Auteur d'une demi-douzaine de romans d'espionnage, Leif Davidsen délaisse cette fois les équilibres Est/Ouest pour nous emmener à Cuba, en compagnie de John Petersen, ressortissant danois sans histoires qui va bientôt jouer les... apprentis-espions.
Pour donner un peu de relief à une existence monotone et surmonter la mort de sa femme, ce tranquille professeur d'espagnol a décidé de prendre un congé et de partir à la recherche d'Hemingway, son écrivain favori.
Son périple commence à Key West, en Floride, où il fait la connaissance de Carlos Gutierrez, un vieil exilé cubain auquel il se lie d'amitié. Puis se poursuit à Cuba, où John, suite à sa promesse faite à Carlos, doit remettre une lettre à sa fille, qui plusieurs années auparavant a rejeté sa famille et épousé la cause castriste ainsi qu'un haut-fonctionnaire cubain.
Entre deux flâneries dans les rues de La Havane, John prend quelques contacts afin de s'acquitter de sa mission. Evidemment, tout se détraque, et notre touriste danois va se retrouver au centre d'une gigantesque affaire. Lui qui était en manque de sensations va être copieusement servi !
Leif Davidsen déroule lentement son intrigue, qui prend parfois des directions inattendues (avec un "Papa" Hemingway partie prenante, mais je ne vous en dis pas plus...) et qu'on suit volontiers.
Mais comme souvent avec le polar, c'est surtout l'arrière-plan qui retient l'attention. L'auteur va bien au-delà des clichés pour dépeindre une réalité cubaine contrastée, et d'autant plus intéressante qu'elle est vue à travers le regard d'un homme issu d'une culture foncièrement différente.
S'il saisit très bien la beauté, la sensualité, la vitalité de Cuba, la générosité et la joie de vivre de ses habitants, il dresse aussi un sévère constat sur un pays moribond.
Les mirages de la Révolution se sont évanouis, les lendemains sont incertains et le présent difficile. Le Barbu est dans un sale état et son régime corrompu à bout de souffle, mais toujours omniprésent dans la vie quotidienne de cubains partagés entre espoir et résignation, contraints pour certains à la prostitution ou à l'exil, beaucoup risquant leur vie sur des radeaux de fortune pour rejoindre les côtes américaines.
Voilà un pays où l'usage d'internet est réservé aux touristes et aux hauts fonctionnaires, ou une simple clé USB est considérée comme un objet de contrebande, ou des professeurs se reconvertissent en taxis pour mieux gagner leur vie, ou, suprême paradoxe, il est interdit de posséder un bateau...
Mais tout ceci aurait un aspect un peu froid et démonstratif s'il n'y avait pas des personnages pour donner vie à cette réalité et, là encore, Davidsen vise juste.
En particulier avec le personnage de John, la calvitie naissance et des interrogations existentielles plein la tête, des épreuves à traverser et des réponses à trouver. Autrement dit un type comme tant d'autres, avec des problèmes et des doutes que chacun d'entre nous partage, à un moment ou à un autre.
Hormis quelques redites (les cubains gardent les mains sèches malgré la chaleur moite, on le saura...), j'ai donc pris beaucoup de plaisir à suivre ces pérégrinations cubaines.
Une intrigue qui tient la route, un rythme entraînant malgré quelques longueurs, une réflexion intéressante et des personnages bien campés : tout y est. Et même, ce qui ne gâche rien, ça donne envie de ressortir quelques histoires d'Hemingway...
A la recherche d'Hemingway / Leif Davidsen (På udkig efter Hemingway, 2008, trad. du danois par Monique Christiansen. Gaïa, 2010)