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14 novembre 2009 6 14 /11 /novembre /2009 10:20

"Avis à vous, chers touristes !
Pour un séjour de détente et de relaxation, choisissez Evian. Ville d'eaux. Sa source réputée, son lac tranquille, ses cures bienfaisantes, son casino... et son tueur en série. venez crever en toute quiétude, on s'occupe du reste. Grand choix de messes possible, avec prélat, ou sans, obole comprise, autopsie garantie, inhumation, incinération...
Evian, c'est le paradis qui vous tend les bras !"


nullLe lac des singes, second roman de Marcus Malte - paru au Fleuve noir en 1997 et épuisé - vient d'être réédité en Folio policier.
On y retrouve le personnage de Mister - déjà présent dans Le doigt d'Horace -, pianiste de jazz, 1.90m pour 90kg, sensibilité à fleur de peau d'ébène.

Et ç
a commence par la fin : Mister est assis sur un tabouret au sous-sol d'un commissariat. "Je considère que votre aide nous a été précieuse" lui dit le flic. On comprend que l'enquête est bouclée et qu'un homme s'est suicidé. Un homme qui a laissé derrière lui des milliers de bandes, ça faisait trente ans qu'il enregistrait sa détresse et ses délires. Play.

Flash-back. Mister, appelé en rescousse par son pote Baptiste dit Le Gros, pour remplacer au pied levé le pianiste du groupe. Un quartet au Casino Royal d'Evian-les-Bains, jazz pépère pour mémères aux manchots, 1200 balles par jour, nourri, logé. Mister est ok.
Arrivé à Evian, il ne tarde pas à rencontrer le commissaire Jabron, qui enquête sur une série de meurtres. Depuis le début de l'été, quatre hommes ont été exécutés, une balle en plein front tirée par un fusil artisanal. (Seul) point commun : ils venaient de s'en mettre plein les poches au Casino. Sinon ? Rien. le commissaire pédale, le préfet s'impatiente, les super-flics parisiens vont bientôt débarquer.


Et Marcus ? Il joue tous les soirs, s'éclate, répète ses gammes, fait quelques rencontres : un taxi fantasque, un prestidigidateur inquiétant, un mélomane mélancolique, un portier imperturbable. Autant de personnages équivoques qui pourraient chacun être le tueur.
Dans une atmosphère moite, alourdie encore par la chaleur estivale, le pianiste est entraîné malgré lui dans cette affaire. Le Gros l'avait pourtant prévenu : "C'est là qu'elle est ta place [derrière le demi-queue Steinway], cherche pas ailleurs".


Le tueur s'enfonce dans sa névrose, Marcus dans l'inquiétude, Jabron dans la neurasthénie. Jusqu'à la lie. Jusqu'à ce que que Marcus se retrouve assis sur un tabouret au sous-sol d'un commissariat, à écouter se dérouler le récit triste et halluciné d'un assassin.
Entretemps, on aura eu droit à des histoires d'argent facile et d'abandon, de temps passé et de cygnes enfouis, à quelques belles pages sur le jazz et même à une scène de chasse à la souris !


Même si Le lac des singes n'est pas aussi abouti, aussi ciselé que Garden of love (du temps a passé, et Malte s'est bonifié), on y retrouve cette ambiance singulière, à la fois éthérée, onirique, inquiétante. Et cette plume, parmi les plus belles du polar français.


Le lac des singes /
Marcus Malte (Fleuve noir, 1997, rééd. Folio policier, 2009)
 


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13 novembre 2009 5 13 /11 /novembre /2009 00:00
Après la réédition de Moisson rouge, les éditions Gallimard poursuivent sur leur lancée, et publient aujourd'hui, dans leur collection Quarto et sous le titre oeuvres romanesques, les cinq romans de Dashiell Hammett - Moisson rouge donc, ainsi que Sang maudit, Le faucon maltais, La clé de verre et L'introuvable.

Je vous en reparlerai plus longuement, une fois que j'aurais goûté aux nouvelles traductions de Pierre Bondil et Nathalie Beunat, qui font décidément un travail salutaire.  

null

Nathalie Beunat, grande spécialiste de l'écrivain, est aussi commissaire de l'exposition Le mystère Hammett, organisée par la Bibliothèque des littératures policières (48/50 rue du Cardinal Lemoine, Paris 5e) jusqu'au 27 mars 2010.
Vous pourrez y voir des documents originaux, des affiches, des photos ainsi que des éditions rares provenant notamment de collections privées.


A la radio enfin,
Mauvais genres consacrera son émission du 21 novembre au père du roman noir.


Bref, de quoi réviser ses fondamentaux....
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11 novembre 2009 3 11 /11 /novembre /2009 00:00
Est-ce le fait qu'elle a donné naissance au XXème siècle et au "monde moderne" tel que nous le connaissons aujourd'hui ? Ou les souvenirs du Chemin des Dames de mon arrière grand-père, qu'il me susurrait avec le filet de voix que lui avaient laissé les gaz, quand j'étais môme, mimant avec ses doigts un cheval au galop, lui qui était cavalier ? Toujours est-il que la Grande guerre m'a toujours captivé. 

J'en fait donc une habitude bloguesque, une p'tite commémoration personnelle ! : à chaque 11 novembre, je vous parle d'un bouquin ayant trait à la Première Guerre mondiale. Après Le boucher des Hurlus de Jean Amila et La cote 512 de Thierry Bourcy, voilà Notre mère la guerre, rayon BD.


Hiver 1915. La guerre s'enlise dans les tranchées, les combats font rage. Un poilu, en creusant une ancienne galerie, tombe sur le cadavre... d'une femme. Elle s'appelait Joséphine Taillandier et travaillait comme serveuse dans une auberge située non loin de là. Quelques jours avant, elle avait eu une prise de bec avec un Poilu. Ni une ni deux, le suspect idéal a fini au peloton.
Faut pourtant croire qu'il n'y était pour rien, le bougre, puisqu'on trouve une seconde victime. Une nonne, découverte la gorge tranchée, une lettre de l'assassin sur elle, comme la précédente.

Ya déjà bien assez de cadavres aux alentours, pas question de miner davantage le moral des soldats, à se dire qu'il y a un tueur de femmes parmi eux. Les gradés confient l'affaire au lieutenant Roland Vialatte, un gendarme. Militaire, mais pas soldat, comme on lui fait remarquer.

Pour mener son enquête - et "s'enivrer du danger"-, il décide de se rendre là où on a retrouvé les deux femmes. En première ligne. Lui, le catholique plein d'humanisme, qui a "étudié la guerre en romantique" à travers les poésies de Charles Péguy va se confronter à la réalité, dans toute sa cruauté et son absurdité. Et se heurter aux soldats (parmi lesquels se trouvent des criminels, des voleurs, libérés de prison pour être envoyés aux avant-postes), qui voient plutôt d'un mauvais oeil un képi venir leur chercher des poux à propos de deux donzelles imprudentes, alors qu'on les envoie, eux, tous les jours au casse-pipe, et qu'on fusille même des innocents.


Partout, on zigouille à tout va, on explose, on déchiquette, on transperce. Mais c'est légal, c'est logique, c'est la guerre. Mais du meurtre en pleine tuerie, de l'homicide en plein carnage, ça fait désordre, littéralement. Et à défaut de trouver un sens à l'horreur qui l'entoure, Vialatte se doit au moins de trouver une vérité et un assassin. Remettre un peu d'ordre dans un monde qui n'en a plus guère. Mais la guerre se moque du Bien, du Mal, et des certitudes morales.


