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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 10:46

Auteur d'une demi-douzaine de romans d'espionnage, Leif Davidsen délaisse cette fois les équilibres Est/Ouest pour nous emmener à Cuba, en compagnie de John Petersen, ressortissant danois sans histoires qui va bientôt jouer les... apprentis-espions.

 

A-la-recherche-d-Hemingway HDPour donner un peu de relief à une existence monotone et surmonter la mort de sa femme, ce tranquille professeur d'espagnol a décidé de prendre un congé et de partir à la recherche d'Hemingway, son écrivain favori.

 

Son périple commence à Key West, en Floride, où il fait la connaissance de Carlos Gutierrez, un vieil exilé cubain auquel il se lie d'amitié. Puis se poursuit à Cuba, où John, suite à sa promesse faite à Carlos, doit remettre une lettre à sa fille, qui plusieurs années auparavant a rejeté sa famille et épousé la cause castriste ainsi qu'un haut-fonctionnaire cubain.

 

Entre deux flâneries dans les rues de La Havane, John prend quelques contacts afin de s'acquitter de sa mission. Evidemment, tout se détraque, et notre touriste danois va se retrouver au centre d'une gigantesque affaire. Lui qui était en manque de sensations va être copieusement servi !

 

 Leif Davidsen déroule lentement son intrigue, qui prend parfois des directions inattendues (avec un "Papa" Hemingway partie prenante, mais je ne vous en dis pas plus...) et qu'on suit volontiers.

 

Mais comme souvent avec le polar, c'est surtout l'arrière-plan qui retient l'attention. L'auteur va bien au-delà des clichés pour dépeindre une réalité cubaine contrastée, et d'autant plus intéressante qu'elle est vue à travers le regard d'un homme issu d'une culture foncièrement différente.

 

S'il saisit très bien la beauté, la sensualité, la vitalité de Cuba, la générosité et la joie de vivre de ses habitants, il dresse aussi un sévère constat sur un pays moribond.

Les mirages de la Révolution se sont évanouis, les lendemains sont incertains et le présent difficile. Le Barbu est dans un sale état et son régime corrompu à bout de souffle, mais toujours omniprésent dans la vie quotidienne de cubains partagés entre espoir et résignation, contraints pour certains à la prostitution ou à l'exil, beaucoup risquant leur vie sur des radeaux de fortune pour rejoindre les côtes américaines.

Voilà un pays où l'usage d'internet est réservé aux touristes et aux hauts fonctionnaires, ou une simple clé USB est considérée comme un objet de contrebande, ou des professeurs se reconvertissent en taxis pour mieux gagner leur vie, ou, suprême paradoxe, il est interdit de posséder un bateau...

 

Mais tout ceci aurait un aspect un peu froid et démonstratif s'il n'y avait pas des personnages pour donner vie à cette réalité et, là encore, Davidsen vise juste.

En particulier avec le personnage de John, la calvitie naissance et des interrogations existentielles plein la tête, des épreuves à traverser et des réponses à trouver. Autrement dit un type comme tant d'autres, avec des problèmes et des doutes que chacun d'entre nous partage, à un moment ou à un autre.

 

 

Hormis quelques redites (les cubains gardent les mains sèches malgré la chaleur moite, on le saura...), j'ai donc pris beaucoup de plaisir à suivre ces pérégrinations cubaines.

Une intrigue qui tient la route, un rythme entraînant malgré quelques longueurs, une réflexion intéressante et des personnages bien campés : tout y est. Et même, ce qui ne gâche rien, ça donne envie de ressortir quelques histoires d'Hemingway...

 

 

A la recherche d'Hemingway / Leif Davidsen (På udkig efter Hemingway, 2008, trad. du danois par Monique Christiansen. Gaïa, 2010)

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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 00:00
Gérard Meudal (traducteur et critique littéraire) signe dans Le Monde (Le Monde des livres spécial Salon du Livre) un court et pertinent article intitulé "les frontières pulvérisées du polar". Ou comment le polar a "contaminé ou, devrait-on dire, enrichi la fiction romanesque dans son ensemble".


