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14 février 2009 6 14 /02 /février /2009 00:00
Revoilà donc Ken Bruen, l'antidote irlandais à la grisaille ambiante et aux blues passagers, qui délaisse pour un temps son île natale et ses personnages fétiches pour une bal(l)ade américaine, loin d'être reposante vous vous en doutez, si vous avez déjà ouvert un de ses bouquins.
Si tel c'est le cas, vous savez aussi qu'un polar de Bruen ne brille pas par son intrigue millimétrée mais plutôt par ses personnages déjantés, son humour corrosif et ses situations burlesques qui balancent sans cesse entre le grincement de dents et l'éclat de rire.


S'il ne soigne pas beaucoup ses scénarios, il est en revanche toujours aussi pointilleux sur la bande-son (Springsteen, White Stripes, Hank Williams ici présents) et le casting :
Soit Dade, tueur-né et amateur de country suave, qui ouvre le bal en pulvérisant la voiture de son ex ainsi que ses occupants, enfants compris. Un bon samaritain comparé à Sherry, une "racaille blanche de parc à caravanes", aussi dangereuse et déchaînée qu'un cyclone tropical. 
Soit Stapleton, paramilitaire ultraviolent et ancien de l'IRA qui bouffait du soldat de sa Majesté avant de se reconvertir dans le braquage de banque.
Soient Tommy et Siobhan, respectivement ami d'enfance et maîtresse de Stephen, dommages collatéraux.
Soit, enfin, Stephen, notre premier rôle. Irlandais de Galway qui veut refaire sa vie en pays yankee, l'argent d'un braquage sous le coude et Siobhan à son bras.

Bien-sûr, rien ne se passe comme prévu, et la gentille virée de Stephen tourne au cauchemar. Tourmenté par la mort de son ami de toujours, abattu par le troisième comparse du braquage, et dans l'attente de Siobhan, sa banquière de copine restée en Irlande pour s'occuper du transfert de fond, il dérive au gré de ses excursions éthylliques, de New York à Vegas, de Vegas à Tucson, pour un règlement de compte final.


On retrouve dans Cauchemar américain les qualité de Bruen, son sens implacable de la formule, ce mélange de férocité et de tendresse, quand celle-ci va se nicher jusque dans les caniveaux de Galway et dans le fond des bocks de bière. Il nous offre en prime quelques beaux passages sur l'âme irlandaise, rugueuse, bravache, mélancolique, qui vous donnent envie de vous précipiter illico au comptoir RyanAir le plus proche.

Et malgré tout, ce n'est pas du grand Bruen, qui a déjà été plus drôle, plus incisif, plus émouvant. Est-ce aussi parce que j'attends beaucoup mieux de cet auteur ? Il y a de ça.

Ken Bruen a un immense talent de conteur et une facilité déconcertante, mais j'ai parfois l'impression qu'il s'en contente, sans vraiment aller au bout des choses. Comme cette belle amitié entre Stephen et Tommy, qu'il aurait pu développer encore, comme le conflit nord-irlandais qu'il effleure à peine.
Fumiste, pourrait-on dire, en exagérant. De grandes dispositions mais pas assez de travail, pourrait-on lire, sur un bulletin scolaire.
Voilà, j'attends encore ce grand roman, bien charpenté, dense et profond. Je l'attends parce que Ken Bruen est parfaitement capable de l'écrire.

Ah, et puis un truc agaçant à force, et particulièrement dans celui-là qui en est truffé, ce sont les références innombrables à tel film, tel roman, tel disque... Ok, j'aime bien Springsteen et Christopher Walken, Voyage au bout de l'enfer est un film somptueux, vrai, j'adore aussi James Lee Burke et je suis bien content de voir citer Andrew Vachss, mais j'ai eu parfois l'impression de parcourir la biblio-disco-DVD-thèque idéale de sir Bruen. Pas désagréable, mais elle prend de la place.


Alors, pour ceux qui ont déjà lu Bruen, allez-y sans crainte, on passe toujours un bon moment chez lui. Et pour les autres, attendez plutôt une autre occasion ou rendez-vous chez Jack Taylor ou R&B.


