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15 mai 2008 4 15 /05 /mai /2008 00:00
Le titre à lui seul est une promesse : La vie de Marie-Thérèse qui bifurqua dans la vie quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive !

Michel Boujut (critique de cinéma et auteurs de nombreux ouvrages sur le sujet) a déjà commis un "polarjazz" avec Souffler n'est pas jouer, où il lance deux malfrats sur les traces de Louis Armstrong.


Il récidive, cette fois en s'intéressant à Marie-Thérèse "Désormeaux" (l'auteur a modifié le nom), dite Maïté, héroïne trouble d'une affaire sordide, un fait-divers qui à la fin des années 50 a fait les choux-gras des journaux : Jean Lannelongue, patron de la Tournerie des drogueurs, la fameuse boite de jazz de Toulouse, est assassiné par un inconnu. L'enquête ne tarde pas à désigner Antoine Braganti, un bandit corse déjà recherché par la police. Accompagné de deux acolytes et de Maïté, sa maitresse, il s'enfuit. La cavale est de courte durée : quelques jours après leur fuite, Braganti est descendu par son propre complice. Le reste de la bande ne tarde pas à être arrêté.

Le procès qui suit fait grand bruit, et tous les yeux sont braqués sur la Maïté, effacée, timide, de bonne éducation (sic), qu'on s'étonne de voir sur le banc des accusés. Comment cette jeune femme, accablée et d'apparence si fragile, a-t-elle pu se laisser entrainer dans cette histoire ?


C'est une vieille photographie, où l'on voit Marie-Thérèse en compagnie du bluesman Big Bill Broonzy, retrouvée entre les pages d'un David Goodis, qui a poussé Michel Boujut à remuer les cendres. Une photo parue dans Sud-Ouest, et portant cette légende : Coïncidence ? Marie-Thérèse [Désormeaux] bifurqua dans la vie à partir du moment où sa passion pour le jazz etc...
Boujut enquête. Rencontre journalistes, avocats, chroniqueurs judiciaires et témoins divers, toute personne susceptible de lui en apprendre un peu plus sur la personnalité de Maïté. Consulte les archives, fouille, conjecture, reconstitue peu à peu les zones d'ombre.
Par l'intermédiaire de la fiction, il redessine patiemment les contours d'une silhouette fugitive, donne une réalité à cette image qu'il s'est forgée.
Une réalité qui, au bout de l'enquête, rejoint et dépasse la fiction...

Atmosphère, atmosphère...
Mais au-delà du personnage, me direz-vous, quel intérêt à exhumer une vieille histoire comme celle-là et semblable à tant d'autres ?
Parce qu'à travers la figure de "son héroïne", c'est toute une époque que Michel Boujut revisite et ranime : les caves enfumées où rebondissent des notes de swing, les grandes heures du Hot Club de France, l'avènement du bebop... Le tout sur fond de Guerre d'Algérie.
Une chronique émouvante et vaguement nostalgique d'un monde disparu.


Conseil(s) d'accompagnement
: le saxophone de Guy Lafitte, un habitué de la Tournerie des drogueurs.


La vie de Marie-Thérèse qui bifurqua quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive / Michel Boujut (Rivages/noir, 2008)
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7 mai 2008 3 07 /05 /mai /2008 00:00

No se puede negociar con la muerte, pero sí se puede hacer negocio con ella : « On ne peut négocier avec la mort, mais il est possible de faire du négoce grâce à elle. »

 

Un proverbe mexicain qui illustre à merveille ce court polar de Bernardo Fernandez, un jeune auteur encensé par Paco Ignacio taibo II himself, qui voit dans Une saison de scorpions "un concentré de Barry Gifford et de Sam Peckinpah". Et il est vrai que ce livre n'est pas sans rappeler le film Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia, avec cette alliance surprenante d'hyperviolence et de burlesque, le tout raconté sur un ton badin ; quand la mort brutale soulève, tout au plus, une vague désapprobation...