Feuilleton...
Sur le site Noir comme polar,
Sébastien Gendron revisite les années 80 à travers les truculentes aventures du DJ Psy King (!), un disquaire parisien détective à ses heures.
Les 2 premiers épisodes sont en ligne, ici et .


Pour les amateurs du genre, l'émission Mauvais genres était consacrée, il y a quelques semaines, au roman policier historique. On peut encore l'écouter en podcast.


Des nombreux festivals polar de France et de Navarre, c'est sûrement le plus important, le plus riche : le festival Quais du polar à Lyon aura lieu du 9 au 11 avril.
Toutes les infos sont sur le
site.

Quais du polar

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25 mars 2010 4 25 /03 /mars /2010 00:00

"J'imagine que Mississipi Blues est mon petit coup de canif dans la légende - les contes à dormir debout et la genêse des mythes. C'est une chanson, à sa manière. Un chant de labeur. Une plainte des marais. La musique brute du Delta, l'écho assourdi du fer-blanc. Une balade dans les passages rocailleux du temps, là où la route est sombre et qu'on jurerait avoir entendu son nom dans le mugissement du vent." (Nathan Singer, épilogue)


Après Prière pour Dawn, Nathan Singer signe un second roman tout aussi décalé. Mais si j'avais quelques réserves quant au premier, je suis cette fois pleinement convaincu. De quoi s'agit-il ici ? De blues et de... voyage dans le temps !


Mississipi Blues"Je m'appelle Eli Cooper. J'ai vingt-sept ans. Je suis un "néo post-impressionniste" à ce qu'il paraît. Si Edward Munch et Jackson Pollock avaient un enfant et ainsi de suite. Bref, je suis - j'étais - la coqueluche du Village, à New York."
Nous sommes en 2001. Un soir, Eli apprend la mort accidentelle de sa femme. Fou de douleur, il s'enfuit dans les rues, court, hurle, et s'évanouit. Avant de se réveiller au Mississipi en... 1938. Il ne le sait pas encore, mais il vient d'emprunter l'un des nombreux "couloirs du temps".

Complètement désorienté, Eli se familiarise peu à peu avec son nouvel environnement et avec quelques-uns des habitants. Il trouve une place à la pension de Mme Durning et la journée, travaille avec d'autres ouvriers dans les champs de coton.

Durant son "séjour", il va faire la connaissance d'Ella, une jeune servante noire qui ressemble trait pour trait à la femme qu'il vient de perdre, et du légendaire bluesman Howlin Wolf. Lui aussi a déjà voyagé dans le temps, et il met en garde Eli contre "Eux" : des êtres maléfiques et sournois qui forment la police du temps et poursuivent sans relâche les voyageurs "égarés". 



Avec très peu de détails, l'auteur fait revivre le Sud ségrégationniste. On sent la poussière, la chaleur, la sueur après le labeur dans les champs. La vie est dure, encore plus pour les Noirs, brimés, asservis, quand ils ne sont pas pourchassés et lynchés, se balancant comme d'étranges fruits aux branches d'un arbre. Bientôt la révolte gronde, et les bagarres de 1938 font échos aux émeutes du quartier de Watts, à Los Angeles en 1965...

Bien-sûr, ce roman est aussi un hymne au blues du Delta, le blues originel, profond, archaïque, râpeux, celui des Robert Johnson, Big Mama Thornton, Skip James, Memphis Minnie, Son House..., autant de grandes figures que Nathan Singer convoque pour le plus grand plaisir des amateurs de "musique du diable".


Sur le plan formel, on retrouve quelques similitudes avec Prière pour Dawn, notamment la structure éclatée du récit et une histoire racontée à plusieurs voix, ici à partir des journaux intimes des différents protagonistes - Eli, Ella et l'énigmatique Jerôme Kinnae, qui sillonne le Temps et vend ses services à d'autres "voyageurs".
Mais alors que Prière pour Dawn avait tendance à s'éparpiller et à abuser d'effets stylistiques, Mississipi Blues garde une unité ainsi qu'une relative sobriété.

