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26 octobre 2011 3 26 /10 /octobre /2011 00:00

Très éloigné des enquêtes islandaises du commissaire Erlendur qui ont fait la renommée de l'auteur, Betty tient presque exclusivement de l'exercice de style, une variante autour de deux amants diaboliques et d'un mari gênant - un riche armateur, ici. La citation tirée du Facteur sonne toujours deux fois, placée en exergue du roman, annonce d'ailleurs la couleur : Indridason reprend la trame(1) (tout en la revisitant) ainsi que le schéma narratif (2) du chef d'oeuvre de James Cain :


couv-betty.jpg"Comment la situation a pu en arriver là ?", s'interroge sans cesse le narrateur du fond de sa cellule, qui remonte le fil des événements, reconstitue l'enchaînement des faits, essayant vainement de fixer cet instant décisif où tout a dérapé, ce moment où l'idée du meurtre a véritablement pris corps dans son esprit, ou plutôt dans celui de sa maîtresse. 

Contrairement au roman de Cain, ce n'est pas un destin arbitraire qui scelle le sort des personnages ici, mais une machination, un écheveau de ruses et de faux-semblants orchestrés par Bettý, sublime, ensorcelante et perverse Bettý, qui rejoint ainsi le long cortège des femmes fatales du roman noir. 

De son côté, le narrateur, à la fois complice et bouc-émissaire d'une histoire qui le dépasse, comprendra trop tard qu'il a été manipulé, victime aussi de ses propres faiblesses et de sa naïveté. Et même à ce moment-là, malgré tout ce qui s'est passé, la trahison et l'abandon, il est incapable de se libérer de l'emprise de Bettý, du doux et douloureux souvenir de Bettý, bien plus prégnant que les murs d'une prison - "Comme elle me manque ! Comme ils me manquent ses doux baisers sur mon corps. Ô, Bettý...". 


A la fois plaisant et convaincant, ce polar à la manière de s'offre même une pointe d'originalité : à mi-roman Indridason introduit dans cette classique recette de passion et d'appât du gain un ingrédient de son cru. Un "twist" comme disent les anglo-saxons, qui sans renverser la perspective du récit, l'éclaire d'un jour nouveau et mystifie littéralement le lecteur. Un petit tour de force, dont le mérite revient également à la performance... oulipienne du traducteur.
Pour finir, Bettý est un court roman qui va à l'essentiel, sobre et sans afféterie. La force du drame se suffit à elle-même, Indridason l'a bien compris.
 

Bettý / Arnaldur Indridason (Bettý, 2003, trad. de l'islandais par Patrick Cuelpa. Métailié, Noir, 2011)


(1) on trouve d'autres ressemblances, plus anecdotiques, entre les deux romans : les circonstances du meurtres, les prénoms exclusivement en -a (Sylvia, Stella, Minerva...) rappelant la Cora du Facteur... D'autres m'ont peut-être échappé.

(2) le protagoniste qui raconte a posteriori les circonstances tragiques qui l'ont mené en prison (ou au pied de l'échafaud) se retrouve dans de nombreux "récits-aveux" à partir des années 50, par exemple On achève bien les chevaux d'Horace McCoy ou Noires sont les ailes de mon ange d'Elliott Chaze. Plus près de nous, Thomas Cook utilise le même procédé dans Les liens du sang.  Si vous en avez d'autres en tête...

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 00:00

Récit allégorique d'une société islandaise déshumanisée érigeant les banquiers ou les artistes décadents en nouveaux prophètes, transformant tout - et en premier lieu le corps féminin - en bien de consommation courante, Installation est un roman pour le moins atypique.


BragiEva Einarsdottir, récemment rentrée en Islande à la suite d'une déception amoureuse, se fait prêter un appartement par une vague connaissance new-yorkaise. L'appartement, situé en haut d'une tour, est immense, luxueux et doté d'un système de surveillance high-tech. Dans la chambre, un mystérieux masque est creusé dans l'un des murs. Dans l'immeuble, des voisins bizarres ou envahissants.