Cauchemar américain / Ken Bruen (American skin, 2006, trad. de l'anglais (Irlande) par Thierry Marignac. Gallimard, Série noire, 2009)
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13 février 2009 5 13 /02 /février /2009 13:50

"MONSIEUR, je viens de decouvrir sur votre site que vous faites reference au 'POINTILLISME LITTERAIRE'. je possede le droit de ce 'TERME' dont l'exploitation est deposer sur beaucoup de supports et notament la presse et les sites internet. je vous dois cette premiere mise en garde. je vous demande donc de revoir votre ecrit et d'enlever ce terme dans vos propos.... merci de votre comprehension. "

J'ai reçu ce mot doux (que je retranscris tel quel) il y a quelques semaines, posté en commentaire - et... non signé - d'un billet où j'utilisais ce terme à propos de la prose de l'écrivain James Sallis. Bref...
J'ai d'abord cru à une blague, mais j'ai bien l'impression que non et que ce monsieur est tout ce qu'il y a de plus sérieux !
Voilà une démarche assez... consternante, effarante quand même (les mots me manquent, pour le coup). Je ne me suis pas renseigné plus avant sur la législation en vigueur dans ce domaine, mais ça me semble tout bonnement hallucinant qu'on puisse acheter - et devenir proooopriétaire - de... noms communs ! Tout s'achète en ce bas monde ?! Et pourquoi pas ?!

-"Salut, chéri, t'as fais des courses ?"

-"Oui, 2-3 bricoles vite fait... dentifrice, jus de fruit... j'suis passé prendre du pain... ah, et puis aussi ce mot que tu m'avais demandé la dernière fois, tu sais, celui qu'on a entendu à la radio... Mercantilisme, oui, c'est ça. Y avait un lot en solde, du coup j'en ai profité, j'ai pris aussi faut pas charrier et parasite. Mais tu feras attention, t'as 3 mois pour t'en servir, après le contrat se termine... Tu m'entends ?"

D'abord étonné, puis franchement énervé - notamment par le ton vaguement menaçant du propos -, je lui ai poliment répondu d'aller se faire voir ailleurs. Depuis, pas de nouvelles. Mais si cette personne revient à la charge (mais je me demande bien sur quelle base juridique), je vous tiendrai au courant !


PS : ah, il faut d'ailleurs que je vous prévienne : j'ai acheté les droits de "thriller implacable", "ambiance crépusculaire" et "polardeux". Alors gare à vous si, en parcourant vos blogs, je tombe sur MES mots ! C'est l'huissier-au-cul dans la foulée !

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10 février 2009 2 10 /02 /février /2009 23:21
Naïri Nahapétian a quitté l'Iran à l'âge de 9 ans, après la Révolution islamique. Journaliste, elle y retourne régulièrement en reportage. Qui a tué l'ayatollah Kanuni ? est son premier roman et, bien qu'il soit écrit en français, fait figure de (premier ?) polar iranien.

Alors que l'Iran vient de placer en orbite son premier satellite, ce roman tombe à pic dans l'actualité (et comme le passé éclaire le présent...) : aujourd'hui 10 février, des dizaines de milliers d'Iraniens ont manifesté dans les rues de Téhéran pour célébrer le 30ème anniversaire de la Révolution islamique et la prise de pouvoir de l'ayatollah Khomeini. A cette occasion, le président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad a prononcé un discours où s'est dit prêt à reprendre le dialogue avec les Etats-Unis... tandis que fleurissaient dans la foule des pancartes prônant "Mort à l'Amérique, mort à Isräel". Un assouplissement qui a peut-être un lien avec les prochaines élections présidentielles, auxquelles devrait se présenter un adversaire de taille, en la personne de l'ancien président - modéré - (et bibliothécaire de formation, tiens...) Mohammad Khatami.

Khatami est encore Président quand débute le récit, quelques semaines avant la victoire surprise d'Ahmadinejad aux élections de 2005.

Narek Djamshid, jeune journaliste franco-iranien retournant dans son pays natal pour écrire un article sur la vie politique iranienne, est mêlé bien malgré lui au meurtre d'un juge influent - et de sinistre réputation -, l'ayatollah Kanuni.
Alors qu'il accompagnait Leila Tabihi, chef de file des féministes islamistes et candidate aux présidentielles (inspirée d'un personnage réel), il est arrêté et jeté en prison. Tout comme sa mère bien longtemps avant lui, et dont il a toujours ignoré le sort.
Tandis que les chaînes d'Etat évoquent la mort du juge en parlant de "crise cardiaque", Leila et son ami Mozaffar, un opposant laïque, tentent de comprendre ce qui s'est passé.