Il est juste dommage que le dénouement soit un peu rapide, pas assez "appuyé" - l'épilogue n'en est pas vraiment un d'ailleurs, plutôt une postface de l'auteur racontant la genêse du roman.
Hormis cette petite réserve, ce Mississipi Blues joliment scandé ne m'a pas lâché. Un petit bijou et un texte aussi iconoclaste qu'enchanteur, où le fantastique flirte savamment avec le polar.


Mississipi Blues / Nathan Singer (Chasing the wolf, 2006, trad. de l'américain par Laure Manceau. Moisson Rouge, 2010)



PS : "A l'occasion de la sortie de Mississippi Blues de Nathan Singer, les Éditions Moisson rouge accompagnées d'acteurs amateurs organisent une brève manifestation théâtrale et littéraire au salon du livre de Paris. Plusieurs saynètes tirées de l'ouvrage seront jouées le Dimanche 28 mars après-midi dans les allées du salon."
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23 mars 2010 2 23 /03 /mars /2010 10:45
Entre les gadgets jamesbondiens, les parodies à la OSS 117 et les délires patriotiques d'un Tom Clancy ou d'un Jack Higgins, il existe un autre roman d'espionnage, celui des John Le Carré, Alan Furst, Henry Porter ou du grand Graham Greene, entre autres... Un pré carré britannique, riche et fertile, que vient fouler l'écossais Charles Cumming, dont le second roman vient de paraître en France sous le titres Traîtrises.


CummingJuin 1997. Hong Kong vit ses dernières semaines comme territoire britannique, avant sa rétrocession à la Chine - "période étrange et chaotique, mélange d'excitation, de regret et d'incertitude quant à l'avenir de la colonie". En coulisses, les puissances occidentales, Royaume-Uni et Etats-unis en tête, placent leurs pions, missionnent leurs espions.

Parmi eux : Joe Lennox, un jeune et brillant agent des services secrets britanniques, et Miles Coolidge, employé par la CIA. 
Joe est issu de la bonne société, possède quelques solides principes et sait se montrer circonspect.
Miles, lui, c'est "le Yankee de vos rêves et de vos cauchemars (...), capable de subtilité et de perspicacité, mais aussi de grossièreté et de stupidité, (...) à la fois un ami et un ennemi, un atout et un problème. Bref, un américain."

Entre eux : Isabelle, la fiancée de Joe, et un transfuge chinois, qui vient rendre compte aux autorités britanniques de la répression chinoise contre les ouïghours - des musulmans vivant dans la province du Xinjiang, au nord ouest du pays. D'abord interrogé par Lennox, il est ensuite récupéré par les américains. Joe va bientôt se rendre compte qu'il a été doublé. Doublement. 
Sept ans plus tard, le voilà à nouveau en Chine, chargé de mettre à jour un complot visant à destabiliser le régime chinois. Une mission qui pourrait lui permettre de prendre sa revanche, et d'exorcicer le passé, une bonne fois pour toutes.



Agents infiltrés, sous couverture, en filature, de renseignement, de liaison. Manipulations, faux-semblants, suspicions. On retrouve toute la panoplie du roman d'espionnage, mais Traîtrises est loin de se limiter à un bon roman d'action.

Si l'auteur nous fait rentrer dans le monde feutré des espions, il nous donne aussi un aperçu saisissant de la vie en Chine.
C'est d'abord une invitation au voyage, les foules, l'effervescence, la moiteur, le bruit...
C'est ensuite, et surtout, la cohabitation de deux systèmes en un seul et même pays : d'un côté un régime communiste autoritaire, de l'autre un capitalisme débridé, terreau du "miracle économique chinois". Un miracle dont n'a pas été témoin le chinois moyen...

Un tableau en clair-obscur qui représente aussi certains motifs comme l'impérialisme occidental et les questions d'ingérence étrangère, la rapacité des multinationales, la fabrication du terrorisme, les stratégies géopolitiques, les intérêts ponctuellement convergents d'idéologies divergentes, et de manière générale les faits et les méfaits de la
Realpolitik.
Ainsi va le monde, et l'enfer est pavé de bonnes intentions.


Charles Cumming signe ici un excellent roman, bien construit, bien écrit - une prose sobre sans être plate. Dénué de tout manichéisme, il rend très bien compte de l'instabilité et de la complexité du monde contemporain.

En un mot : passionnant.