Le dessin à l'aquarelle de Maël est magnifique, les compositions et les choix de couleurs judicieux ; des nuances de gris-bruns aux tons chauds ou froids, c'est selon, qui font ressortir l'atmosphère morne et lugubre du front, et parfois relevées de couleurs plus vives.
Quant au scénario, on sait depuis Coupures irlandaises et Un homme est mort que Kris est un vrai raconteur d'histoires. Une fois de plus, le récit est impeccable, les personnages bien saisis. Pas de vue aérienne des champs de bataille ni de vagues silhouettes de combattants : on est aux côtés des protagonistes - particulièrement expressifs - dans la boue, la peur, la fatigue.

Finalement, le seul ennui, comme toujours avec les séries, c'est qu'il faut... attendre la suite. Trois volumes sont prévus; pour l'instant, pas de date de parution prévue pour le second. Patience, patience...


Conseil(s) d'accompagnement :  en BD, qui dit Grande guerre dit Tardi. Le der des ders, C'était la guerre des tranchées, Varlot soldat... Le second volume de Putain de guerre ! est d'ailleurs paru le mois dernier.

L'Historial de la Grande Guerre, situé à Péronne (Picardie) organise jusqu'au 13 décembre prochain une exposition "14-18 dans la bande dessinée", avec des planches originales de Toppi, Gibrat, Tardi bien-sûr, Chauzy, et beaucoup d'autres.


Notre mère la guerre (première complainte) / Maël & Kris (Futuropolis, 2009)
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10 novembre 2009 2 10 /11 /novembre /2009 00:00

"Dans chaque famille, il y a quelqu'un qui paie son tribut pour que l'équilibre entre ordre et désordre soit respecté et que le monde ne s'arrête pas." (Mal de pierres, Milena Agus)


Auteur de l'excellent Les feuilles mortes, tombées l'année dernière, Thomas Cook continue d'explorer Les liens du sang. Des liens comme des noeuds inextricables, qu'il faut parfois, pour s'en défaire, trancher violemment.


nullDavid Sears a grandi sous la coupe d'un père schizophrène et dans l'ombre d'une soeur surdouée. Avocat dans une petite ville, il mène aujourd'hui une vie paisible auprès de sa femme et de sa fille Patty, 15 ans.

Mais pour l'heure, il est assis devant un inspecteur de police, lui faisant le récit des circonstance qui l'ont mené jusque-là. Tout a débuté quand Jason, le fils de sa soeur Diana, atteint de schizophrénie précoce, s'est noyé. L'enquête a conclu à un accident mais Diana n'a pas cru à cette version, et a accusé son mari d'avoir tué leur fils.

Au début, David ne s'est pas inquiété outre mesure, estimant qu'avec le temps sa soeur surmonterait le choc et oublierait ses lubies. Mais le comportement de Diana - obnubilée par d'anciens meurtres rituels et des phénomènes paranormaux - est de plus en plus étrange et irrationnel. Serait-elle "comme son père" ?
Quand elle embarque l'influençable Patty dans ses délires paranoïaques et morbides, David est forcé d'agir.


Le thème de la famille, comme je le dis plus haut, occupe une place prépondérante. Où il est question de notre rapport aux êtres aimés, des liens qui nous rattachent au frère, au père, à l'enfant, à la soeur. Et des secrets, des non-dits, des frustrations, des joies qui les consolident ou les effilochent.

L'auteur reprend aussi le même procédé narratif : comme Eric Moore, le narrateur des Feuilles mortes, David Sears est un homme ravagé qui a vu tout s'écrouler autour de lui, impuissant, et victime d'une succession d'événements mineurs, dont la force motrice s'accumule et tourbillonne jusqu'à l'engloutissement final.


Usant du même registre, Les liens du sang a cet air de déjà-vu qui en fait un roman bien moins captivant que Les feuilles mortes - dont l'histoire, partant d'un fait banal, presque d'un malentendu, s'avérait d'autant plus prenante.

Il n'en reste pas moins que Cook sait y faire pour faire monter la tension et entretenir le suspense, creusant l'abîme à la petite cuillère, lentement, presque imperceptiblement, jusqu'à ce que tout à coup, on sente le sol s'échapper sous nos pieds.


Les liens du sang / Thomas H. Cook (The cloud of unknowing, trad. de l'américain par Clément Baude. Gallimard, Série noire, 2009)

 

 

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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 00:00

J'ai eu le plaisir de recevoir Marc Villard à la médiathèque il y a quelques mois, où on organisait une manifestation jazz & polar. Bien-sûr, on a parlé de plein d'autres choses, le travail d'écriture, le roman noir, les nouvelles.... Le bonhomme est passionnant et plein d'humour (au bout d'un moment, j'ai renoncé à indiquer "rires dans la salle" dans le texte qui suit, il en aurait été truffé !), et ce fut vraiment une chouette rencontre, dont je retranscris ici de larges extraits. Bonne lecture.


DessinVillard.jpg                                                                   © Ramor

Bienvenue, Marc Villard. Vous avez écrit des romans, de nombreux recueils de nouvelles, des scénarios, pour la télévision, la BD, des romans pour la jeunesse... Seriez-vous un "graphomane" ?

Il y a beaucoup d'écrivains de ma génération qui ont commencé à écrire à la trentaine, en profitant d'un moment entre deux jobs, ou même quand ils étaient au chômage. Mais pour ma part, j'ai commencé à écrire tôt, à l'âge de 19 ans, alors au fil des ans ça s'accumule.

 

Vous avez commencé par écrire de la poésie, presque exclusivement pendant une dizaine d'années, publiant même un recueil au début des années 70.

En 71, oui. En fait, je faisais des études à l'école Estienne, et comme la plupart des garçons de mon âge qui faisaient des études d'arts graphiques, je pensais que je pouvais devenir peintre. Puis rapidement, je me suis rendu compte que ce n'était pas pour moi. Mais j'avais toujours envie de raconter quelque chose, de transmettre, de créer, mais je savais que ça ne passerait pas par la peinture. Et j'ai commencé à écrire de la poésie.

Je n'ai pas fait d'études universitaires, et la fiction avait quelque chose d'impressionnant, il y avait tout un corpus littéraire assez pesant, et je ne me voyais pas partir dans la fiction comme ça. Alors j'ai commencé doucement par la poésie. A cette époque, j'étais un lecteur d'Eluard, de René Char... On était dans les années 60.

 

C'est la rencontre avec le polar qui vous a décomplexé par rapport à la fiction, à ce corpus littéraire pesant et intimidant dont vous parlez ?

Plus tard, oui. C'est à dire que quand j'ai commencé à écrire, la révélation d'une poésie à laquelle je pouvais m'apparenter est venue des poètes beatniks américains, toute la génération de Ginsberg, de Kaufman, Kerouac... C'était une poésie qui sortait de l'aspect très confiné, très introspectif aussi, de la poésie française de l'époque, pour aller vers une poésie d'aventure, et assez narrative aussi, ce qui m'a plu et enthousiasmé... Pendant longtemps, j'ai animé et participé à des revues de poésie.

 

La fin des années 60, c'était une période propice ?

Oui, après 68, au-delà d'un mouvement politique fort, il y a eu aussi un mouvement culturel important, assez marginal, qui passait notamment par la première mouture du magazine Actuel, qui a été repris après par Jean-François Bizot. C'était un lieu où on se croisait beaucoup, et une période effectivement assez propice à créer, à faire des choses.

Pour en revenir au polar, je l'ai découvert... c'est une anecdote en fait, on en a tous une comme ça... J'étais en vacances en Bretagne et il pleuvait, ce qui est assez rare quand même (rires), avec mes parents, j'avais 13 ans, et comme je m'ennuyais beaucoup, je me suis réfugié dans le grenier de la maison qu'on louait. Il y avait tout un tas de livres entassés qui étaient de vieux Série Noire, cartonnés, couverture jaune et noir. Je ne connaissais pas du tout, et je me suis précipité là-dessus. Et comme la pluie a duré longtemps j'ai lu beaucoup (rires dans la salle). Des polars américains. Et j'étais fasciné par ce monde que je connaissais pas, qui montrait l'Amérique des perdants, des détectives privés... Et puis, sur le plan littéraire, il y avait l'introduction de mots complètement magiques comme « Snack-bar », « Rodéo drive », etc... Et surtout, j'ai été très marqué par la littérature américaine sur un plan phonétique.