Alberto Ramirez Montelongo, dit El Guero (le Scorpion), commence sérieusement à se ramollir : pour avoir refusé d'honorer son dernier contrat, attendri par ce bon père de famille, c'est à son tour d'être pourchassé par les sbires de son ancien employeur... Ce n'est pourtant pas faute de s'être préparé convenablement :
"Nous autres chasseurs aimons beaucoup les rites. Certains se mettent à poil avant de pénétrer dans la forêt, couteau à la main, pour tuer le cerf.(...) D'autres encore se frottent entièrement le corps avec la graisse de l'animal qu'ils vont tuer ; il y a aussi ceux qui s'immergent dans un cours d'eau glacée pendant plusieurs jours. Moi, je démonte mon arme et je la graisse avec le plus grand soin avant de tirer deux balles sur ma proie." Autant aller à l'essentiel, non ?!

On finit ce livre à moitié essouflé, ravi aussi par cette farce morbide, impitoyable(ment drôle) où l'on croise pêle-mêle : narcotraficants, braqueurs de banques, policiers corrompus, tueurs à gages (Laurel & Hardy revus et corrigés par Tarantino !), une Impala 1970 avec des flammes peintes sur les côtés, une tenancière de bordel, un indic, un général mort...
 
Décalé, truculent, caustique, Une saison de scorpions est un polar réjouissant, où le cocasse le dispute à l'absurde, dans une valse de quiproquos et de personnages haut-en-couleur.

Derrière le "grandguignolesque", on peut aussi percevoir la critique acerbe d'un écrivain qui utilise la farce pour dénoncer la corruption et le trafic, devenus monnaie courante au Mexique où, décidément, la vie et la mort sont si étroitement mêlés.

Un conseil : à déguster bien frais par une après-midi qui s'étire, alanguie sous un soleil de plomb.


Une saison de scorpions / Bernardo Fernandez (trad. de l'espagnol (Mexique) par Claude de Frayssinet. Moisson rouge, 2008)

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30 avril 2008 3 30 /04 /avril /2008 23:46

Entre 1965 et 1975, le couple (à la ville comme à la scène, comme on dit) Maj Sjöwall - Per Wahlöö a écrit une série de dix romans qui, à travers les enquêtes de Martin Beck et de son équipe, sonde la social-démocratie suédoise.
Jusque-là réduite aux romans d'énigmes "agathachristiens", la littérature policière suédoise doit beaucoup à ces deux précurseurs, adeptes du police procédural.

Dans l'arbre généalogique du roman de procédure policière, Sjöwall et Wahlöö occupent d'ailleurs une place de choix : influencée par Ed McBain ("Ed la genêse" pourrait-on dire), leur oeuvre a très largement inspiré les auteurs nordiques (et bien au-delà) dont est si friand le public aujourd'hui - Henning Mankell en tête, qui signe une intéressante préface à Roseanna, ressemblant diablement à une... reconnaissance de dette.


Epuisés depuis quelques temps déjà et seulement disponibles chez quelques bouquinistes ou dans les médiathèques, (tous?) les romans de Sjöwall & Walhöö vont être réédités dans la collection Rivages-Noir, et dans une nouvelle traduction s'il vous plait (les éditions précédentes étaient traduites de l'anglais). Une fois de plus, on peut souligner l'excellent travail de cet éditeur, soucieux de sauvegarder et de promouvoir un patrimoine littéraire.


Roseanna, le premier de la série, nous fait découvrir l'enquêteur Martin Beck. Empêtré dans un mariage morose, Il passe ses journées au travail, où il excelle : calme, rigoureux, réfléchi, obstiné, et d'une patience à toute épreuve, comme on peut le constater au fil de cette enquête longue et sinueuse. 
Le corps nu d'une jeune femme est retrouvé au fond d'un canal. Si les circonstances laissent présager un crime sexuel, la police n'apprend son identité que trois mois plus tard : il s'agit d'une jeune touriste américaine appelée Roseanna McGraw. Dès lors, l'enquête peut véritablement débuter ; Beck et ses hommes reconstituent peu à peu les derniers jours de la jeune femme. Une affaire qui commence à obséder notre cher et placide inspecteur qui tient absolument à coincer l'assassin. Avons-nous affaire à un sérial killer sanguinaire et démoniaque ? Non. Le mal se cache parfois sous les traits communs d'un citoyen modèle.


Sjöwall et Wahlöö maitrisent parfaitement les arcanes et circonvolutions de l'investigation policière, qui avance au gré d'un lent travail d'enquête et de soudaines accélérations. Quand aux personnages secondaires (si souvent relégués au rang de faire-valoir dans quantité de polars, au profit d'un seul héros), ils possèdent une vraie personnalité qui renforce la vraisemblance et la densité du récit.