Traîtrises / Charles Cumming (Typhoon, 2008, trad. de l'anglais par Johan-Frédérik Hel Guedj. Ed. du Masque, Grands formats, 2010)

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20 mars 2010 6 20 /03 /mars /2010 00:00
"J’aime le paradoxe du hérisson : les hérissons se pressent les uns contre les autres pour avoir chaud, mais s’ils se serrent trop, ils se blessent et meurent. Les voisins, c’est pareil." (Pascale Fonteneau, interviewée sur Bibliosurf)


propriétés privéesUn lotissement comme il en existe des milliers en France. Depuis que les Durant se sont fait cambrioler et que leur femme de ménage a eu la frousse de sa vie, les habitants ont organisé des rondes nocturnes dans le quartier.

Ce soir-là, durant leur maraude, Henri Frot et Robert Donnay tombent sur un cadavre encore chaud, près de la station-service désaffectée. Comme d'habitude, c'est Robert qui prend les choses en main, et à eux deux ils balancent le corps dans une rivière. Pas question d'attirer inutilement les soupçons des flics ou de prêter le flanc aux critiques des journalistes sur leurs "patrouilles de la trouille".

Le lendemain matin, la police frappe à la porte d'Henri : on a retrouvé un corps dans le coffre d'une voiture, elle appartient à un de vos voisins, vous l'avez vu hier ?
Les cadavres, ça fait désordre dans le quartier, où tout le monde se connaît et s'apprécie... ou feint de s'apprécier, écoeurant de sollicitude.


Henri Frot, la cinquantaine au chômage, vit ici depuis des lustres mais ne connaît pas grand-monde. Encore moins depuis que sa femme l'a quitté, du jour au lendemain, après trente ans de mariage. Il n'a jamais voulu d'enfant, peut-être parce que lui-même n'a jamais véritablement passé le cap de l'âge adulte.
C'est un type veule, pusillanime, passif, qui retrouve un peu de frisson et de fierté à la nuit tombée, durant ses patrouilles avec cette grande gueule de Robert. Le reste du temps, il patauge dans sa médiocrité, s'invente des histoires, s'imagine en héros courageux, en grand séducteur.

Henri le falot n'est pas méchant pour un sou mais tellement méprisable. On finit malgré tout par se demander : mince, si on avait tous en nous quelque chose d'Henri Frot ?


Des secrets qui remontent à la surface, des amitiés suspectes, des disparitions subites : Pascale Fonteneau s'amuse à faire voler en éclats ce théâtre des apparences, dans cette fable grinçante où les rapports de voisinage peuvent dire beaucoup sur la nature humaine, entre hypocrisie, faux-semblants et mesquinerie.


Propriétés privées / Pascale Fonteneau (Actes Sud, Actes noirs, 2010)
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16 mars 2010 2 16 /03 /mars /2010 00:00
Après Dérive sanglante et Casco Bay, voici le troisième volet des aventures de Stoney Calhoun. Et le dernier, après la disparition de William Tapply l'année dernière.


Tapply Dark TigerSi Stoney Calhoun n'a toujours pas recouvré la mémoire de son "ancienne vie" - il est amnésique depuis qu'il a été frappé par la foudre sept ans auparavant -, il vit toujours dans une cabane au fond du Maine avec Ralph, son épagneul, et partage toujours son temps entre la boutique de pêche, les soirées romantiques avec Kate et son boulot de shérif-adjoint.

C'est quand tout va bien que les ennuis arrivent, évidemment : l'agent immobilier annonce à Stoney que Kate et lui vont devoir plier bagages, le propriétaire ayant subitement décidé de vendre la boutique. Et dans la même journée, l'institut médical dans lequel est placé le mari de Kate, atteint de sclérose en plaques, l'informe qu'il ne va plus pouvoir le garder.

Le même soir, Calhoun reçoit la visite de l'énigmatique et désormais familier "Homme au costume", qui lui enjoint de se rendre dans le nord de l'Etat, près de la frontière canadienne, pour élucider le meurtre d'un "agent". Il lui fait comprendre qu'il n'a pas intérêt à refuser, auquel cas les ennuis s'accumuleraient...