L'endroit la met tout de suite mal à l'aise. Froid, impersonnel, oppressant -  "...mobilier noir, gris et blanc, en cuir, verre, métal, les surfaces lisses et brillantes - comme s'il avait été donné depuis le début que la taille de l'appartement excluait qu'il fut possible de le rendre humain." Impression diffuse mais tenace de jouer le personnage principal d'un film d'horreur, "un personnage de plus en plus confus et effrayé devant des circonstances qu'elle ne comprenait pas".
Le danger se précise subitement : l'ascenseur ne répond plus, impossible de sortir. le téléphone sonne. Sois sage, obéis aux ordres ou tu seras punie. Ils la séquestrent, ils la surveillent, ils jouent avec elle. Jusqu'où ?



Au-delà de la mécanique du huis-clos et du suspense attenant, c'est l'aliénation d'une société qui est mise en perspective ici (de façon quasi-métaphysique, symbolique en tout cas - le "masque" en est le meilleur exemple ), à travers le personnage d'Eva, retenue prisonnière dans l'appartement comme à l'intérieur d'elle-même, les murs matérialisant au final sa propre solitude ("Einar" signifie "seul" en islandais), sa dépendance amoureuse, son immobilisme, ses vélléités artistiques (ironiquement, elle est victime d'un happening pervers), bref la somme de ses angoisses et de ses échecs.


Ça commençe comme du Hitchcock, ça finit comme du David Lynch...
Tout au long de la première partie, la tension monte graduellement et s'accumule, inspirant au lecteur ce même "sentiment de claustration" qui étreint la jeune femme. A partir du moment où le piège se referme sur elle, que les événements s'accélèrent et que la violence se déchaîne, le roman prend des accents oniriques, devient de plus en plus abstrait - et même abscons -, jusqu'au dénouement un brin fantasmagorique qui m'a laissé perplexe, pour ma part. Avis aux amateurs, mais la transition est pour le moins déroutante.


Moins déroutante
 toutefois que les tournures grammaticales suspectes qui égrènent le texte (la faute à la traduction ? Des accords de temps douteux me le laissent penser, mais je peux me tromper), ou une prose parfois empesée (surtout dans la seconde partie) qui se marie mal avec l'atmosphère éthérée du récit.




Captivé - par sa façon de superposer différents niveaux de lecture, de manier les symboles, par l'écho qu'il renvoie suite à la crise financière qu'a connu l'Islande -, agaçé par la syntaxe approximative, déconcerté par le changement de registre... Ce premier roman (traduit en France) de Steinar Bragi me laisse des sentiments contradictoires. Trop ésotérique pour moi, mais là c'est affaire de goût.

Une chose est sûre : il se situe se situe loin, très loin des polars plus ou moins stéréotypés que charrie la vague nordique.


Installation / Steinar Bragi (Konur, 2008, trad. de l'islandais par Henry Kiljan Albansson, Métailié, Noir, 2011)

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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 10:11

Retour de "l'inspecteur Harry" de Jo Nesbo, avec Le Léopard, huitième opus de la série. 750 pages, environ un kilo : on tient du lourd, au propre comme au figuré.


Le léopardDepuis l'affaire du Bonhomme de neige, Harry Hole s'est terré à Hong Kong où il vaque comme un mort-vivant, entre paradis artificiels, champs de courses et débiteurs aux trousses.  
C'est là que vient le dénicher l'inspectrice de la brigade criminelle d'Oslo, Kaja Solness, afin de le ramener en Norvège où un tueur en série est en train de ridiculiser la brigade criminelle.  
Comme si ça ne suffisait pas, le chef de la Kripos - une force de police parrallèle, aussi ambitieux que fin politicien, est prêt à tout pour s'accaparer l'enquête et se couvrir de gloire.


Délaissant cette fois l'arrière-plan sociétal (les crispations de la société australienne dans L'homme chauve-souris ou le passé douloureux de la Norvège pendant la guerre dans Rouge-gorge, par exemple), Nesbo semble vouloir se concentrer sur les personnages, sondant, creusant en eux avec une détermination proche de l'obsession, à commencer par Harry, dont il fouille davantage encore l'intimité, et notamment la relation avec son père.



Hole, sur lequel repose en grande partie le succès de la série. Ecorché vif, franc-tireur, handicapé affectif au caractère de cochon, à la fois impulsif et réfléchi, impavide et émotif, protecteur et vulnérable, sentimental et dur, autodestructeur et indestructible : Harry a... tout pour plaire, d'autant plus qu'il est très loin d'être aussi mauvais qu'il le dit lui-même. C' est un vrai dur et faux méchant, un type au fond du trou ("Hole") doublé d'un superhéros-malgré-lui, bref le genre de personnage entier, contradictoire - et néanmoins archétypal - qu'on adore adorer. Un stéréotype...