Un roman - et une série - aux qualités littéraires indéniables qui ravira les amateurs de procédure policière et qui permet aussi de mieux comprendre les origines d'un genre policier.
En un mot : incontournable.

 

Roseanna / Maj Sjöwall et Per Wahlöö (Rivages-Noir, 2008)

PS : est paru simultanément le second volet de la série : L'homme qui partit en fumée.
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29 avril 2008 2 29 /04 /avril /2008 16:02
La famille de l'écrivain décédé en 1995 a décidé de léguer (généreusement) l'ensemble de ses manuscrits à la Bibliothèque Nationale.
Carnets de notes, dessins, correspondance, ébauches... : des archives qui devraient ouvrir de nouvelles perspectives sur l'oeuvre de Manchette et faire le bonheur des chercheurs et amateurs en tous genres.

Une autre bonne nouvelle nous vient des éditions Gallimard, qui s'apprêtent à publier les premiers cahiers de son Journal, rédigé entre 1966 et 1995 (le premier tome couvre la période 1966-1974, sortie prévue le 2 mai).


Voilà qui devrait ravir les inconditionnels de l'écrivain et nous donne l'occasion de (re)découvrir cet immense auteur trop souvent réduit au titre de "père du néo-polar".
Dix romans en dix ans. De 1971 à 1981, Jean-Patrick Manchette a publié dix romans "d'intervention sociale" qui ont contribuer à faire entrer le polar français dans la modernité. La dérive terroriste (Nada), le blues de la police (Morgue pleine) ou celui des cadres (Le petit bleu de la côte ouest)... : son oeuvre aborde de front la société contemporaine, quand elle ne met pas carrément les pieds dans le plat (L'affaire N'Gustro, en référence à l'affaire Ben Barka) !
Mais il ne faut pas réduire ces romans à leur aspect documentaire : Manchette fut d'abord un grand styliste. Epurés, imagés, se bornant aux faits et gestes dans une apparente simplicité, les romans de Manchette sont avant tout de petits bijoux littéraires.

Enfin, le plus important aujourd'hui, outre l'influence qu'il a exercé sur de nombreux auteurs, c'est que Manchette est encore et toujours lu : les rééditions successives rencontrent à chaque fois de nouveaux lecteurs, tandis que se multiplient les contrats de droits étrangers ; ses romans sont traduits en allemand, espagnol, italien, anglais, polonais, tchèque, vietnamien... !

Comment expliquer un tel succès, notamment auprès des jeunes générations ? La réponse d'Alain Dugrand, un autre "écrivain du réel" : "Parce que dans ses romans on ne s'emmerde pas. Les personnages ne prennent pas la pose devant la cheminée du salon. Le refus des sentiments et la radicalité de la phrase tranchent toujours autant avec cette littérature molle qui nous envahit à chaque rentrée littéraire. Manchette est profondément un écrivain de l'action, de la cité et de la ville. C'est pour cela qu'il restera très longtemps moderne." (Livres-Hebdo, 11/04/08)



PS : vous pouvez retrouver Manchette en images sur le site de Libération, dans la rubrique Album des écrivains.
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22 avril 2008 2 22 /04 /avril /2008 00:00
 Moisson Rouge est un tout nouvel éditeur indépendant, qui s'oriente très nettement vers le roman noir. Publiant des auteurs contemporains, ils rééditent aussi des classiques comme Robert Bloch (ah, la bonne idée !) ou Fredric Brown (à venir). Prometteur.


Ecrit en 1977, Sang futur se veut un texte résolument punk : Vila nous livre un texte violent, sombre, halluciné et sans issue.

Des tranches de vie baignant dans le nihilisme le plus radical. No future ! Et en effet, les personnages de ce court roman n'en ont ou n'en veulent pas. Chez eux, pas d'espoir, pas même de recherche de solution. Ils ne sont pas là pour ça.

A l'image des membres du groupe White Spirit Flash Club, des déjantés qui partagent leur temps entre riffs furieux, baises sordides, défonce et coups bas. On y trouve El Coco Kid, l'écrivain toxico chroniqueur du groupe, Sarah, le travelo marqué par une croix gammée à l'entrejambe ou encore Dickie la Hyène, tueur de flics...