Si vous êtes adepte des romans d'énigme et voulez savoir qui a tué l'ayatollah Kanuni ? et pourquoi, vous allez rester sur votre faim. L'auteure semble parfois se rappeler de la question posée et sème quelques suspects et mobiles par-ci par-là, mais sans vraiment s'intéresser à la résolution du crime ni à la progression de l'enquête.

Peu importe ! L'intérêt n'est pas là, l'intrigue n'étant prétexte qu'à explorer les différents compartiments de la société iranienne, du monde étudiant à la communauté chrétienne en passant par la bourgeoisie et l'homme de la rue. 
L'auteure nous brosse un tableau assez sombre et désenchanté : corruption des chefs politiques et religieux, opacité de l'administration, culture de la paranoïa et obsession du Grand Satan, du complot sioniste et des ennemis de l'intérieur, difficultés de la communauté chrétienne, oppression des femmes, pauvreté...
Et aussi l'immense soif de liberté, notamment des jeunes générations, certains étudiants se destinant même à des métiers "exportables", en Europe ou aux... Etats-Unis.
 
Elle nous montre aussi un pays encore profondément marqué par la répression terrible du pouvoir religieux au début des années 80, exercée contre ses anciens alliés - les libéraux, les marxistes, les nationalistes, les laïques - , ceux-là même qui s'étaient battus contre le Shah et l'impérialisme étranger. Assassinats, torture, emprisonnement, disparitions... Une des périodes les plus noires de l'Iran, et qui reste complètement occultée. 


La 4ème de couverture indique que Naïri Nahapétian, avec ce roman, "souhaite donner de l'Iran une image loin des stéréotypes occidentaux".
Pari réussi. On en apprend énormément sur l'histoire contemporaine et le fonctionnement de ce pays, bien plus complexes que l'image déformée qu'on s'en fait habituellement.
Si on peut reprocher à l'auteure d'avoir écrit un récit un peu trop didactique par moments, à l'intrigue un peu mince, il n'en est pas moins riche, très intéressant et agréable à lire. 

Je me pose une question, tout de même : va-t-elle pouvoir continuer ses aller-retours en Iran, après avoir commis ce texte ?


Conseil(s) d'accompagnement
: on pense bien-sûr à la bande dessinée de Satrapi, Persépolis. Sinon, pour en savoir un peu plus, vous pouvez réécouter sur France-Inter l'émission 2000 ans d'histoire sur la naissance de la République islamique et la chute du Shah d'Iran. Très instructif. (diffusée hier, l'émission est disponible 30 jours)


Qui a tué l'ayatollah Kanuni ? / Naïri Nahapétian (Liana Levi, 2009)

PS : l'auteure sera présente jeudi 12 février - 18h30 - à la librairie Terminus polar (1 rue Abel Rabaud, Paris 11ème) pour une séance de dédicaces, en compagnie de Gérard Delteil et d'Anne-Laure Thiéblemont, publiés eux aussi chez Liana Levi.
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7 février 2009 6 07 /02 /février /2009 00:00

A l'heure où le nouveau gouvernement islandais envisage d'entrer dans l'Union Européenne, sort en France le nouveau roman d'Arnaldur Indridason. L'actualité principale n'est peut-être pas celle qu'on croit !
L'auteur islandais, maintes fois récompensé, rencontre, à chacun de ses romans, un public de plus en plus nombreux. Il surfe aussi sur la vague du polar nordique qui déferle depuis quelques années sur les tables des libraires, chaque marée apportant son lot de traductions et de nouveaux auteurs. Un courant froid qui traverse la production littéraire et prend parfois des allures de serpent de mer... Le tsunami Millenium est passé par là, et si le reflux profite à quelques auteurs comme Jo Nesbo, Matti Joenssu ou Indridason, c'est tant mieux.

Elias, un jeune garçon d'origine thaïlandaise, est retrouvé mort devant son immeuble. Poignardé. Qui a pu s'attaquer à cet enfant sans histoires dont tout le monde s'accordait à dire qu'il était adorable ?
La police, les médias pensent immédiatement à un crime raciste. Sunee, la mère de la victime, installée en Islande depuis quelques années, mariée puis divorcée, élève seule ses deux fils. Niran, l'aîné né en Thaïlande, a beaucoup de mal à s'intégrer à son pays d'accueil.