... parmi d'autres.
Un personnage de flic déglingué et alcoolique qu'on supplie de rempiler, un psychopathe machiavélique, une guerre des polices, une fliquette qui tombe dans les bras de son collègue... Le Léopard est une mine de clichés. Regrettable ? Pas du tout. Pourquoi ? Parce qu'ils sont surjoués, assumés, revisités ? Je ne sais pas exactement, mais toujours est-il qu'avec Nesbo on y adhère volontiers, alors qu'on les déplore chez tant d'autres. Ce qui confirme d'ailleurs que les clichés sont une matière inhérente à la fiction policière, et que tout dépend finalement du talent de l'auteur.

 

Le norvégien, lui, en a beaucoup, et il a dû aussi beaucoup travailler, à en juger par sa maîtrise impressionnante des techniques narratives (elles-mêmes rebattues, si on y réfléchit). Cliffhanger, montage alterné, multifocalisation, analepses... Une large palette et un auteur qui perfectionne son savoir-faire, ne dévoilant ni trop ni trop peu, glissant ça et là quelques indices en apparence insignifiants qui se révèlent finalement primordiaux, multipliant fausse-pistes et faux-semblants, jouant avec son lecteur, le baladant de faux coupables en fausses victimes, d'Oslo à Hong Kong en passant par le Congo.


Mais il serait faux de croire que ses romans reposent sur une simple mécanique, aussi souple soit-elle. On y trouve ce supplément d'âme, niché dans les personnages ou dans l'écriture, ce petit truc indéfinissable qui fait qu'on est à la fois pressé de tourner les pages et désireux de s'y attarder de temps en temps, pour apprécier telle description ou tel dialogue.


De la même façon, décortiquer un tant soit peu Le Léopard, très intéressant sur le plan de la technique et du recours aux clichés, n'occulte en rien le simple plaisir de la lecture, le plaisir simple d'être tenu en haleine et par le bout du nez, sur plus de 700 pages tout de même, et sans répit aucun. 

Tiens, pour la peine, je vais utiliser un poncif : un thriller mené de main de maître... 


Le Léopard / Jo Nesbo (Panserhjerte, 2009, trad. du norvégien par Alex Fouillet. Gallimard, Série Noire, 2011)



Comment ne pas dire un mot sur la nouvelle maquette de la Série Noire ? Qui modifie en profondeur sa charte graphique et abandonne même - c'est une petite révolution - le jaune et le noir, soient les deux couleurs historiques de la collection.
Peut-être auront-ils davantage de latitude dans l'élaboration et le choix de leurs couvertures. Mais cette plus grande liberté esthétique garantit-elle plus de créativité ? Et, surtout, la collection gardera-t-elle une cohérence, une identité  visuelle ? Rien n'est moins sûr.

Après, vous allez me dire, les goûts et les couleurs... Personnellement, hormis la couverture du dernier Marcus Malte, où on trouvait une certaine recherche graphique, je trouve les autres au mieux quelconques, au pire laides. Et vous ?

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12 mai 2010 3 12 /05 /mai /2010 00:00

Le dernier roman d'Indridason a hiberné tout l'hiver sur mes étagères. Le printemps venu, je me suis enfin décidé à entrer en hypothermie.

Après avoir abordé - sans démériter - des questions d'actualité comme le racisme et l'immigration (Hiver arctique), Arnaldur Indridason retourne dans ses eaux de prédilection : le rapport au passé, qu'incarne à merveille cet anachonisme vivant qu'est Erlendur, les vieilles histoires qui remontent (parfois littéralement) à la surface, l'étude psychologique, les liens familiaux...



HypothermieLa vie après la mort. C'était l'idée fixe de Maria, qui ne s'est jamais remise du décès de sa mère. Les deux femmes, particulièrement proches, ne s'étaient jamais quittées.
Proust. C'était l'auteur favori de sa mère. Et un indice, pour un éventuel signe de l'au-delà.
 