 

Vous vous rappelez de ces "auteurs du grenier" ?

Des gens comme Day Keene, Harry Wittington, William O'Farrell, des seconds couteaux de la Série Noire, quoi...

 

Chez vous, il y avait des livres ? Est-ce que vos parents lisaient ?

Non, non. Mes parents ne lisaient pas. Je suis issu d'un milieu assez modeste où effectivement, bon, on ne lisait pas, sauf le journal que lisait mon père. Je n'avais pas la télévision parce que je faisais partie d'une famille qui partait du principe que tant que j'irai à l'école, il n'y aurait pas de télévision. On n'avait pas de téléphone non plus. C'est marrant d'ailleurs, parce que quand on dit ça maintenant, on a l'impression qu'on parle du 18ème siècle, mais c'est pas si vieux que ça...

 

On parlera un peu plus tard de vos liens avec le jazz, mais vous avez commencé par écouter du rock, et avez joué aussi de la batterie dans un groupe.

Je fais partie d'une génération qui a grandi avec le rock ; étant né en 1947, j'étais aux premières loges. Une musique facile pour moi qui étais un gosse de banlieue issu d'un milieu modeste, n'ayant pas des parents qui m'emmenaient à des concerts de musique classique etc... On écoutait plutôt André Verschuren. Mais bon, ça me va très bien, je n'aime pas trop la musique classique.

Donc, oui, j'ai grandi avec ça, le rock américain, français, j'ai joué de la batterie - ne sachant pas la musique ! - dans les années 60. Et puis en même temps, il existait une espèce de passerelle entre le rock, des émissions comme Salut les copains produite par Frank Ténot et Filipacchi qui animaient en même temps le soir une émission qui s'appelait Pour ceux qui aiment le jazz. Et je me suis donc mis petit à petit à écouter autre chose que du rock. Maintenant, j'écoute du jazz en priorité, mais toujours un peu de rock.

 

En 1981, vous publiez successivement un recueil de nouvelles, votre premier roman et un scénario de film. C'est une date charnière, un tournant vers la fiction alors que vous écriviez essentiellement de la poésie jusque là ?

Quand on écrit de la poésie, c'est qu'on a quelque chose à communiquer, c'est un espace extrêmement  ouvert et qui permet quand même à n'importe qui d'écrire. C'est de l'ordre du ressenti, de l'épidermique.

J'en ai écrit pendant 10 ans et m'en suis servi comme auto-analyse, ce qui permet de faire des  économies ! Puis au bout de 10 ans, j'ai eu le sentiment d'en avoir fait le tour, à tort ou à raison d'ailleurs. Donc, je n'avais plus envie de continuer à écrire de la poésie, mais par contre j'avais envie de continuer à écrire. Autre chose. Du coup, comme j'étais un lecteur de polars, je me suis dis tiens, je vais écrire ça.

 

Influencé notamment par le polar américain, donc ?

Oui, j'avais envie d'écrire du roman noir, tout simplement parce que les livres américains que je lisais à cette époque-là, étaient l'essence même du roman noir, les Hammett, Chandler, Burnett, McCoy etc..., parlaient d'hommes qui partaient en guerre contre l'Etat, contre les villes aux mains de la pègre. On parlait de journalistes qui essayaient de dire la vérité et se retrouvaient avec une balle dans la tête, de jeunes qui partaient à Hollywood et qui ne gagnaient jamais la partie, enfin bref, c'était quand même assez social, c'est ça qui me plaisait, cette littérature sociale, de lutte, écrite comme pouvaient l'écrire des journalistes, très factuelle, avec une grande économie de moyens et en même temps très précise. Tout me plaisait là-dedans et c'était vraiment ça que j'avais envie de faire.

Concernant la nouvelle, je peux m'expliquer facilement. J'étais habitué depuis des années à écrire court, serré et en plus ayant un goût, comme je viens de le dire, pour une écriture sèche, dégraissée, le contraire d'une écriture fictionnelle lourde avec de longs développements, dès qu'il y a un type qui se lève et qui va chercher son manteau, y a des mecs qui font 3 pages là-dessus, chez moi ça fait ½ ligne.

 

Vous dîtes : « évacuer la sacro-sainte intrigue pour ne retenir que l'écume, les copeaux de l'existence »...

Dans les nouvelles, oui. Enfin... Aujourd'hui, tout le monde l'admet, mais à l'époque ce n'était pas évident. Se sortir de la sacro-sainte intrigue, oui... Et du côté résolutif aussi. Quand on lit du polar, on s'attend toujours à ce qu'à la fin, on explique tout. C'est une contrainte du genre, mais je pense qu'on peut s'en affranchir quand on est dans le cadre de la nouvelle et qu'on est sur un moment beaucoup plus court. On n'a pas besoin d'être résolutif ni d'écrire une histoire comme une espèce de roman en réduction, puisqu'il s'agit plus d'un instantané, comme un polaroid.

J'ai écrit environ 400 nouvelles, donc évidemment je sais comment je vais les aborder aujourd'hui, mais à l'époque j'y allais à tâtons, c'est pour ça que je faisais un peu de roman, un peu de nouvelles, des scénarios aussi.

 

Vous écrivez encore des scénarios ?

Non, et la télé ne m'intéresse pas. J'avais besoin d'argent à une époque et j'ai fait plusieurs scénarios pour la télévision mais il y a trop d'intermédiaires, on est obligé de parler avec les gens (ironique)... J'aime pas les gens en fait (rires). Parler avec les gens, ça me fatigue un peu, pas parler aux gens comme aujourd'hui, mais avec les gens pour leur expliquer que ce que vous venez de faire, vous l'avez fait parce que c'est vous l'écrivain. Y en a qui comprennent pas, ils estiment que non, alors c'est fatigant, faut toujours se vendre, quoi.

 

Et les scénarios de BD ?

C'est beaucoup plus facile. Quand on travaille pour la télévision, on a affaire à un producteur, un responsable de fiction qui a toujours 3 assistants, et puis des tas de gens qui s'en mêlent. Les acteurs par exemple. C'est donc extrêmement pénible tout ça. Qui plus est, je n'ai pas été formé pour l'audiovisuel, je n'ai pas l'habitude de refaire 50 fois la même chose. Alors que maintenant, la télévision a inventé une génération de scénaristes qui ne font que ça et sont prêts à refaire autant de fois qu'il le faut le scénario ; ça ne les dérange pas, ils sont payés pour ça.

A un moment donné, je me suis retiré de ce monde là mais en même temps ça me plaisait bien de continuer à travailler le scénario, et comme je suis graphiste au départ, je me suis toujours intéressé à la BD, aux photos, aux images. J'ai donc commencé à travailler un peu par ci par là, avec Loustal, Romain Slocombe, Chauzy...

Et là c'est beaucoup plus simple, pour répondre directement à votre question. Parce que c'est un travail à deux et qu'en face de nous, chez Casterman par exemple, il n'y a qu'une personne. C'est beaucoup plus convivial. Et en plus, on reste dans l'espace du livre, contrairement à ce qui se passe dans l'audiovisuel, où lorsqu'on a terminé le travail d'écriture, l'objet ne vous appartient plus et vous échappe. Quand vous commencez à vous renseigner, « et alors, vous commencez à tourner quand, avec qui... ? », on vous répond « ouais, ouais, bon on vous écrira», et on vous écrit jamais ! Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on ne fait pas partie des professionnels de la profession : les écrivains, les scénaristes, les gens de l'écrit , ne font pas partie des métiers du cinéma.