L'enquête de terrain débute. Erlendur et son équipe interrogent les voisins, les camarades d'école, les professeurs... Aucun indice, aucune piste. Comme Erlendur et son équipe, on tâtonne, tirant lentement le fil qui va nous mener jusqu'au bout de l'enquête, où nous attend un dénouement plutôt inattendu et vraiment accablant.


Alors qu'il exhume souvent des squelettes et d'anciens crimes pour construire ses intrigues (La femme en vert, L'homme du lac), Indridason s'attaque ici à un sujet bien actuel : l'immigration est un phénomène nouveau en Islande et, comme partout dans le monde, provoque des réactions contrastées parmi les habitants. 
Quand ce n'est pas la haine pure et simple, on sent les réticences, l'inquiétude, l'indifférence, mais aussi la compassion et la compréhension. La peur surtout. La peur du métissage. La peur irrationnelle de l'étranger. La peur des islandais de voir leur culture et leur histoire mixées dans un "fourre-tout multiculturaliste".

Indridason rend compte de ces changements et de ces questionnements avec beaucoup de nuance.  En laissant la parole à ses personnages, il multiplie les points de vue, tournant autour de son sujet pour mieux l'éclairer et en dégager toutes les facettes.

C'est l'hiver à Reykjavík. La nuit, le froid, la neige recouvrent tout. Le vent du Nord pousse les gens chez eux, où ils se calfeutrent en attendant les jours meilleurs ; l'auteur donne l'image d'une société repliée sur elle-même, peuplée d'islandais fiers de leurs traditions mais méfiants vis-à-vis de l'étranger, et le craignant d'autant plus qu'étant peu nombreux, ils seraient plus perméables au changement.


A la manière d'une ligne de basse, sourde et lancinante, une seconde intrigue vient se superposer à la première, la disparition d'une femme, qui fait écho à celle du propre frère d'Erlendur, quand ils étaient enfants. Léger bémol : l'auteur ne nous apprend rien de plus sur cette histoire, et ménage surtout les "nouveaux" lecteurs qui n'auraient pas lu ses précédents romans.
Hormis cette tentation du "si vous avez manqué le début" un peu redondante, Hiver arctique est un bon roman, où l'on retrouve avec plaisir un Erlendur toujours aussi taciturne et maladroit dans son rapport aux autres, mais dont les relations avec sa fille semblent - enfin - s'améliorer.

   
Conseil(s) d'accompagnement : essayez de mettre la main sur le n°4 de la revue XXI (l'article n'est pas disponible en ligne), il contient un article sur le polar nordique. Patrick Raynal est parti en reportage à la rencontre de  ces écrivains, avec quelques questions à leur poser (pourquoi leurs livres rencontrent-ils un tel succès ? Pourquoi écrire du roman noir ?...). Il en revient avec quelques éléments de réponses, et surtout des réflexions intéressantes sur ce phénomène (de mode ?).


Hiver arctique
/ Arnaldur Indridason (Vetrarborgin, trad. de l'islandais par Eric Boury. Métailié, Noir, 2009)

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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 00:00
Un bateau plein de riz est le sixième roman consacré au duo d'inspecteurs barcelonais Petra Delicado et Fermin Garzón, dont les interrogations et réflexions existencielles, souvent drôles et caustiques, font tout le charme de cette série et trouvent un large écho en nous.
Si les deux complices ont pris quelques rides depuis Rites de mort, les polars d'Alicia Gimenez-Bartlett, eux, sont toujours aussi alertes.

Quand un sans-abri est retrouvé dans un parc, apparemment battu à mort, les deux inspecteurs s'attendent à une enquête difficile mais sans surprises. Un témoin a même vu une bande de skinheads le trainer jusque-là avant de le rouer de coups. Sauf que l'homme était déjà mort, abattu d'une balle.
Qui peut bien avoir intérêt à tuer un SDF puis à organiser une telle mise en scène ?

Plus que par l'enquête - qui effleure le monde à la fois proche et méconnu des sans-abri et évoque la délinquance financière -, c'est à travers la vie privée de ses personnages que l'auteure explore la société espagnole : l'évolution des moeurs et des consciences, la lente mais progressive émancipation des femmes (la gente masculine en prend pour son grade, en passant !), les conflits de générations...