Ce texte m'a laissé perplexe. Pour être franc, j'ai même fini par me demander si l'auteur avait mis beaucoup plus de temps à écrire ce livre que je n'en ai mis à le lire...
Sang futur est un concentré d'énergie, mais qui a tendance à s'éparpiller et se liquéfier au fil de la lecture.

Certes, il possède une certaine force, due notamment aux images - celles qui illustrent le récit et celles que fait naître l'auteur - ainsi qu'à l'effet incantatoire du roman (très peu de ponctuation, des phrases courtes, hachées), mais je ne suis pas convaincu par le propos de Vila : si on sent clairement qu'il privilégie l'ambiance à la trame, son roman manque de densité et donne d'ailleurs un effet "clip". Quant aux personnages, ils n'ont ni réelle texture ni véritable personnalité. Dernière chose : je ne suis pas sûr que Sang futur reflète fidèlement la philosophie punk...

Alors, supercherie, coup de génie ou simplement un gros délire ? Je serai curieux d'avoir d'autres avis...


Sang futur / Kriss Vila (Moisson Rouge, 2008)
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20 avril 2008 7 20 /04 /avril /2008 18:22
Après De chair et de sang et De cendre et d'os, voici le troisième et dernier (?) volume de la série consacrée à l'ancien flic Frank Elder. Du même (gros) calibre que les précédents.

nullToujours reclus volontaire au fond de ses Cornouailles, Frank cède cette fois aux appels de son ex-femme Joanna : la soeur d'une de ses amies a disparu depuis une semaine. Presque à contrecoeur, notre ex-inspecteur rejoint Nottingham, ce qui lui donne surtout l'occasion de revoir sa fille, qui se remet lentement de l'épreuve qu'elle a traversée deux ans plus tôt, épisode relaté dans De chair et de sang (je me permet d'insister sur l'intérêt de lire ces trois romans dans l'ordre, pour comprendre d'autant mieux les rapports d'Elder avec sa fille, son ex-femme ou ses anciens collègues).
Quelques jours plus tard on retrouve la femme chez elle, allongée tranquillement sur son lit, élégamment vêtue, sans vie. Les circonstances, le soin apporté par l'assassin au corps de la victime rappellent à Elder une ancienne affaire non élucidée. Il est bientôt engagé comme consultant civil par la police et retrouve Maureen Prior, avec qui il a travaillé autrefois.

L'enquête commence, incertaine, sinueuse... On tente de trouver un lien entre les deux meurtres. Elder réinterroge d'anciens témoins, les sonde, en bon flic déductif et psychologue. Renseignements, témoignages, indices : on vérifie, on croise, on suppute, on échafaude, on re-vérifie. Des lignes apparaissent, des perspectives se dégagent, un relief se dessine, toujours indistinct.
Harvey, en véritable architecte, excelle dans la construction du récit et l'assemblage du puzzle policier, au gré d'intrigues et de récits croisés dont il a le secret.
Comme souvent chez lui, les victimes sont des femmes esseulées et certains ressorts de ce roman ne sont pas sans rappeler Coeurs solitaires.


Que le soliste soit son personnage-fétiche Resnick (qui revient apprend-on !) ou Frank Elder, la petite musique (de chambre) de John Harvey nous séduit toujours, harmonieuse et profonde. Elle nous émeut aussi, ce qui n'est pas la moindre de ses qualités.

Simplement, John Harvey compte aujourd'hui parmi les meilleurs écrivains de polar, et construit, roman après roman, une oeuvre (oui, je pèse le mot) absolument remarquable.
Sans effets de manche ni surenchère morbide.
Sans bruit ni fracas.
Si Ellroy fait dans le monumental, Crumley dans la folie douce, Sallis dans l'ellipse, en une sorte de pointillisme littéraire, Harvey, pour sa part, déroule paisiblement ses phrases, sans à-coups sans envolées, dans un style simple, presque discret.