On a retrouvé Maria pendue, dans le chalet familial au bord du lac de Thingvellir, là où, encore enfant, elle avait vu son père se noyer. Une amie de la défunte réfute la thèse du suicide, et contacte Erlendur. Elle lui remet une cassette : l'enregistrement d'une séance chez un médium que Maria avait consulté peu de temps avant sa mort.

D'abord réticent, notre policier se décide finalement à enquêter. Pourtant, le dossier est bouclé et le suicide ne fait guère de doute. Seulement, les morts et les disparus - comme ces adolescents qu'on n'a jamais retrouvés et dont les parents continuent de rendre visite à Erlendur - ont toujours exercé sur lui une attraction irrépressible.

D'ailleurs, c'est peut-être là que résident le charme, la qualité et le succès de ce personnage : dans la façon dont l'intrigue et les événements entrent en résonnance avec la propre histoire d'Erlendur, hanté à jamais par la disparition de son frère. Dans la manière, ici, dont il poursuit des fantômes en même temps que ses propres démons.


Cette fois, Indridason ne convoque pas la machine policière - et pour cause, il n'y a même pas d'enquête officielle - et laisse Erlendur mener seul ses investigations (entre deux confrontations plus ou moins heureuses avec sa fille et son ex-femme), sans en informer qui que ce soit. Au fil de ses interrogatoires et de sa recherche du temps perdu, il se montre même beaucoup plus résolu et tenace qu'à l'accoutumée.

Au bout de cette (en)quête en solitaire : des douleurs sourdes et lancinantes, des êtres malfaisants, des secrets dont le poids ne s'allège jamais
et, peut-être, un semblant de paix et de miséricorde.

 


C'est déjà le 6ème épisode de la série, et on pourrait s'attendre à une petite baisse de régime chez Indridason (je sens que vous allez me dire qu'elle est déjà passée avec Hiver arctique), comme dans tant d'autres cycles.
Ce n'est pas le cas, e
t même, Hypothermie m'apparaît comme l'un des meilleurs.


Hypothermie / Arnaldur Indridason (Harðskafi, 2007, trad. de l'islandais par Eric Boury. Métailié, Noir, 2010)

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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 10:46

Auteur d'une demi-douzaine de romans d'espionnage, Leif Davidsen délaisse cette fois les équilibres Est/Ouest pour nous emmener à Cuba, en compagnie de John Petersen, ressortissant danois sans histoires qui va bientôt jouer les... apprentis-espions.

 

A-la-recherche-d-Hemingway HDPour donner un peu de relief à une existence monotone et surmonter la mort de sa femme, ce tranquille professeur d'espagnol a décidé de prendre un congé et de partir à la recherche d'Hemingway, son écrivain favori.

 

Son périple commence à Key West, en Floride, où il fait la connaissance de Carlos Gutierrez, un vieil exilé cubain auquel il se lie d'amitié. Puis se poursuit à Cuba, où John, suite à sa promesse faite à Carlos, doit remettre une lettre à sa fille, qui plusieurs années auparavant a rejeté sa famille et épousé la cause castriste ainsi qu'un haut-fonctionnaire cubain.

 

Entre deux flâneries dans les rues de La Havane, John prend quelques contacts afin de s'acquitter de sa mission. Evidemment, tout se détraque, et notre touriste danois va se retrouver au centre d'une gigantesque affaire. Lui qui était en manque de sensations va être copieusement servi !

 

 Leif Davidsen déroule lentement son intrigue, qui prend parfois des directions inattendues (avec un "Papa" Hemingway partie prenante, mais je ne vous en dis pas plus...) et qu'on suit volontiers.

 

Mais comme souvent avec le polar, c'est surtout l'arrière-plan qui retient l'attention. L'auteur va bien au-delà des clichés pour dépeindre une réalité cubaine contrastée, et d'autant plus intéressante qu'elle est vue à travers le regard d'un homme issu d'une culture foncièrement différente.

 

S'il saisit très bien la beauté, la sensualité, la vitalité de Cuba, la générosité et la joie de vivre de ses habitants, il dresse aussi un sévère constat sur un pays moribond.

Les mirages de la Révolution se sont évanouis, les lendemains sont incertains et le présent difficile. Le Barbu est dans un sale état et son régime corrompu à bout de souffle, mais toujours omniprésent dans la vie quotidienne de cubains partagés entre espoir et résignation, contraints pour certains à la prostitution ou à l'exil, beaucoup risquant leur vie sur des radeaux de fortune pour rejoindre les côtes américaines.