Petra et Fermin sont deux personnages qui incarnent chacun une facette de l'Espagne. Entre Garzón, flic l'ancienne et "vieux jeu", vieil ours maladroit, rigide et émouvant ; et Petra, plus moderne et ouverte. Anticonformiste, farouchement indépendante et dotée d'un humour féroce, c'est une femme entre deux âges qui s'interroge sur sa féminité, son désir et son pouvoir de séduction, 
 
Vous l'aurez compris, ici pas de super-flics aux supers pouvoirs de déduction ni de justiciers solitaires. Juste des gens comme vous et moi, empêtrés dans leurs tracas quotidiens, qui font leur boulot du mieux possible et essayent de se tailler une petite part de bonheur.


Un bateau plein de
riz, même s'il aurait gagné à être un peu plus élagué, est un bon polar, dans la lignée des précédents, et on a beaucoup de plaisir à retrouver les deux compères et à les voir évoluer.
Bien-sûr, ceux qui ne jurent que par les polars bien déjantés ou très noirs en seront pour leurs frais, mais ce serait dommage de se priver de cette petite escapade catalane.

D'ailleurs, c'est à se demander pourquoi Gimenez-Bartlett ne connait toujours pas en France un véritable succès. Des intrigues bien ficelées, des personnages attachants et familiers, un regard aiguisé sur ses contemporains, le tout relevé d'ironie mordante et recouvert d'une bonne couche d'humour fin. Que demander de plus ?!


Un bateau plein de riz / Alicia Gimenez-Bartlett (Un barco cargado de arroz, trad. de l'espagnol par olivier Hamilton et Johanna Dautzenberg. Rivages/Noir, 2009)
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31 janvier 2009 6 31 /01 /janvier /2009 13:07

Bien-sûr, j'avais déjà pensé au travail et au rôle des traducteurs. Certains d'entre eux, même, revenaient souvent dans mes lectures, comme Brice Matthieussent par exemple, traducteur de Fante, Jim Harrison, Pete Dexter... Presque une antienne, au bout d'un moment.

Mais... ce n'est pour autant que je les mentionne dans mes billets.

Or, ces derniers temps, je pense à eux de plus en plus souvent. Ça me tracasse, même.

La faute aux derniers romans de Lehane et d'Evangelisti, remarquablement traduits par, respectivement, Isabelle Maillet et Serge Quadruppani. Ce dernier est doublement fautif d'ailleurs, qui a encore dû réaliser une prouesse de traduction avec le nouveau roman d'Andrea Camilleri, comme d'habitude truffé d'argot et d'expressions issus des différentes régions siciliennes. Autant d'obstacles linguistiques que Quadruppani franchit toujours avec brio.

La faute encore à une petite discussion par commentaires interposés sur un blog "polardeux" (Noirs desseins) à propos de l'édition française. Je soulignais l'excellent travail de prospection et la curiosité des éditeurs, grâce auxquels les littératures étrangères sont si bien représentées en France (mais oui...) et, le croirez-vous, personne n'a eu la présence d'esprit de me faire remarquer que j'avais omis de parler des traducteurs !

La faute toujours au très intéressant Journal d'un traducteur d'Emmanuel Pailler (traducteur de Lovecraft et Westlake entre autres). Et aussi à l'excellente interview du bonhomme par JM Laherrère sur Actu-du-noir.

La faute enfin à cet article paru dans Médiapart, sur la (délicate) situation économique des traducteurs en France.


Bref, vous l'aurez compris, ce n'est pas de ma faute...
Je n'y suis pour rien si jusqu'à maintenant, par négligence ou par paresse, je n'indiquais jamais le traducteur dans mes billets, seulement le titre original du livre.
Mais, dans ma grande magnanimité, je veux bien passer l'éponge, et désormais je dévoilerais systématiquement le nom du traducteur (ou de la traductrice...) ; en reprenant aussi les billets publiés jusqu'à présent, voilà.

Et vous me copierez cent fois : "les traducteurs sont des auteurs/lecteurs comme les autres" !

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29 janvier 2009 4 29 /01 /janvier /2009 00:00

"C'est une longue et triste histoire. Non. C'est une longue histoire comique et ridicule".