Donc, le fait d'être dépossédé est extrêmement frustrant. Et puis un jour, on est devant son écran de télé, à se dire « tiens, ce soir ils passent le fameux film, tu sais celui que j'ai écrit », et puis on se retrouve devant un truc innommable, quoi !

 

Je reviens sur la longueur des textes, et je vais de nouveau vous citer. Vous dîtes : « Je ne suis plus du tout obsédé par la notion de roman ou de nouvelle ». C’est quelque chose qui vous a tracassé à une époque, la longueur du sacro-saint roman qui doit faire tant de pages ?

Oui. Je me souviens de discussions avec des écrivains qui eux-mêmes disaient ce genre de choses dans les années 80 : un roman, c’est 250 pages ! Alors moi qui n’ai jamais réussi à faire plus de 180 pages, je me suis senti mal parti.

Et je sais aussi que c’est difficile d’éditer un texte avec l’appellation « roman », dans une collection de romans, qui fait moins de 150 pages. C’est le minimum du minimum. Alors moi j’étais toujours dans les minimums ! Mais bon, ça passait.

Maintenant, je ne me prends plus la tête avec ça. Si j’ai une histoire qui mérite d’être développée, je la développe et puis ça va où ça va. Généralement, ça va jusqu’à 100 pages mais au-delà j’ai un peu de mal. Je n’arrive plus à tirer ça vers 160-170 pages comme à une époque, et… je m’en fous complètement ! Après, le problème est d’arriver à le faire éditer, mais jusqu’à présent j’ai publié tous mes manuscrits.

 

Parlons un peu de votre univers, qui est quand même très sombre. On croise des personnages à la dérive, des junkies, des musiciens déchus, des adolescents en rupture, des personnages qui sont sur le fil du rasoir et qui tombent généralement du mauvais côté. A la rigueur, vous laissez une fin ouverte, ou disons entr’ouverte, avec une lueur d’espoir pour les plus optimistes des lecteurs. Mais, presque toujours, ça finit très mal chez Villard…

En fait, quand je suis passé à la fiction, influencé par la littérature américaine des années 30-40, une littérature engagée, je me suis dit « bon, si j’écris des histoires, ce n’est pas pour dire que tout va bien, que la société est merveilleuse, que c’est vraiment chouette, quoi. » Parce que sinon, ça ne sert à rien d’écrire. Et si on est vraiment dans la joie, vivons pour cette joie et… partons à la plage ! J’écris donc sur ce qui ne va pas. Dans la société, dans mon quotidien, dans ma tête, pour parler finalement du mal. Donc ça finit souvent de manière disons pas tout à fait tragique mais négative. Et puis sur le fond, je suis plutôt quelqu’un d’assez pessimiste, oui…

Et ce que j’essaye d’éviter, c’est le récit d’enquête. Beaucoup de mes collègues, notamment anglo-saxons, ont basé leurs livres sur cela. Alors autant on peut prendre du plaisir à lire ces auteurs, autant moi ça ne m’intéresse pas d’écrire ça.

 

Les romans de procédure policière, mettre en scène des flics ?

Oui. En 68, j’avais beau être en Allemagne où je faisais mon service militaire, j’étais néanmoins solidaire du mouvement global qui avait lieu en France, et du coup j’ai beaucoup de mal à considérer les policiers comme des héros, voyez-vous… Donc je ne me vois pas écrire des livres où les policiers sont des mecs hyper-sympas, vraiment très sympathiques, contrairement à ceux qu’on rencontre dans les commissariats parisiens.

Et systématiquement, à la fin de ces bouquins, l’ordre règne. Or je n’ai pas du tout cette notion de faire régner l’ordre, et en plus par des policiers assermentés qui gagnent toujours à la fin. On en revient à l’aspect résolutif, cette contrainte du polar. Bon, que les autres le fassent, ça ne me dérange pas, et certains le font très bien. Mais pour moi, en tant qu'écrivain, je n’ai pas envie d’écrire ça.

 

Vous disiez avoir écrit 400 nouvelles. Vous avez dû acquérir une certaine « gymnastique »…

Une certaine fatigue, surtout… !

 

…comment elles naissent ces histoires, de quel matériau vous vous servez ?

Alors souvent, quand on me pose cette question, on me dit : « mais alors, comment elle vient l’inspiration ? » (voix de fausset).

 

Vous êtes dur, j’ai fait exprès de ne pas utiliser ce mot ! Mais je peux jouer le jeu : alors, d’où vous vient l’inssssspiration ?

(Il prend la pose) Ecoutez mon garçon, je vais vous expliquer ! Non, c’est très simple, ça peut venir de n’importe quoi. Tout sert, tous les écrivains répondront la même chose, qu’ils écrivent du noir ou de la blanche d’ailleurs….

 

Vous êtes peut-être plus sensible aux images ?

A tout. Je peux écouter un disque et retenir une musique qui va m’évoquer des choses par exemple. On parlait de Chet Baker, et je pense à Alone together qui m’a inspiré des textes. Ça peut être des images, des passages de films ou de séries, même si je n’aime pas la série d'ailleurs. Ça peut être des peintures, et des photos bien-sûr. Comme je suis resté lecteur de poésie, ça peut être 2-3 vers… 2-3 verres à boire, aussi !

Oui, tout peut servir, et puis après il faut que tout arrive à se mettre en place, à s’imbriquer, selon un mécanisme qu’on ne peut pas vraiment expliquer. Et la difficulté réside à faire redescendre tout ça dans l’écriture, à arriver à ce que ça tienne la route et que ça fasse l’affaire. Et le meilleur moment dans l’écriture, c’est cette partie de macération. On a une idée, on imagine des trucs, tiens je pourrais lui faire faire ceci ou cela…

Bon, et puis un jour il faut que je m’y mette, alors là ça devient chiant ! Il faut allumer l’ordinateur, je suis tout seul, il pleut… Là on se retrouve confronté à des problèmes d’ordre technique. On a tout dans la tête, et on se coltine avec la technique d’écriture, pour parvenir à ce qu’on veut faire, à ce qu’on avait imaginé, et c’est loin d’être simple.

 

Vous retravaillez beaucoup vos textes ?

Oui, beaucoup.

 

Il y a aussi comme une espèce de musicalité, de tempo dans vos textes. Vous écrivez « à l’oreille » ?Est-ce que vous vous relisez, à voix haute, pour savoir si ça « sonne » bien ?

Oui, je dis souvent que j’écris à l’oreille, tout simplement parce que phonétiquement, si ça ne fonctionne pas, je suis partisan – en ce qui me concerne – de changer un mot ou des mots, pour les remplacer par d’autres qui seront peut-être moins justes, mais qui sonnent mieux. J’aime qu’il y ait une fluidité dans le texte. Avec des phrases courtes la plupart du temps, ce qui est aussi lié à une écriture du comportement, qui décrivent surtout ce que font les personnages, plutôt que ce qu'ils pensent.


Passons au jazz, très présent dans vos textes, et je pense d’abord à
Cœur sombre. On peut dire que la rencontre entre le jazz et le polar est une rencontre programmée, entre deux genres nés sur le même terreau des déclassés. Le jazz charrie aussi une mythologie – et notamment le destin tragique de nombreux jazzmen – et véhicule des clichés qui servent le roman noir.

