéressant sur le plan de la technique et du recours aux clichés, n'occulte en rien le simple plaisir de la lecture, le plaisir simple d'être tenu en haleine et par le bout du nez, sur plus de 700 pages tout de même, et sans répit aucun.
Tiens, pour la peine, je vais utiliser un poncif : un thriller mené de main de maître...
Le Léopard / Jo Nesbo (Panserhjerte, 2009, trad. du norvégien par Alex Fouillet. Gallimard, Série Noire, 2011)
Comment ne pas dire un mot sur la nouvelle maquette de la Série Noire ? Qui modifie en profondeur sa charte graphique et abandonne même - c'est une petite révolution - le jaune et le noir, soient les deux couleurs historiques de la collection.
Peut-être auront-ils davantage de latitude dans l'élaboration et le choix de leurs couvertures. Mais cette plus grande liberté esthétique garantit-elle plus de créativité ? Et, surtout, la collection gardera-t-elle une cohérence, une identité visuelle ? Rien n'est moins sûr.
Après, vous allez me dire, les goûts et les couleurs... Personnellement, hormis la couverture du dernier Marcus Malte, où on trouvait une certaine recherche graphique, je trouve les autres au mieux quelconques, au pire laides. Et vous ?