Mario Alvarez, ancien professeur d'anglais (et amateur de Chandler et d'Hammett), vient d'arriver à La Paz, avec en poche quelques pesos, quelques grammes d'or et une obsession : obtenir un visa de tourisme pour aller voir son fils en Floride... et y rester.
Vêtu de son plus beau costume, il se rend au consulat américain, muni de fausses attestations de ressources. Mais une fois sur place, il panique et s'enfuit avant même d'avoir plaidé sa cause, persuadé qu'il va être démasqué.
A partir de ce moment, Mario va tenter par tous les moyens détournés d'obtenir le précieux sésame.

Arpentant les rues de La Paz, il va croiser sur sa route une ribambelle d'individus plus ou moins recommandables, chacun éclairant un pan de la société bolivienne et de son histoire. Député véreux et gonflé d'orgueil ajustant ses convictions politiques au pouvoir en place, qu'il soit dictatorial ou démocrate, poétesse renommée se lamentant sur la perte de l'accès à l'océan Pacifique, mais aussi escroc arnaquant les candidats au rêve américain, trafiquants de drogue, travestis achetant leur tranquillité aux agents de police...


Des hauteurs de La Paz, où s'entassent dans la promiscuité et la pauvreté le petit peuple - vendeurs ambulants, prostituées, artisans, indiens, garçons de café... - aux beaux quartiers où se retrouvent aristocrates et gens de pouvoir, la visite est éloquente. Déjà terminée qu'on n'aura pas vu le temps passer.

Notre guide s'appelle Juan de Recacoechea, né à la Paz en 1937 et journaliste en Europe durant de nombreuses années. Aucun pathos ni jugement de sa part, il donne simplement à voir.
Avec humour et philosophie, jamais pontifiant, il nous dit d'une voix enjouée les injustices et les contradictions de son pays, malgré le dépit et l'agacement qui pointent parfois au détour d'une phrase.
Prenant tour à tour les intonations du roman noir ou les accents du chroniqueur social, il nous raconte, à travers celle de Mario, l'histoire de la Bolivie contemporaine et en grande partie celle de l'Amérique latine, notamment dans ses rapports complexes (...d'infériorité, souvent) avec le voisin nord-américain.

Les Etats-Unis comme eldorado ? Non, plutôt la seule voie pour échapper à la misère et aux horizons bouchés dans un pays où la naissance est un facteur déterminant, où les classes sociales sont solidement délimitées. Voilà à quoi tente de se soustraire - maladroitement - Mario, antihéros attachant, mélange de Candide et de K., le personnage du Procès de Kafka.

American visa est l'histoire d'une chimère, et l'un de ces beaux romans sud-américains qui mêlent si bien la farce et le drame.


American visa / Juan de Recacoechea (American visa, trad. de l'espagnol (Bolivie) par Isabelle Gugnon. Ed. Panama, 2008)

PS : aux dernières nouvelles, ça va plutôt mal pour les éditions du Panama, actuellement en redressement judiciaire. A suivre...

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26 janvier 2009 1 26 /01 /janvier /2009 11:09

Si, économiquement, les libraires sont les parents pauvres de la chaîne du livre - en particulier les indépendants, les "petits" libraires -, ils n'en jouent pas moins un rôle primordial, en termes de promotion de la lecture, et en particulier de la littérature. Je sais, oui, j'enfonce des portes ouvertes, mais j'avais envie de le dire.

Et si je me lamente à chaque fois que je vois le centre-ville où j'habite envahi infesté (oui, ça m'évoque un virus ou un banc de requins) par les agences immobilières, bancaires et autres cabinets d'assurances, sans qu'il n'y ait jusqu'à maintenant une librairie digne de ce nom (peut-être la proximité de la FNAC y est-elle pour quelque chose...), je me console en trouvant dans le monde virtuel d'internet quelques bonnes adresses.
En voici quelques-unes, que vous connaissez peut-être déjà... ou pas :

Depuis quelques années maintenant, Bernard Strainchamps, ex-bibliothécaire et instigateur de feu Mauvais genres, a ouvert sa librairie virtuelle, j'ai nommé 
Bibliosurf.
Des livres de cuisine aux guides touristiques en passant par la littérature, on y trouve de tout (et si vous ne trouvez pas, le libraire peut vous le commander) et notamment de nombreux outils sur le polar : dossiers thématiques, géolocalisation des romans,
timeline qui retrace par thèmes 100 ans de romans policiers...
Un énorme travail pour une mine d'informations.
Désormais, et c'est tout nouveau, vous pouvez bénéficier d'une remise de 5% en commandant chez Bibliosurf (et d'une livraison gratuite à partir de 15€ d'achat). L'opération dure jusqu'au 28 février, et B. Strainchamps fera ensuite un bilan pour voir si il peut continuer à octroyer cette remise sans perdre trop de plumes.
Alors allez y faire un p'tit tour, avant le 28 février... et même après.