La musique est très importante pour moi. Mais pas que le jazz. Le rock, la world music, tout ce qu'on veut... Alors pourquoi j’ai écrit beaucoup plus sur le jazz que sur le rock, ? Ce sont des musiques faites de clichés, de vrais clichés, c'est-à-dire de vraies images. Mais la différence entre les deux, et pour avoir écrit sur les deux, je connais le sujet, c'est que les clichés du rock sont très bas de gamme, on se retrouve tout de suite dans des histoires vraiment sans grand intérêt. Alors que les clichés du jazz sont des clichés de haut niveau. Quand on voit des images de rockers, tiens quand on voit par exemple une photo des Rolling Stones, on se dit mais qu'est-ce que c'est que ces vieux cons, qui s'habillent comme des gosses etc... Ils nous font un peu rire, quoi, ce qui ne veut pas dire que la musique est ridicule, attention ! Bref, tout cela forme une imagerie, une série de clichés, d'histoires qui sont difficiles à dépasser quand on écrit de la fiction là-dessus. Alors qu'il y a dans le jazz – dont les images sont souvent en N&B d'ailleurs – une altitude que le rock n'arrive pas à atteindre. Et ces clichés dont vous parliez – la drogue pour Art Pepper, la mort de Chet Baker, Monk qui s'enferme dans sa folie... - ça a de la gueule, quoi ! Et je me suis dit, tant qu'à écrire sur des musiciens, autant que ce soit du jazz ; on hausse ainsi le niveau de l'écrit.

Alors pourquoi des musiciens, c'est tout simplement parce que je suis dans un domaine polar à contrainte et que je ne suis pas du tout intéressé, comme je vous le disais, par les policiers et la vie des bêtes... Alors il y a cette figure de musicien, un marginal sans être trop marginalisé non plus, quelqu'un de libre, de créatif, un personnage intéressant que j'utilise donc assez souvent.

 

Un court passage de Coeur sombre, sur Art Pepper, tiens...[lecture, p. 30, « Pepper, hein ?... »]

Oui, je parle beaucoup d'Art Pepper dans ce livre parce que je crois qu'il a écrit certainement le plus roman noir sur le jazz, qui est son autobiographie tout simplement, ça s'appelle Straight Life, du titre d'un de ses morceaux fétiches. C'est une vie infernale, de junkie, où on a l'impression que son quotidien n'est fait que de recherche d'argent, de came, de femmes, de prison. Il sort du pénitencier, il braque des supérettes... Et puis en même temps il a une certaine « pêche » et il parle très peu de la musique. On a l'impression qu'il a été enregistrer un disque pour se faire un peu de fric, quoi. Et c'était un grand, grand musicien. Magnifique livre.

 

Vous vous amusez aussi avec les destins de jazzmen connus...

J'ai fait beaucoup ça pour Jazzman, comme j'ai ces 10000 signes à rédiger tous les mois. C'est très difficile de tout inventer, alors je me suis dit pourquoi ne pas emprunter dans la biographie de certains des moments que je passerai ensuite à la moulinette de la fiction, sans tout déformer non plus.

 

Vous imaginez par exemple que Chet Baker a mis en scène son propre suicide...

Oui, mais c'est pas dans Jazzman, sinon je me serais fait engueuler ! [il s'agit de la nouvelle intitulée « Lady C. », dans le recueil Made in Taïwan ; coll. Rivages/Noir]

Bref, sa mort a toujours posé un problème, puisqu'on ne sait pas s'il est tombé, s'il s'est suicidé ou s'il a été tué. [Chet Baker a été retrouvé mort à Amsterdam le 13 mai 1988, sur le trottoir devant son hôtel, après avoir « chuté » de son balcon]. Je suis parti de là et j'ai écrit une nouvelle complètement improbable, en imaginant que Chet, devant de l'argent à quelqu'un, a trouvé un clochard lui ressemblant, l'a tué et a disparu. Pour réapparaître à Cuba, en train de jouer de la salsa dans le groupe de Ruben Gonzalez.

Une petite anecdote, à propos : une année, j'étais au salon du livre à Paris, et y a un type qui s'approche et me dit « Vous êtes Marc Villard, vous ? Ce que vous avez fait à Chet Baker, ça n'a pas de nom ! » Le gars m'a carrément engueulé, et j'étais en train de me justifier, alors qu'il fallait rien dire en fait, il finit par me dire « Non, non, et c'était le dernier livre de Marc Villard que je lisais. Au revoir. », et sur ces mots, il s'en va !

 

Un ami m'a confié dernièrement : « oh dis donc jazz et polar, ça fait un peu truc d'initiés, quand même... ». Et c'est vrai qu'aujourd'hui, le jazz est quand même perçu comme une musique assez « intellectualisante ».

Quant au polar, c'est un genre qui a beaucoup gagné en respectabilité ces dernières années, il n'y a qu'à regarder les chiffres de vente, les articles de presse, le nombre de collections, pour constater que c'est un genre en vogue. Comment percevez-vous cette évolution ?

En ce qui concerne le jazz, moi je suis d'accord avec votre ami. Le bon côté, c'est qu'aujourd'hui, on peut tout se procurer, tout écouter, du bop, du dixieland et j'en passe... Pour ma part, je suis plus porté vers un jazz mélodique on dira, qu'il soit des années 50 ou d'aujourd'hui, avec Petrucciani, Aldo Romano, Eddy Louiss ou d'autres. Alors il faut passer un peu de temps à écouter ce qui se fait, ou ce qui se fait pas mais ce qu'on aime.

Pour ce qui est du polar, y a comme un quiproquo. Quand on regarde par exemple la liste des meilleurs ventes, on s'aperçoit que sur les 20 premières, il y a bon an mal an un livre ressortissant au genre noir. Pas mal d'américains bien-sûr, des scandinaves maintenant, et puis Fred Vargas qui arrive à se caser, un Guillaume Musso, Chattam... Seulement, ces auteurs là, hormis Vargas que je mets à part, sont répertoriés sous l'appellation « polar » mais ils font à vrai dire ce que j'appellerais du « thriller international » qui peut être lu partout dans le monde. Et qui sont conçus par des hommes de marketing et racontent toujours un peu les mêmes histoires, des enquêtes à n'en plus finir, des histoires de curés qui datent de Mathusalem, ... Avec Dan Brown d'ailleurs, le côté « sacré » a pénétré en force dans le polar, qui n'était à priori pas fait pour ça.

Ce sont des arbres qui masquent la forêt. Vous avez ces 10 livres toutes les semaines, avec souvent les mêmes auteurs. Derrière, on trouve des auteurs américains qui vendent pas mal, comme Ellroy ou Lehane ; et là déjà on est dans du costaud, et ce n'est plus du polar mais du roman noir, du grand roman noir. Et en dessous, y a tous les autres, des français, des italiens, des espagnols, qui vendent moins. Et tout à la fin, vous avez les... nouvellistes noirs, comme moi ! Qui vendent encore moins, et qui se situent juste avant les poètes !

En termes économiques, ces thrillers internationaux pèsent sacrément leur poids et du coup, la critique se dit « allez, le boulot a été fait , ça roule, ça se vend bien... » Mais c'est faux. Vous en avez 10 chaque semaine qui se vendent très bien mais les autres se vendent pas si bien que ça. Et chez les libraires, c'est un peu la même chose. Je suis passé à la FNAC des Halles hier, y a un rayon polar c'est n'importe quoi ! Ils alignent, vous savez, tous ces bouquins dont je viens de parler, plus les gens qui sont plus mauvais qu'eux mais qui font la même chose ! Vous avez un mur, comme ça, immense, avec tous ces livres à plat, des nullités affligeantes, parce que c'est de l'argent. Et ils se disent après tout, le polar ça marche, pourquoi on en profiterait pas, hein ?

Et tous les autres, qui font du roman noir, de la nouvelle, qui sont dans le constat social, qui ressemblent un peu à ce qui se faisait au départ, ce dont je parlais au début avec Hammett et d'autres, eh bien ceux-là faut aller les chercher...

Le fait est que c'est comme ça. Ce sont deux mondes qui de façon arbitraire ont été placés sous la même appellation, qui se côtoient vaguement mais qui n'ont rien à voir. Alors qui restera au bout du compte dans 30, 40, 50 ans quand on sera tous morts ? Je ne sais pas.