D'ombre et de lumière / John Harvey (trad. de l'anglais par Jean-Paul Gratias. Rivages-Thriller, 2008)

PS : ...une toute récente interview de l'auteur sur Bibliosurf.
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12 avril 2008 6 12 /04 /avril /2008 00:00

Loriano Macchiavelli, dans la tribu des écrivains italiens de polars, fait partie (avec Scerbanenco, Fruttero & Luccentini entre autres) des éclaireurs, qui dans les années 70 se sont frayés un chemin dans les marais stagnants du roman d'énigme victorien made in England, pour apporter un renouveau au roman noir italien, alors en coma prolongé, à cause notamment des coups portés par la censure d'Etat. 
Ils ont ainsi ouvert la voie à une nouvelle génération d'auteurs, parmi laquelle on trouve un certain Carlo Lucarelli. Né en 1960, ce dernier a déjà publié en France une douzaine de romans - dont des polars pour la jeunesse - et compte parmi les grandes plumes du polar transalpin. Un peu à la manière de Daeninckx chez nous, Lucarelli aime à revisiter des périodes troubles de l'histoire italienne.

Cofondateurs du "groupe 13", avec Marcello Fois, un groupe de réflexion qui réunit quelques-uns des meilleurs écrivains italiens de romans noirs, Lucarelli et Macchiavelli ont aussi en commun d'être nés ou d'avoir vécu à Bologne, où ils situent la plupart de leurs romans. C'est le cas d'Almost Blue, et, comme son nom l'indique, de 
Bologne ville à vendre.

Almost Blue, c'est une chanson reprise notamment par Chet Baker, dont la voix chevrotante et les notes rondes fascinent Simon, un jeune homme aveugle de naissance. Dans un grenier aménagé, entouré d'appareils informatiques, Simon "sent" la ville, en écoutant par scanners interposés les conversations téléphoniques, les appels radio de la police, des taxis, des routiers etc... Aux voix, aux bruits il aime attribuer une couleur, par assonance ou associations d'idées.
De son côté Grazia Nero enquête sur une série de meurtres particulièrement atroces. Toutes les victimes sont des étudiants et semblent avoir été assassinées par le même tueur, en tout cas c'est ce que tente de démontrer l'inspectrice à des collègues sceptiques, voire hilares ("Ha ha ha (...) Nous ne sommes pas en Amérique ici (...) imaginez-vous ce qui arriverait si on répand la nouvelle qu'un maniaque massacre les universitaires ? A Bologne ? Insensé !").
Le tueur, dit "l'Iguane", se dit envahi par une bête affreuse qui le pousse à se réincarner successivement dans chacune de ses victimes, et à emprunter leur apparence physique.

Sombre, dérangeant, ce thriller a l'effet lancinant d'une incantation.
L'écriture poétique de Lucarelli - et notamment ces images autour des couleurs et des sons, qui rappellent ce poème de Rimbaud intitulé Voyelles - tranche avec les événements particulièrement sordides auxquels nous sommes confrontés. Tandis que les différents points de vue du récit - parlant toujours à la première personne, le narrateur est tantôt le tueur, tantôt Grazia ou Simon - nous plongent à chaque chapitre dans une vision, une perception du monde éminemment différentes, entre le cerveau malade de "l'Iguane" et les sensations de Simon...

Un styliste ce Lucarelli. Chez lui, pas de descriptions chirugicales, de détails scabreux. C'est d'abord une ambiance, légèrement oppressante, énigmatique, où affleure une sensualité équivoque, mêlant étroitement les deux figures de la beauté et de la mort.
Et puis il y a Bologne, vénéneuse et secrète, un personnage à part entière du roman : "Elle n'est pas seulement grande, elle est aussi compliquée. (...) Une mairie rouge et des coopératives milliardaires. Quatre types de mafias différentes qui au lieu de ses tirer dessus recyclent l'argent de la drogue dans toute l'Italie. Cette ville est différente de ce qu'elle parait, cette ville a toujours une moitié cachée."


Une ville "où venaient se cacher tous les terroristes dans les années 60"... C'est justement pendant les "années de plomb" que Macchiavelli a choisi de situer Bologne ville à vendre.