Bernard Strainchamps est aussi très actif sur le le blog Livres échanges de Libération, lieu de discussion entre libraires (mais pas seulement) qui permet de connaitre un peu mieux ce métier et ses aléas, du système de facturation aux offices forcés en passant par les problèmes de stockage des livres .

Moins technique, mais tout aussi intéressant, je vous invite vivement à pousser la porte d'un blog que je viens de découvrir avec grand plaisir : Les libraires se cachent pour mourir ! (le bandeau est magnifique, je trouve). Contrairement à ce que peut laisser supposer le nom du blog, notre libraire est bien vivant et il raconte son métier au quotidien, avec beaucoup d'humour et de passion. 


Souhaitons longue vie aux libraires !

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24 janvier 2009 6 24 /01 /janvier /2009 00:00
Si vous êtes de ceux qui classent et organisent leur bibliothèque personnelle (quelle idée !...), Valerio Evangelisti va vous poser quelques problèmes ! Arpentant à la fois les champs du roman noir, historique, d'aventures et même fantastique, il est l'auteur d'une oeuvre riche, variée et cohérente dont le sous-titre général pourrait être : une histoire de la violence à travers les peuples et à travers les siècles.

En voici un nouveau chapitre, avec ce roman ambitieux, dense, et très bien documenté. Evangelisti y retrace, de 1859 à 1890, la genèse de la nation mexicaine et de son identité.

Une histoire sanglante, où se succèdent sans répit carnages et batailles, dans laquelle vont se croiser personnages réels et fictifs, parmi lesquels William Henry, ranger sudiste puis mercenaire à la solde du Président mexicain, Marion Gillespie, une texane obsédée par le pouvoir et la respectabilité, Margarita la paysanne devenue révolutionnaire, le bandit galant Santos Cadena... Des individus bien peu recommandables pour la plupart, et qui forment un motif assez sombre des passions humaines.

Le Mexique traverse alors une période particulièrement mouvementée, et ses frontières sont aussi mouvantes que les régimes et les alliances politiques : ingérence américaine, lutte acharnée entre les conservateurs et les libéraux, les républicains et les monarchistes, émergence des idées socialistes, invasion armée des européens...
Le désordre et la barbarie sont partout. D'un camp à l'autre. Une seule constante : les pauvres sont exploités et maltraités, les noirs et les indiens massacrés à qui mieux mieux. Les idées de Progrès et de Liberté, même, poussent aux pires atrocités. Du ridicule au tragique il n'y a qu'un pas, et cette coulée de feu a le goût d'une farce macabre.  

Vu la profusion des personnages, des lieux, des dates, on a parfois un peu de mal à suivre le déroulement de l'histoire, d'autant plus qu'Evangelisti passe de l'un(e) à l'autre sans nous prévenir, au début d'un chapitre ou d'une nouvelle partie, ce qui nuit aussi à la fluidité du récit.
De ce point de vue, si la chronologie et les cartes, situées au début de l'ouvrage, sont les bienvenues, une liste des personnages ainsi qu'un glossaire des termes espagnols n'auraient pas été superflus.
En tout cas, lire La coulée de feu nécessite d'avoir l'esprit clair et concentré, inutile donc de reprendre la lecture après une journée bien chargée : 1 page en avant, 2 en arrière pour vérifier quelques chose, et vous allez irrémédiablement revenir au début du texte ! Heureusement les nombreux dialogues permettent d'aérer un peu 400 pages compactes et riches en détails.

Mais le principal reproche que je peux faire à ce roman, c'est son manque de souffle et d'entrain. Si le propos de l'auteur est très intéressant, sa prose et son sens de l'intrigue impeccable, je n'ai pu me défaire de cette impression d'assister à un cours magistral - "Naissance de la nation mexicaine, entre diplomatie et lutte armée" ... ! - , brillant certes, mais quelque peu dénué d'émotion. Si bien que j'ai gardé, tout au long du récit, une certaine distance par rapport aux événements et aux itinéraires des personnages.