 

[public] Vous vivez de votre plume ?

Non, avant, j'avais un job, j'ai bossé 40 ans, comme tout le monde. Mais je peux peut-être répondre à la place de mes collègues. Ils font des ateliers d'écriture par exemple. Chose qui, personnellement, m'indiffère complètement : je ne vois pas pourquoi on va apprendre à des gens à écrire alors que déjà on est trop nombreux ! (hilare). Non, au-delà de ça, on peut se demander si c'est vraiment moral de laisser entendre à des gens, souvent des enfants, qu'ils sont des écrivains, qu'ils vont pouvoir y arriver. Enfin, ça me pose un problème. Bref, j'ai aussi des copains comme Caryl Ferey par exemple qui font de petites pièces pour France Culture. Ça paye bien. Et puis il y a aussi les résidences d'écrivains.

Bref, on est sans arrêt sur la route, la vie familiale est compliquée, c'est pas facile, et il faut un certain courage et beaucoup d'abnégation.

En tout cas, c'eut été une erreur pour quelqu'un comme moi, qui suis plutôt anxieux, mais pour des gens qu'ont la forme, pourquoi pas... Et puis en même temps, est-ce qu'on écrit plus parce qu'on a plus de temps ? J'en suis pas convaincu. J'ai pas le sentiment d 'écrire plus depuis que j'ai cessé mon travail. Et ce n'est pas le but de l'opération... et il faut aussi avoir envie d'écrire. Admettons que vous soyez écrivain à plein temps, le mythe total..., alors tous les matins en vous levant vous vous dites « Bon, va falloir que j'écrive » ! En tout cas, ça me gênerait d'avoir à me prouver à moi-même que je suis un écrivain. Je n'ai pas besoin de le prouver, je m'en fous.

 

Je vais m'arrêter ici et laisser la, parole au public, que je remercie au passage de s'être déplacé, et surtout par cette belle journée !

 

Je voudrais parler un peu de Barbès, qui occupe une grande place dans vos textes, avec une espèce d'effet d'attirance/répulsion Je voudrais savoir ce qui vous lie autant à Barbès.

J'ai habité plusieurs fois dans le 18ème arrondissement, que je connais bien. C'est un quartier qui produit de la fiction, comme on dit. C'est-à-dire qu'en se baladant dans les rues, on n'a pas à se prendre la tête pour savoir ce qu'on pourrait raconter, ce qu'on pourrait planter comme histoire... Tout est sous la main, en quelque sorte. Et puis je suis un écrivain très urbain, très parisien, je suis complètement quelqu'un de la ville. Et d'ailleurs, quand je voyage, je ne vais que dans des villes, j'ai horreur d'aller à la campagne. Le vert, tout ce vert... ça me fait mal au coeur !

Alors la répulsion, oui... Mais quand on est dans des quartiers avec de la misère, de l'immigration, de la drogue, de la violence, on ne sait pas trop comment en parler. On ne va pas être trop compassionnel, mais on ne peut pas non plus tout laisser passer. Donc j'essaye d'être un peu entre les deux, j'essaye d'être honnête.

 

Vos textes ont une dimension sociale, mais vous considérez-vous comme un écrivain engagé ?

Je pense que le fait de parler plutôt de Barbès que du 16ème arrondissement, c'est une façon de s'engager. Parler plutôt de musiciens dans la panade que de flics qui se portent bien, c'est être engagé aussi. J'ai aussi écrit beaucoup de nouvelles sur les sans-papiers, par exemple. Mais je ne me revendique pas pour autant comme un écrivain engagé.

 

On trouve des personnages qu'on n'a pas l'habitude de croiser tant que ça ailleurs...

C'est ça la forme d'engagement. Maintenant, je pars du principe qu'un livre n'est pas un tract politique. Alors je ne me mets pas d'un seul coup, au prétexte que je suis à Barbès, à parler de la condition lamentable dans laquelle sont laissées les prostituées de la rue Myrha ou d'ailleurs. J'écris des fictions qui se suffisent à elles-mêmes, au lecteur après de choisir son chemin, de prendre parti, de se faire son opinion. Mais je n'en dis pas plus qu'il ne faut ; je ne veux pas juger..

 

 

On finira donc sur ces mots. Merci beaucoup !

 

Un mot sur l'actualité éditoriale de Marc Villard :
Il fait partie des 19 auteurs ayant signé une nouvelle "rock et noire" dans le recueil
London calling, qui vient de paraître aux éditions Buchet-Chastel, un hommage à l'album éponyme des Clash.
Dans quelques mois sortira l'adaptation BD - par Jean-Philippe Peyraud - de sa novella
Bird.

Enfin, ceux qui se rendent au festival de Lamballe, le week-end prochain, auront l'occasion de le rencontrer.

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6 novembre 2009 5 06 /11 /novembre /2009 00:00
"Entre truands, les bénéfices ça se partage, la réclusion, ça s’additionne" (Jean Gabin dans Le Cave se rebiffe)


Publié une première fois en 1969 à la Série Noire (n°1255) de Duhamel par un dénommé Jean de Présinat, dit Mariolle, braqueur parisien qui apprit l'écriture en prison, Les Louchetracs est un roman de truands caractéristique des années 60, dans la lignée des Albert Simonin (dont La Manufacture de livres a réédité Le Hotu il y a peu), Auguste Le Breton ou José Giovanni.


nullAprès un an de "séchoir", Max vient d'être libéré et retrouve les copains. Une sacrée bande de truands et de loulous parigots.
Il y a André, dit le Vieux, le maître d'oeuvre, capable de vous mijoter un casse aux p'tits oignons, tout en doigté, tout en finesse.
Et puis Pierrot, la tête brûlée, un dingue du tiercé toujours fauché, et toujours partant pour se renflouer.
Serge enfin, le pondéré, du sang-froid et du ciboulot à revendre.

On se remémore les bons coups, on prépare les prochains, en attendant la gisquette ramène un peu de monnaie du tapin. Des gars fidèles, loyaux, et y en a pas un qui cracherait le morceau aux lardus, ça non ! 

Y a un gros braquage qui se prépare justement, une bijouterie place Vendôme. Cent bâtons à la clé et le dernier coup du Vieux avant la retraite et le jardinage. Ca calcule, ça peaufine, ça s'organise dans les moindres détails, jusqu'à la tuile : Pierrot se fait alpaguer par les perdreaux. A court, comme d'habitude, il était monté sur un coup vite fait avec la bande de Nanar Le Fripé.
Ce sont les inspecteurs de la Voie Publique, les "Eliott Ness made in France, les supercracks de la maison Parapluie", qui leurs sont tombés dessus. Tout sauf un hasard, quelqu'un les aura renseignés. S'agit maintenant de retrouver le bavard et de libérer Pierrot.


Evasion, braquage, règlement de compte, tout y est ! Le grand banditisme des années 60, et le vocabulaire qui va avec : dialogues savoureux et parler populaire truffé d'argot, où s'invite aussi l'imparfait du subjonctif ! Bon, vous bilez pas, on "entrave" parfaitement ce que jactent les gars, même si on est des caves !

C'est désuet, bien-sûr, mais sacrément fleuri. Folklorique aussi, bien que le vernis de l'honneur, de l'amitié et de l'éthique du gangster a tendance à se craqueler sérieusement...

En passant, on constate aussi que la surpopulation carcérale ne date pas d'hier et que le verlan était déjà de mise à la fin des années 60, en prison justement.


Bref, un roman bien balancé. Gouailleur et gouleyant, c'est le mot.


