"Le défi lancé au lecteur.
Peut-être est-il un peu tard. J'espère évidemment que les lecteurs feront preuve de fair-play, mais je souhaite tellement qu'au moins un d'entre vous réussira à résoudre cette énigme que je ne peux m'empêcher de vous encourager avec ces quelques mots : il va sans dire que vous êtes désormais en possession de tous les éléments nécessaires. N'oubliez pas que la clé de l'énigme est limpide et qu'elle se trouve juste sous votre nez." (Shimada Sôji, p.282)
Sous votre nez, sous votre nez... Facile à dire quand on a écrit la fin ! Bon, est-ce que j'aurais fini par trouver "la clé de l'énigme"? J'en doute, mais de doute façon je ne me suis pas apesanti, trop pressé de découvrir le fin mot de l'histoire.
En 1936, les corps de six jeunes femmes ont été retrouvés mutilés aux quatre coins du Japon, enterrés à différentes profondeurs. C'est leur père, le peintre Heikichi Umezawa, qui avait consigné dans un journal son macabre projet : prélever un "tronçon" sur chacune de ses filles afin de créer la déesse "Azoth", selon un rituel ayant trait aux signes du zodiaque.
Problème : Heikichi a lui-même été assassiné avant le massacre de ses filles, qui plus est dans une pièce fermée de l'intérieur.
L'affaire, très célèbre, n'a jamais été résolue et donne lieu, depuis quarante ans, à nombre d'interprétations, plus farfelues les unes que les autres.
Jusqu'au jour où, à la faveur d'un témoignage écrit remis entre leurs mains, le détective amateur Kiyoshi Mitarai, assisté de son fidèle (et unique) ami Kazumi Ishioka, décide de s'y intéresser. La considérant comme un simple mais néammoins stimulant défi intellectuel, il fait même le pari d'élucider les crimes en une semaine. Alors que la police et le Japon tout entier échouent depuis tout ce temps ! Ne présume-il pas de ses formidables capacités d'analyse ?
Voilà un duo qui rappelle évidemment celui d'Holmes/Watson. Sherlock Holmes ? "Cet anglais inculte et menteur, ce charmant cocaïnomane...?".
De la même façon, Tokyo Zodiac Murders descend d'une longue lignée de romans d'énigme, une tradition d'ailleurs fortement ancrée au Japon.
Et sans faire injure à John Dickson Carr ou Ellery Queen, il est d'ailleurs agréable de troquer les manoirs anglais pour le Japon de l'ère Shõwa, d'autant plus que l'auteur en profite pour évoquer (voire railler), au détour d'une phrase, l'évolution des moeurs et du mode de vie des japonais entre les années 30 et 70.
On découvre pour la première fois en France Soji Shimada, avec la traduction - d'après une nouvelle version - de Tokyo Zodiac Murders ; son premier roman, paru au Japon il y a une trentaine d'années déjà, et qui fait figure de classique.
Depuis, ce très prolifique auteur - né en 1948 et lauréat du Prix Edogawa Ranpo - a écrit plusieurs dizaines de romans policiers, dont une quinzaine mettent en scène le brillant et déconcertant Mitarai.
S'il a réécrit son roman afin de gommer quelques maladresses, Shimada en a omis quelques unes à mon sens (je pense à quelques répétitions et longueurs, bénignes somme toute) et se montre parfois confus dans sa démonstration finale (prévoyez 2 aspirines page 328...). Mais il a surtout élaboré une intrigue particulièrement ingénieuse et qui conjugue les trois questions inhérentes au genre policier : Qui ? Comment ? Pourquoi ?
Et puis, le voisinage entre les thèmes classiques (la chambre close) et contemporains (la figure du tueur en série) donne à son roman un charme étrange.
C'est pourquoi on passe volontiers sur les inévitables invraisemblances du récit, puisque seul compte finalement le plaisir du mystère... Saurez-vous le déchiffrer ? Et "n'oubliez pas que la clé de l'énigme est limpide et qu'elle se trouve juste sous votre nez."
Tokyo Zodiac Murders / Soji Shimada (Senseijutsu Satsujinjiken, 1981, trad. du japonais par Daniel Hadida ; préf. et entretien avec l'auteur de Roland Lacourbe. Rivages/Thriller, 2010)