Donc, je suis à la fois content de l'avoir lu et... de l'avoir terminé.
Vous voyez ?
a) Oui, je vois très bien, j'ai déjà ressenti cela à la fin d'un bouquin.
b) Non, ça ne veut rien dire, qu'est-ce que c'est que ce blog ?!
c) Pas vraiment, mais je peux aller voir un autre avis, sur Actu-du-noir par exemple.


La coulée de feu / Valerio Evangelisti (Il collare di fuoco, trad. de l'italien par Serge Quadruppani. Métailié, 2009)
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20 janvier 2009 2 20 /01 /janvier /2009 00:00

J'étais plutôt... circonspect en ouvrant ce roman.
Si les polars de William Lashner soulèvent un certain enthousiasme sur quelques sites et forums, je n'étais pas vraiment emballé ni par le titre - "ce soir sur M6..." - ni par la couverture, affiche de pub genre "Le nouveau gloss Trucmuche : la sensualité à fleurs de lèvres". On allait bien voir...


Auteur d'une série consacrée à l'avocat Victor Carl, et ancien avocat lui-même, Lashner connait son droit sur le bout des doigts et maitrise parfaitement les arcanes de l'institution judiciaire. Mais il a le bon goût de ne pas nous abreuver de détails et de procédures juridiques ; d'ailleurs, à aucun moment du récit vous ne passerez à la barre, l'avocat se muant plutôt en enquêteur afin de demêler les fils de l'intrigue en même temps que les noeuds de sa propre existence erratique.

null"Bon, très bien, voilà où on en était. Il y avait le toubib en viande froide. Il y avait le flic qui pensait que je l'avais flingué. Il y avait l'avocat servile aux expressions de lycéen "tueur de masse" qui me menaçait de conséquences désagréables. Il y avait le gangster russe flanqué de son acolyte espagnol (...). Il y avait un vieux copain d'école du mort nommé Miles Cave, qui était aux abonnés absents, mais qui pourtant paraissait être au centre de toute cette histoire. Et il y avait cette fille qui était soit la clé de mon avenir, soit une meurtrière impitoyable qui essayait de toutes ses forces de me faire porter le chapeau."

Cette fille, Julia, c'est l'ancien amour de Victor, la blessure qui ne s'est jamais refermée, la traîtresse qui l'a quitté pour un... urologue.
Alors quand elle le recontacte, il voit déjà "rejaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux". Quand la raison lui souffle que ce n'est peut-être pas une bonne idée de coucher avec son ex-maîtresse, et que les volcans, c'est dangereux.
Et quand, juste après avoir "fêté vos retrouvailles", deux flics débarquent chez vous pour vous annoncer que le mari de votre dulcinée vient d'être assassiné, vous commencez à vous demander dans quel pétrin vous vous êtes fourré...


Je dois dire qu'au bout de quelques pages, mes appréhensions se sont vite évanouies, pour laisser place à un réel plaisir de lecture, grâce à la jolie plume de l'auteur : son ton caustique, son style alerte, drôle et imagé font mouche, à chaque coup ou presque.
On suit avec amusement les péripéties et les déboires amoureux du pauvre Victor, un personnage auquel on s'attache rapidement, conquis par son humour, son doux cynisme et son sens de la répartie, indulgent pour ses petites lâchetés, touché par sa sensibilité.
Ajoutez à cela une intrigue solide, des personnages bien campés - et notamment une belle brochette d'affreux -, et vous obtenez un baiser fort agréable, à défaut d'être inoubliable.

Le Baiser du tueur, septième roman de la série, est peut-être aussi un baiser d'adieu, ou un long au-revoir en tout cas, puisque William Lashner nous dit dans sa postface : "Victor et moi avons décidé de nous séparer quelques temps (...). Avant que nous nous enlisions dans la routine, nous avons pensé tous les deux qu'il valait mieux commencer à fréquenter d'autres personnes."
Il a peut-être raison, car si cet épisode m'a bien plu, je me demande s'il est aussi bon que les précédents. Je n'en ai lu aucun, mais à lire la critique dithyrambique des Prévaricateurs par exemple, celui-ci semble être en ton en-dessous. Peut-être les fans de Lashner iront-ils dans ce sens ?
En attendant, ce polar m'a donné envie de revenir en arrière dans la biographie de ce sympathique Victor Carl.


Le Baiser du tueur / William Lashner (A Killer's Kiss, trad. de l'américain par Nordine Haddad. Ed. du Rocher, 2009)

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