Les Louchetracs / Jean Mariolle (Série Noire, 1969 ; rééd. La Manufacture de livres, 2009)

PS : dans le Voyage au bout de la Noire (inventaire de 732 auteurs et de leurs oeuvres publiés en séries Noire et blême, publié en 1982) de Claude Mesplède et Jean-Jacques Schleret, l'ancêtre du Dictionnaire des littératures policières en quelque sorte, on trouve une entrée à Jean Mariolle :
Est-ce son nom ou un pseudonyme par lequel il veut symboliser ses démêlés avec la justice ? On dit aussi que Salinas l'aurait aidé pour son livre Les Louchetracs
. Un bon roman roman noir d'ailleurs, dans lequel une bande de mauvais garçons entreprend de dévaliser une bijouterie parisienne.

D'après les informations de l'éditeur, Jean Mariolle est décédé durant la canicule de 2003.
Et quand on va voir l'entrée "Salinas", on tombe sur :
De son vrai nom Edouard Rimbaud, il est né à Marseille et reçoit plusieurs décorations après la guerre pour avoir aidé au débarquement des troupes américaines en Provence, comme agent du BCRA. Mais il va mal tourner et sera compromis dans des affaires de truands.
A la sortie de son livre traitant du trafic de drogue
Les pourvoyeurs, M.B. Endrèbe écrivait : "... si Rimbaud a pu se permettre de l'écrire sans craindre our sa vie, c'est qu'il lui reste encore vingt cinq années de prison à purger pour s'être fait arrêter à New-York..." (L'Aurore, 18/06/1974).

Sacrés loustics...
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2 novembre 2009 1 02 /11 /novembre /2009 16:32

A tort ou à raison, je me méfie un peu des auteurs ayant "baigné dans le milieu hollywoodien", craignant que la machine à rêves ne leurs fasse plus pondre que d'ennuyeuses histoires stéréotypées.
La 4ème de couverture et même les premières pages de ce roman allaient plutôt dans ce sens, d'ailleurs. Voyez plutôt : un Hell's Angel sur le retour vole au secours de sa fille poursuivie par des tueurs sadiques et sillone avec elle la côte Ouest dans une course échevelée.

Mais non, rien de calibré cette fois, contrairement aux apparences. Passés un ou deux chapitres, mes craintes se sont vite envolées, tandis que les pages défilaient sans que je m'en rende compte.


nullLydia, 17 ans, a fugué quand elle en avait 14 et vit depuis d'expédients de copines friquées. On n'est pas sérieux quand on a 17 ans, c'est bien connu, et on fait de mauvaises rencontres, comme celle avec Jonah Pincerna, un agent immobilier un peu particulier qui met à disposition de la mafia des "maisons-entrepôts" pour faire transiter de grandes quantités de drogue ou d'argent. Lors d'une expédition punitive, alors qu'il pousse Lydia au meurtre, celle-ci retourne l'arme contre lui et s'enfuit.
Paniquée, shootée à la méthamphétamine, elle n'a plus qu'une personne vers qui se tourner : un père qu'elle n'a presque pas connu et dont elle s'est forgée une image de rebelle héroïque.

J'ai nommé Link (to link : "relier", "se rejoindre"). Un Hell's Angel rangé des bécanes qui vivote désormais au bout d'une autoroute dans une caravane déglinguée. Un ex-taulard qui tente de recoller les morceaux en tenant la boisson la distance et en monnayant ses talents de tatoueur.
Trois ans qu'il n'a plus de nouvelles de sa fille, trois ans qu'il attend des nouvelles de la police ou des divers services des personnes disparues. Jusqu'à ce jour où il entend sa voix au téléphone.


Père de sang pourrait se contenter d'être une chouette histoire doublée d'un road novel ponctué de bagarres divertissantes.
Mais c'est un peu plus que cela.

Grâce aux personnages d'abord, particulièrement bien creusés, complexes, diablement attachants, entre cette gamine éperdue (et insupportable !), sa mère - une femme obnibulée par la réussite qui grimpe l'échelle sociale au gré de mariages successifs... et de dérouillées domestiques - et Link, ce bonhomme fatigué revenu de tout qui trouve à travers sa fille un peu d'espoir et de lumière en ce bas-monde, et va lui servir à la fois de dernier rempart et de tremplin.

Grâce ensuite à la manière dont l'auteur, sans se départir de nombreux clichés, parvient à s'en jouer et à les dépasser. Plutôt que les grandes étendues sauvages, il nous balade à travers "l'Amérique des caravanes", ces lotissements qui fleurissent au milieu de tous les nulle part et où échouent des gens complètement marginalisés. Plutôt que des Hell's Angels farouchement libres et indomptables, il nous montre un tas de vieux débris pitoyables, meurtriers et trafiquants, radotant sur leur gloire passée.

Grâce enfin à la prose limpide de Peter Craig, et à son talent de dialoguiste.


Au lieu du polar préemballé auquel on pouvait s'attendre, digeste peut-être mais sans saveur, on a finalement droit à du très bon roman, plus fin et meilleur qu'il n'y paraît.


Père de sang / Peter Craig (Blood Father, 2005, trad. de l'américain par Emmanuel Pailler. Rivages/Thriller, 2009)

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30 octobre 2009 5 30 /10 /octobre /2009 15:00

Des dunes froides de la Somme à la campagne de Dordogne, c'est toujours l'hiver.

Attiré comme tant de ses compatriotes par ce p'tit coin de campagne et la douceur de vivre à la française, notre narrateur, un anglais (au nom imprononçable et qui ne sera donc jamais mentionné) – vient d'élire domicile en Dordogne. Il s'est installé à La Berthonie, un simple hameau, et occupe une moitié de maison où il fait un froid glacial (« à l'époque où j'ai acheté la maison, je confondais encore l'inconfort et le pittoresque »).

Peintre oisif plutôt que naïf, il occupe son temps à écluser son whisky favori ou le Bergerac des voisins, et a quelques amis parmi la communauté britannique, anglais ou écossais excentriques et dilettantes qui « se retrouvent dans leurs clubs informels pour faire toutes sortes de choses et surtout pas grand-chose en buvant, dès que six heures ont sonné, de grandes quantités de toutes sortes de choses alcoolisées. »


nullLe récit commence par une veillée funèbre, où il est entraîné malgré lui, afin de présenter ses condoléances à une famille du voisinage ( parce que ce sont des choses qui se font, tin...). Le fils Caminade a été écrasé par un arbre alors qu'il était parti couper du bois. Quelque temps avant, c'est son frère qu'on avait retrouvé mort noyé (le mauvais oeil, tin...). Une coïncidence qui le titille, et ses doutes se confirment quand le médecin du coin, avec cette facilité qu'on a parfois à se confier à des étrangers, lui explique qu'il ne croit pas non plus à un accident, vu les marques constatées sur le corps.

Alors que ça ne le regarde en rien, et aussi pour tromper son ennui, notre anglais commence donc à jouer à Miss Marple, à tirer les vers du nez de ses voisins ; à suivre la vieille Hollandaise, celle qui habite le château avec un fils à moitié fou dit-on, et qu'on ne voit jamais ; à s'intéresser à « l'anglais de Pisse-chèvre », qui vit à deux pas et en quasi-autarcie.

Difficile de faire causer les autochtones, qui ne tiennent pas à remuer de vieilles histoires. Mais à force de poser des questions, il finit par en apprendre un peu, et notamment que la dernière guerre a tendance à sceller les lèvres et à provoquer un certain malaise...


L'intrigue, assez conventionnelle, ne vous fera pas frissonner – malgré le froid de février ; ce qui n'empêche pas qu'on tourne les pages sans s'en rendre compte, amusé par ce sujet de sa Majesté perdu en pleine jungle frenchie et découvrant avec étonnement, amusement ou consternation les us et coutumes locales.