Calhoun, engagé comme guide, débarque donc - ou plutôt amerrit - à Loon Lake Lodge, paradis des truites argentées et des pêcheurs qui le sont tout autant. Il s'aperçoit vite que la mort de l'agent, McNulty, est un sujet tabou parmi ses nouveaux collègues et les propriétaires du lodge. Mener une enquête sans poser de questions, ça risque de ne pas être simple ! Heureusement, les événements vont quelque peu s'accélérer.


Dark Tiger me laisse une impression mitigée, notamment à cause d'une intrigue assez mince et d'un dénouement quelque peu bâclé (quant au fin mot de l'histoire, en forme de bannière étoilée...). Tapply, se sachant malade, s'est-il empressé d'achever son roman sans pouvoir autant le travailler que les précédents ?
Peut-être, mais dans ce cas, pourquoi ne pas en révéler davantage sur le passé de Calhoun ? Cela dit, si c'est pour apprendre qu'il était un tueur sans scrupules animé par un patriotisme aveugle !


Côté intrigue, donc, on n'est pas vraiment ferré. Qu'est-ce qu'il reste ?
La majesté des lacs, les rites de la pêche, un coin de nature sauvage et le dépaysement.
Le personnage de Calhoun, qui au-delà et malgré ses supers talents d'ancien soldat d'élite (ou quelque chose dans le genre), vaut surtout pour sa vulnérabilité. D'un autre côté, on ne peut pas dire qu'on tremble véritablement pour lui dans cet épisode.

Et qu'en est-il du personnage de Kate ? Moins présente, et pour cause, la majeure partie du récit se déroule sans elle. Ce qui n'est pas un mal : je trouve que les échanges entre Calhoun et sa maîtresse ont tendance à "dégouliner" d'amour juvénile, ce qui peut vite s'avérer écoeurant...
A l'inverse, il y a un personnage qui prend davantage d'importance, celui du... chien, qui d'ailleurs (je vais être méchant) a, à mon sens, autant d'épaisseur que celui de Kate.


Tout ça est-t-il suffisant ? Oui, si on a déjà lu et apprécié cet auteur. On ne mord pas forcément à l'hameçon, mais on joue le jeu, on taquine nonchalamment le goujon, tout au long des 250 pages qui se lisent avec plaisir malgré tout (j'ai même trouvé l'écriture meilleure que dans Casco Bay).

Bref, pourvu qu'on connaisse déjà le coin, on appréciera la balade.


Dark Tiger /
William G. Tapply (Dark Tiger, 2009, trad. de l'américain par François Happe. Gallmeister, 2010)
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13 mars 2010 6 13 /03 /mars /2010 10:37

Si les bons vieux road-movie/story ont souvent besoin d'espaces (américains), il n'y a aucune raison pour que ce soit toujours un yankee qui nous trace la route, et à ce titre Max Obione s'en tire très bien dans son dernier roman, un Scarelife nerveux et tranchant à souhait.


ScarelifeLibéré sur parole après 10 ans de prison et une condamnation pour meurtre, Mosley Varell vivote dans un coin paumé du Montana, en compagnie de Tana, une ancienne actrice de soap au sale caractère et qui "gonfle, boudine, boursoufle, déborde de partout".
Question carrière, Mosley n'a rien à lui envier. Hormis un biopic pour un projet de film sur l'écrivain maudit David Goodis, c'est un scénariste raté de dessins animés débilitants.
Bref, la vie s'écoule paisible comme un torrent de boue entre ces "deux solitudes que la vie ne console pas de ce qu'ils sont devenus".

Jusqu'au jour où Mosley reçoit une lettre à l'encre bleue, une lettre de son salaud de père. Peut-être parce qu'il faut bien faire face à ses démons, il fait son sac, quelques fringues et plusieurs paires de gants de soie pour protéger ses mains purulentes - un eczéma particulièrement virulent - et s'en va pour le Sud.