 

Comme chez Lucarelli, la Bologne de Loriano Macchiavelli n'a pas grand-chose à voir celle des touristes... 
Fin des années 70. L'hiver arrive, les façades ocres des maisons suintent l'humidité, les pavés luisent sous une pluie fine et continue. Deux jours plus tôt, pendant une manifestation d'extrême-gauche, un notable local a été abattu. Balle perdue ou fusil à lunettes ? Les militants sont bientôt suspectés, d'autant plus que Vincenzo Clodetti appartenait à cette classe bourgeoise et réactionnaire qu'ils haïssent tant.   
L'enquête tombe sur le pauvre Sarti Antonio, qui trimballe sa mauvaise humeur dans les rues mouillées et froides. Un homme singulier ce lieutenant : volontiers bougon, un brin débonnaire, il cultive son addiction au café et des amitiés douteuses, et supporte tant bien que mal la colite qui le fait souffrir depuis son entrée... dans les forces de police ! Il me fait penser à un mélange de Montalbano et de Méndez (le personnage de Gonzalez Ledesma). En tout cas, c'est un personnage célèbre en Italie, qui a même donné lieu à une série télévisée, me semble-t-il.

Le style décalé de Macchiavelli peut dérouter : interpellant sans cesse le lecteur, l'auteur intervient sans cesse dans le récit, prend le lecteur à témoin, parle de son personnage, le questionne...
Il n'empêche qu'on a plaisir à suivre Sarti Antonio dans ses allées et venues qui ressemblent d'ailleurs davantage à une errance qu'à une enquête policière.

Enfin, même si ce n'est pas le principal propos de l'auteur, le lecteur peut se faire une idée du contexte socio-historique des années 70 en Italie, qui furent particulièrement mouvementées et parfois sanglantes.




Almost Blue / Carlo Lucarelli (Gallimard ; coll. La Noire, 2001)
Bologne ville à vendre /
Loriano Macchiavelli (Métailié ; coll. Noir, 2006)

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7 avril 2008 1 07 /04 /avril /2008 00:00
Après avoir lu La Cote 512, un polar historique se déroulant durant la Grande Guerre, j'ai eu envie d'en savoir un peu plus sur l'auteur, qui a gentiment accepté de répondre à quelques questions...


Thierry Bourcy a plusieurs cordes à son arc : réalisateur, scénariste, écrivain... Il a pourtant commencer à travailler à... l'hôpital psychiatrique de Vannes, après un DESS de psycho-pathologie, jusqu'à sa rencontre avec le scénariste Bernard Revon. Il commence alors une carrière d'assistant/ régisseur tout en réalisant son premier court-métrage et en faisant ses débuts de scénariste pour la télévision ; tout en continuant à réaliser des courts-métrages et des films documentaires, son activité de scénariste le fait travailler avec des personnalités aussi diverses que Georges Lautner, Jean-Claude Brialy, Jean-Louis Lorenzi ou Philippe Laïk... Depuis une douzaine d'années, il dirige régulièrement des ateliers d'écriture de scénarios. Actuellement président de la Mutuelle des Auteurs (MACD), Thierry Bourcy est également auteur de pièces de théâtre, de chansons et de... polars historiques.




Vous vous définissez d'abord comme un "raconteur d'histoires". Ce goût pour les histoires, d'où vous vient-il ?

De mon enfance plutôt solitaire et rêveuse.

 

Tous vos romans se déroulent durant la Grande Guerre. Pourquoi avoir choisi cette période ? Ou peut-être devrais-je dire : pourquoi avoir choisi d'écrire du polar pour évoquer la Grande Guerre ?

J'ai commencé à écrire ma série "Célestin Louise" à la suite du scénario de La tranchée des espoirs qui m'avait valu un prix aux RITV de Reims. Plongé dans cette période et disposant d'une documentation importante, j'ai eu envie de poursuivre et de continuer à explorer l'univers de cette guerre dite grande. Le polar m'a permis de développer le paradoxe autour de l'assassinat interdit par la loi, et permis par la guerre.

 

Une chose m'a frappé à la lecture de La cote 512 : il s'agit d'un récit très documenté sur la Première Guerre Mondiale et notamment sur la vie quotidienne des soldats. Vous êtes-vous beaucoup renseigné sur le sujet ?

Effectivement, j'ai accumulé beaucoup de documentation : livres, articles, films, photographies, et même des mémoires inédites de poilus.

 

Comment est né le personnage de Célestin Louise, ce jeune inspecteur engagé volontaire ? Parlez-nous un peu de lui...