On sourit devant sa perplexité face aux « complexité du tutoiement et du vouvoiement » qui lui font « employer des formules monarchisantes pour s'adresser à la boulangère » et « tutoyer les agents de police » ! Ou devant son incrédulité face aux moeurs libérées des femmes françaises - ou tout au moins c'est l'idée qu'il s'en fait après avoir fréquenté un spécimen. Une dénommé Martine, avec laquelle il joue "à l'anglais", commettant volontairement des fautes de prononciation par exemple, ou arborant ce fameux flegme anglais dont il est complètement dépourvu, ou encore l'invitant chez lui pour a cup of tee, alors qu'il déteste ce breuvage !

L'auteur se joue des clichés, déjoue les lieux communs, et nous offre avec ce court roman un petit cours d'anthropologie comparée qui ne manque ni de saveur ni d'humour.

A noter que si Louis Sanders a vécu en Angleterre, il vit en France depuis de nombreuses années et écrit dans la langue de Molière ; ses romans (notamment des polars jeunesse) se situent pour la plupart en Dordogne.


Extrait :

« Des tas de femmes avec des tas de gosse étaient assis sur les chaises le long du mur de la salle d'attente au centre de laquelle, sur une table basse en rotin, était posée une pile de vieux magazines de droite. Tous les médecins en France ont dans leur salle d'attente des magazines de droite, quels que soient leurs choix électoraux. Un journal communiste dans le cabinet d'un médecin communiste serait une chose impensable. »

Diablement vrai, non ?!

Une interview vidéo de l'auteur,
ici.


Février / Louis Sanders (Rivages/Noir, 1999)

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28 octobre 2009 3 28 /10 /octobre /2009 00:00
« La maison est là-bas. Martha n'a pas encore allumé. Elle m'attend dans le noir, elle est malheureuse, je me déteste»

 

 

L'hiver, quelque part dans la somme, une maison isolée dans les dunes. Un cocon où se sont réfugiés Victor Markiewicz, un universitaire vieillissant, et sa jeune maîtresse Martha. « Un endroit romantique, tourné vers le large. Parfait pour des amoureux à la recherche de solitude. Pour des gens qui se cacheraient aussi. »

Ses mèches rousses, ses yeux verts, sa peau diaphane. Victor en est fou amoureux, et peut enfin goûter pleinement à cet amour juvénile depuis la mort soudaine – et bienvenue – de cette épouse malade et acariâtre qui l'empêchait de vivre.

  

nullUn intrus s'est glissé malgré tout dans ce tableau idyllique : un voyeur qui observe depuis des semaines leur manège amoureux, fasciné par Martha. Candide, gracile et fragile Martha, fixant des heures durant un point sur l'océan et peut-être l'ombre de quelque drame enfoui. Sa présence et l'intrusion d'un rôdeur amorcent le drame à venir.

 

Pour un temps, la prévoyance et la méticulosité de Victor sauveront les apparences. Mais de la même façon que les cadavres sont rejetés sur la grève, les secrets finissent par remonter à la surface.

 

Le ressac des vagues grises, le vent qui pousse les nuages bas, la pluie, omniprésente, les villas closes, la torpeur hivernale et un mort encombrant. La désolation a tôt fait de contaminer les coeurs transis, qui fait naître les non-dits, prolonge les silences, insinue le doute et la suspicion entre les deux amants.

L'amertume, la frustration, l'incompréhension, le ressentiment s'insinuent lentement, aggravant la santé déjà fragile de Martha, plongeant Victor dans le marasme.

 

 

Finesse psychologique, tension narrative, fluidité et justesse de ton. Jeanne Desaubry, maîtrise parfaitement son récit – dont on entrevoit dans un prologue saisissant l'inéluctable et tragique dénouement - et nous sert un huit-clos magnifié par le paysage minéral et désert d'une station balnéaire en sommeil.

 

Le style dépouillé comme la grève, fait merveille, et tandis que les chapitres se succèdent comme de frêles esquisses, on voit apparaître peu à peu le motif final de cette sombre et destructrice histoire d'amour. Le motif ? Quelque chose comme cet obscur objet du désir...



Dunes froides / Jeanne Desaubry (Krakoen, 2009)

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24 octobre 2009 6 24 /10 /octobre /2009 00:00
Délaissons un moment l'actualité et la machine à nouveautés qui s'emballe, pour jeter un oeil en arrière, vers ces bon vieux classiques ou ces ovni littéraires, catégorie à laquelle appartient sans nul doute cette Nuit du Jabberwock du facétieux Fredric Brown (1906-1972), dont je vous avais déjà parlé il y a quelque temps avec La fille de nulle part.


nullDepuis plus de vingt ans, Doc Stoeger est rédacteur du (seul) journal de Carmel city, petite bourgade où, à son grand désespoir, il ne se passe jamais rien.
Ce jeudi soir, jour de bouclage, n'échappe pas à la règle. Une oeuvre de charité, un divorce, quelques publicités... Rien de notable.
Ce jeudi soir, jour de bouclage, n'échappe pas à la règle. A défaut d'avoir quelque chose sous la dent, Doc va se jeter quelques whiskies dans le gosier, en face chez son pote Smiley. Goûtant l'amertume du breuvage en même temps que la sienne. Ah ce qu'il aimerait, rien qu'une fois, tenir un scoop, raconter quelque chose qui en vaille la peine !
Il ne sait pas encore qu'il s'apprête à vivre la nuit la plus extraordinaire de sa vie, et des événements qui vont le combler au-delà même de toutes ses espérances...

C'est d'abord une rencontre avec un inconnu, un homme bizarre qui lui raconte des histoires à dormir debout à propos de Lewis Carroll et des messages contenus dans Alice au pays des merveilles.

S'en suit rapidement une cascade de péripéties et de rebondissements, bringuebalant le pauvre Doc, ce bonhomme plutôt frêle, arborant petites moustaches et lunettes (regardez donc une photo de l'auteur...), complètement dépassé par les événements et l'étrangeté de la situation à laquelle lui-même a du mal à croire !


Un pied dans l'univers onirique de Lewis Carroll - qui sert judicieusement de ressort à l'intrigue -, l'autre dans la plus pure tradition du pulp : Fredric Brown excelle - comme toujours - à mélanger les genres, à brouiller les pistes, et ce roman en est une belle illustration, qui tient à la fois de l'enquête, du mystère et du fantastique, agrémenté de cette petite touche de burlesque si caractéristique chez cet auteur.
Et de satire, quand il moque les errements déontologiques de la presse (lui-même travailla un moment au sein d'un journal) ou l'hypocrisie d'une petite ville de province.

Cela dit, autant ses romans sont farfelus, autant Fredric Brown ne laisse absolument rien au hasard et fait preuve d'une extrême rigueur dans la construction et la progression de son récit. Une véritable mécanique de précision.


Fredric Brown fait partie de ces conteurs qui nous font tourner les pages avec un plaisir fébrile. En ce début d'hiver où la nuit s'allonge, quoi de mieux qu'un peu de fantaisie et de mystère ?


Extrait (sans trop en dévoiler...) :
"Trois fois environ, au cours de cette interminable soirée, j'avais été au bord de l'ivresse, mais à chaque coup quelque chose s'était produit pour m'empêcher de boire pendant un moment et m'avait dégrisé. De petits incidents tout bêtes, comme d'être pris en otage par des gangsters ou de voir un homme mourir subitement et horriblement (...). Des petites choses comme ça."


La nuit du Jabberwock / Fredric Brown (Night of the Jabberwock, trad. de l'américain par France-Marie Watkins. Rééd. Rivages/Noir, 2007)


Quelques jours de congés m'attendent, et je n'aurai la semaine prochaine qu'un accès disons limité à internet. Un ou deux billets à poster, certainement, mais pas forcément la possibilité de répondre rapidement à vos commentaires, alors ne m'en veuillez pas, et que cela ne vous empêche pas de mettre votre grain de sel...
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