Des démons, Mosley en a aussi pleins la tête et ne va pas tarder à leur céder du terrain. De Missoula à La Nouvelle-Orléans, il entame un road-movie sanglant et 
sans espoir de retour.
Sur son chemin de croix, il va croiser pas mal de monde et donner l'extrême-onction à quelques-uns, persuadé de bien faire d'ailleurs, comme avec cet ancien combattant infirme dont il vient de se taper l'épouse ou ce routier avec son chargement de bibles qui n'arrête pas de le bassiner avec ses bondieuseries.

Un vrai samaritain ce Mosley. Le coeur sur la main et une bonne giclée de sang par-dessus ! Pas désagréable pour autant, un brin d'humour, avenant et toujours prêt à dépanner son prochain (j'ai beaucoup pensé à Martin Sheen et à La Balade sauvage de Terence Malick). Sauf que ce n'est pas l'avis d'Herbie Herbs, dit le "Nain", un flic qui l'a arrêté il y a bien longtemps mais ne s'est jamais remis de la clémence des juges envers son ennemi personnel. La chasse commence, et le territoire est immense.



Alternant différents récits - la traversée américaine de Mosley (qui fait figure de narrateur), la croisade d'Herbie le nabot et les extraits d'un biopic sur David Goodis (j'ai particulièrement aimé ces pages et ces scènes imaginaires, d'autant plus qu'on ne sait pas grand-chose de cet écrivain et de ses escapades) -, Max Obione emprunte aux mythologies américaines pour un chouette (mais trop court !) moment de lecture, dans une ambiance poisseuse - à la Goodis - et poissarde en compagnie d'un clochard céleste psychopathe.

En passant, il 
nous fait aussi le coup de "l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours", puisqu'il nous parle d'un homme qui raconte la virée d'un autre qui raconte les virées d'un David Goodis... Ultime pirouette d'un roman enlevé qui fait défiler le bitume à 100 à l'heure et se lit d'une traite.
Un bon p'tit polar, comme on dit. Et même un peu plus que ça.


Conseil(s) d'accompagnement : même s'il est plus sombre et moins burlesque, Scarelife m'a fait penser par certains aspects au roman de Rich Hall, Otis Lee Crenshaw contre la société. L'occasion de vous recommander une fois de plus ce formidable roman paru il y a quelques semaines aux éditions Rivages.


Scarelife / Max Obione (Krakoen, 2010)

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12 mars 2010 5 12 /03 /mars /2010 00:00

Les éditions Adam Biro, spécialisées dans les beaux-livres, inaugure une nouvelle collection... polar : " Les sentiers du crime regroupe des faits divers réels relatés sous forme de " docu-fiction ", respectant la véracité des événements ". Chaque volume est aussi agrémenté de photos ou d'illustrations.


Grand amateur de rock devant l'éternel, Marc Villard inaugure cette collection avec Sharon Tate ne verra pas Altamont, qui nous replonge à la fin des années 60, quand le Power Flower commence à prendre du plomb dans l'aile.

altamont couv69 année dramatique : Sharon Tate - la femme de Roman Polanski, alors enceinte - et plusieurs de ses amis sont sauvagement assassinés par la "Famille" de Charles Manson, Brian Jones meurt noyé dans sa piscine, et le concert des Stones à Altamont (Californie) se transforme en bain de sang, avec la mort d'un jeune Noir tué par un certain Alan Passaro, un des Hell's Angels qui assuraient le service d'ordre et tabassaient le public à coups de queues de billard.


Voilà pour les faits.
C'est là que la fiction entre en scène : en partant de ces trois événements, l'auteur invente une histoire et des personnages, comme Sheryl 
Gibson. Mêlée malgré elle à la tuerie organisée par Manson et au meurtre de Meredith Hunter au concert du 5 décembre 1969, elle sert de fil conducteur au récit, où on croisera aussi ce cinglé de Charles Manson et quelques Hell's Angels bas du front.


Marc Villard, avec ce court roman bien balancé, évoque "toute une époque" et esquisse en même temps la fin d'un monde. La fin des espérances et des illusions d'un mouvement hippie au crépuscule. Peace and love ? Les sixties s'achevaient dans la violence. Bientôt une autre histoire allait commencer. De quoi en raconter bien d'autres.