Célestin est né d'une intuition, d'une vision que j'ai eue en écrivant le scénario de La tranchée des espoirs, une divagation de mon imagination au cours de laquelle j'ai vu un inspecteur de police continuer à faire ses enquêtes au milieu de la guerre, sans doute pour ne pas devenir fou. Je lui ai donné le prénom de mon propre grand-père paternel, Célestin Bourcy. Je l'avais d'abord appelé Louis, mais j'ai ajouté un E pour lui donner un nom en quelque sorte féminin, ce qui m'amusait et donne un peu d'ironie à toutes ses actions guerrières.

 

Le quatrième roman de la série, Les traitres, qui vient de paraitre, débute en mars 1917 ; les aventures de Célestin Louise vont-elles s'achever avec l'Armistice ?

Mon intention est en effet de mettre fin aux aventures de Célestin Louise en 1918, avec l'Armistice. Dans le dernier volume, il sera aux prises avec un Américain du contingent fraîchement débarqué des USA.

 

La réédition de La cote 512 dans la collection Folio Policier a précédé de quelques jours la mort du dernier Poilu de la Grande Guerre, Lazare Ponticelli ; désormais, nous n'aurons plus de témoignage oral direct. Craignez-vous qu'avec le temps, cette période de notre histoire perde peu à peu de son importance dans la mémoire collective ?

Au contraire, je peux constater qu'il n'y a jamais eu autant de travaux, artistiques ou historiques, sur la Grande Guerre. Je pense qu'on n'a pas fini de la revisiter.

 

Il existe une "bataille" historiographique concernant la psychologie des combattants de la Grande Guerre. A la question : comment les soldats ont-il fait pour tenir dans de telles conditions ?, l''Ecole du consentement" répond par le concept de "culture de guerre" et le fort sentiment patriotique, tandis que d'autres historiens mettent en avant une thèse de "la contrainte", c'est-à-dire une ensemble de facteurs - la pression militaire et aussi celle du "groupe", la formidable résistance physique et psychique du soldat, la banalisation de l'activité guerrière... En lisant La cote 512 (et aussi au vu du téléfilm La tranchée des espoirs), vous semblez plutôt vous situer parmi les seconds, non ?

Effectivement, quitte à me montrer un tout petit peu anachronique, je laisse mes personnages exprimer dès les premiers mois de la guerre leurs doutes et leur désarroi. C'est mon côté pacifiste (déjà à l'œuvre dans La tranchée des espoirs)

 

Savez-vous si Gallimard a prévu de poursuivre la réédition des autres romans de la série ?

Je crois qu'il est prévu de rééditer le second volume, L'arme secrète de Louis Renault, et peut-être le troisième, Le château d'Amberville.

 

Quels sont vos projets en cours ?

Un scénario avec Jean-Louis Lorenzi sur la déportation de Charlotte Delbo, Rideau rouge à Raisko, pour France 2. Un court-métrage (comme scénariste et réalisateur) sur les boucles d'oreille d'identification des vaches. Le scénario d'un documentaire sur Nungesser et Coli. La réalisation au cinéma d'une comédie sociale. Et bien sûr, l'écriture du dernier volume des aventures de Célestin Louise.



Pour en savoir plus, n'hésitez pas à consulter le site de l'auteur.

De plus, si vous habitez la région toulousaine, vous pouvez rencontrer l'auteur le 25 mai prochain, au Festival de Tournefeuille, "L'Histoire en toutes lettres", dont le thème est cette année :
le roman en habit noir.

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29 mars 2008 6 29 /03 /mars /2008 00:00
La boue des tranchées, le froid, l'attente, terrible, avant l'assaut, les hommes déchiquetés par les obus, la chair martyrisée, le tête-à-tête permanent avec la mort...

La cote 512, qui vient d'être réédité dans la collection Folio Policier, est le premier d'une série de quatre volets, tous se déroulant durant la Grande Guerre.

cote512.jpgEn compagnie de Célestin Louise, jeune enquêteur à la Brigade criminelle de Paris engagé volontaire au début du conflit, l'auteur nous "convie" à ce véritable enfer que constitue la ligne de front.

Une ligne stabilisée dès l'hiver 14 et dont le tracé restera sensiblement le même durant les quatre années suivantes. Les assauts sont pourtant fréquents, mais les attaques restent locales, selon la stratégie du "grignotage" voulue par le commandement. Des centaines de milliers d'hommes sont ainsi sacrifiés, pour gagner, parfois, quelques dizaines de mètres...