Sharon Tate ne verra pas Altamont / Marc Villard (Adam Biro, coll. Les sentiers du crime, 2010)



PS : pour le lancement de leur collection, les éditions Biro organisent un concert-signature le jeudi 18 mars de 18 à 20h au Onze Bar à Paris (83 rue Jean-Pierre Timbaud, XIème arr., métro Couronnes). Marc Villard sera présent et dédicacera son livre, sur des morceaux des Rolling Stones et des Beatles interprétés par Milan Cohen. 
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11 mars 2010 4 11 /03 /mars /2010 15:06
La fameuse collection créée en 1986 par François Guérif compte environ 800 titres aujourd'hui. Un catalogue exceptionnel et une pléiade d'auteurs de premier plan qu'il serait vain de recenser ici.

François Guérif, justement, vient de dresser une typologie de la collection
, qui ne prend pas en compte la nationalité ou le lieu de naissance de l'auteur, mais "les lieux qui ont façonné, tordu, brisé les destins de ses personnages".
Des grands espaces aux murs des prisons, de l'Ouest américain au "pays des kangourous", des Caraïbes à "l'Allemagne en automne", voici une vingtaine de cartes postales, et de quoi voyager différemment.


Les éditions Rivages ont aussi lancé une opération 2 livres achetés = 1 livre offert (édition hors-commerce), en l'occurence M comme menace, deux nouvelles inédites de David Peace.

M comme menace

Supplice de Tantale littéraire...
L'initiative date de quelque temps déjà mais mérite d'être relayée : une poignée d'amoureux du polar et de Rivages/Noir se sont fixés comme objectif de critiquer TOUS les titres de la collection.
Cette "
tentative d'épuisement d'une collection" est ouverte à tou(te)s, et vous trouverez un mode d'emploi sur le site. Déjà une centaine de critiques sur le forum Noir Bazar.  
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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 00:00

Un court roman de Natsuo Kirino, tout en finesse, dans le ton, dans l'exploration des sentiments des différents protagonistes. Accessoirement, de quoi enrichir ma faible connaissance du polar asiatique.

Le vrai mondeToshiko, Yuzan, Kirarin et Terauchi sont quatre amies vivant dans la banlieue de Tokyo. Comme tous les jeunes de leur âge, elles s'interrogent sur leur avenir, leur identité, leur sexualité, et n'éprouvent pour leurs parents qu'indifférence ou mépris.
Des jeunes gens au seuil de l'âge adulte, mais auquels s'accrochent encore des lambeaux d'enfance et d'illusions.

Lorsque Ryo, le voisin de Toshiko - qu'elle surnomme avec dédain le "Lombric" - tue sauvagement sa mère et s'enfuit après avoir dérober le téléphone et le vélo de la jeune fille, les quatre adolescentes vont rentrer en contact avec le fugitif et l'aider chacune à leur manière et pour des raisons différentes.
Pour ressentir le frisson de l'interdit et du danger, pour se confronter, par procuration, à sa propre histoire, pour trouver un exutoire à sa frustration et ses doutes...


Mais ce qui a commencé comme un jeu excitant prend rapidement des proportions inquiétantes. L'inconscience, l'irresponsabilité des adolescentes vont se heurter à la réalité du monde adulte, celui des causes et des conséquences, du poids des responsabilités : le vrai monde (à moins que celui-ci soit le monde imaginaire qu'elles s'inventent ?) qu'elles exècrent et craignent tout à la fois.

Face aux événements, ces actrices/témoins révèlent leur personnalité naissante, leurs obsessions et leurs craintes. Chacune étant davantage que ce qu'elle semble être, si différente au fond que ce qu'elle laisse voir à ses amies, sans que celles-ci soient dupes, d'ailleurs. Mais il est parfois si difficile de s'affirmer et d'assumer ses actes...

A petites touches, Natsuo Kirino nous montre aussi une société japonaise névrosée, où la jeunesse, gavée de cours intensifs, subit une pression très forte, où le passage à l'âge adulte s'avère - peut-être davantage que dans d'autres pays - particulièrement difficile.



Le vrai monde / Natsuo Kirino (Real World, trad. de l'anglais par Vincent Delezoide - A noter : Le vrai monde n'est pas directement traduit du japonais mais de la version anglaise. Seuil Thrillers, 2010)

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