Célestin est envoyé sur le front près de Soissons (sur une ligne qu'on appellera plus tard Le Chemin des Dames). Sous les ordres du lieutenant Mérange, un chef courageux et apprécié de ses hommes, il découvre vite la terrible réalité de la guerre, mais aussi la camaraderie qui permet de tromper la peur et l'angoisse. Au cours d'un assaut, le lieutenant s'effondre, tué d'une balle dans le... dos. Célestin réfute la thèse de l'accident et décide de mener sa propre enquête.


En plus d'une intrigue plutôt prenante et du sympathique Célestin Louise, la grande qualité du roman tient à l'évocation hyper-réaliste de la guerre, de la vie quotidienne et de la psychologie des combattants - l'effervescence (bien vite retombée d'ailleurs) du départ au front après l'ordre de mobilisation ; le vin qui ne manque jamais, contrairement à la nourriture ; les tunnels (les "mines"), creusés jusqu'aux tranchées ennemies pour y déposer des charges explosives ; le "marmitage" de l'artillerie ennemie ; la censure exercée sur le courrier ; l'incompréhension et l'ignorance de "l'arrière" quant à ce qui se déroule sur le front...

Certes, La cote 512 ne possède pas ce souffle et cette force dramatique propres aux grands textes du genre (je pense à Cendrars, à Jünger, à Remarque, mais eux furent acteurs et témoins !) ; cependant, le talent descriptif de l'auteur, son souci du détail font de ce récit quasi-documentaire un fort bon roman.


quelques images d'époque, accompagnées par
La Chanson de Craonne...



La cote 512 / Thierry Bourcy (Nouveau Monde éditions, 2005 ; rééd. Folio Policier, 2008)
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26 mars 2008 3 26 /03 /mars /2008 00:00

La parution prochaine (prévue le 9 avril) du nouveau roman de John Harvey, D'ombre et de lumière, est l'occasion d'évoquer les deux premiers de la série mettant en scène le personnage de Frank Elder, De chair et de sang puis De cendre et d'os. S'ils peuvent se lire séparément, je vous conseille cependant de les prendre dans l'ordre, afin de mieux appréhender le parcours, l'évolution et les relations entre les personnages.

L'inspecteur Frank Elder, après trente ans passés dans la police et un divorce douloureux, a donné sa démission et s'est réfugié en Cornouailles.
Jusqu'au jour où il apprend la libération conditionnelle de Shane Donald. Quatorze ans auparavant, avec son complice McKiernan, ils ont été condamnés pour le viol et le meurtre d'une adolescente.

Mais Elder n'a jamais réussi à prouver leur culpabilité dans la disparition de Susan Blacklock, survenue à l'époque des faits. Toujours hanté par cette affaire, il décide de reprendre le fil de l'enquête.



Tension dramatique, finesse psychologique, prose impeccable : John Harvey fait preuve, une fois de plus, de son immense talent ; et si Frank Elder ne fait pas complètement oublier le fameux Charlie Resnick (que l'on croise subrepticement dans les deux romans), il partage avec lui ce côté solitaire et réservé qui le rend particulièrement attachant. Ses déboires conjugaux, ses difficultés relationnelles avec sa fille, ses cauchemars récurrents, son abnégation, autant de saillies qui révèlent l'épaisseur et la complexité du personnage.


De cendre et d'os est aussi bon que le premier. Cette fois, c'est la mort violente d'une ex-collègue qui fait sortir Elder de son "trou". Flics ripoux, ex violents, grand banditisme... : le tableau est sombre, mais magnifiquement exécuté, tout en clair-obscur, à petites touches nuancées.

Comme d'habitude, l'intrigue est menée de main de maître, au fil de récits croisés (un procédé loin d'être original mais diablement efficace sous la plume de Harvey) et d'un Frank Elder qui gagne encore en consistance et en humanité.


Bref, du grand art, comme toujours chez Harvey, qu'on lit comme on enfile de vieilles fringues confortables, avec l'assurance de n'être jamais déçu.
Alors, vivement la suite ! On en reparle le mois prochain...


De Chair et de sang (2005) ; De cendre et d'os (2006) / John Harvey (Rivages-Thriller)

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