Voilà un pays où l'usage d'internet est réservé aux touristes et aux hauts fonctionnaires, ou une simple clé USB est considérée comme un objet de contrebande, ou des professeurs se reconvertissent en taxis pour mieux gagner leur vie, ou, suprême paradoxe, il est interdit de posséder un bateau...

 

Mais tout ceci aurait un aspect un peu froid et démonstratif s'il n'y avait pas des personnages pour donner vie à cette réalité et, là encore, Davidsen vise juste.

En particulier avec le personnage de John, la calvitie naissance et des interrogations existentielles plein la tête, des épreuves à traverser et des réponses à trouver. Autrement dit un type comme tant d'autres, avec des problèmes et des doutes que chacun d'entre nous partage, à un moment ou à un autre.

 

 

Hormis quelques redites (les cubains gardent les mains sèches malgré la chaleur moite, on le saura...), j'ai donc pris beaucoup de plaisir à suivre ces pérégrinations cubaines.

Une intrigue qui tient la route, un rythme entraînant malgré quelques longueurs, une réflexion intéressante et des personnages bien campés : tout y est. Et même, ce qui ne gâche rien, ça donne envie de ressortir quelques histoires d'Hemingway...

 

 

A la recherche d'Hemingway / Leif Davidsen (På udkig efter Hemingway, 2008, trad. du danois par Monique Christiansen. Gaïa, 2010)

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21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 00:00

Parmi les nombreux polars nordiques qu'il nous ait donné de lire depuis quelques années, ceux du norvégien Jo Nesbo figurent parmi les plus intéressants et les plus aboutis, notamment en ce qui concerne le style, nerveux, enlevé, et en cela plus proche de celui des anglo-saxons.

S'il délaisse cette fois son personnage favori Harry Hole, on retrouve, intacts, ce sens remarquable du rythme et ce soin apporté à la construction et au déroulement de l'intrigue. Nesbo maîtrise parfaitement les accélérations soudaines et les virages au cordeau. Comme d'habitude, il nous ballade par le bout du nez, et, comme d'habitude, on se laisse prendre au jeu !
Un jeu de dupes, pour le coup, entre deux espèces de chasseurs - quand l'un recrute, l'autre exécute ! - dans un roman qui tient beaucoup du thriller psychologique, si on tient absolument à le classer, ce qui serait dommage.


Roger Brown n'est pas un simple chasseur de têtes : il est le meilleur. Celui qu'on s'arrache pour recruter les patrons des plus grandes entreprises norvégiennes. Respecté, envié, craint, il est le mâle dominant. Le chef de meute, à l'instinct sûr.
Sa méthode de chasse ? Soumettre les candidats à une méthode d'interrogatoire en neuf points, inspirée du FBI. Intimidation, séduction, pression... Tout y passe. Un exercice de psychologie appliquée dont Roger est passé maître.
Au cours de l'entretien, il se débrouille aussi pour savoir si le candidat ne possède pas par hasard quelque oeuvre d'art... dont il pourrait le soulager.
Car si Roger présente bien, il vit quand même bien au-dessus de ses moyens : la galerie d'art qu'il a payé à sa femme Diana pour lui faire oublier, au moins pour un temps, son désir d'enfanter, représente aussi un sacré gouffre financier !

Alors Roger attend le gros coup, celui qui le mettra définitivement à l'abri. Et il survient en la personne de Clas Greve, candidat idéal pour une grosse boîte industrielle de la ville et, surtout, surtout, heureux possesseur d'un Rubens.


A partir de là, bien-sûr, tout se détraque, et la jolie petite vie de ce cher Roger Brown, trahi, trompé, manipulé, va voler en éclats. Clas Greve, loin du parfait pigeon, s'avère être un sociopathe particulièrement redoutable - comme les aime Nesbo -, ancien commando et rompu aux méthodes de traque et de guérilla. Voilà Brown traqué comme une bête. La question est : pourquoi s'acharne t-on tellement sur lui ?

Nesbo reprend le thème classique du chasseur pris à son propre piège et dans un engrenage infernal dont il ignore tous les mécanismes.

Et on se surprend à apprécier peu à peu cet individu pourtant méprisable et antipathique, l'encourageant à surmonter les obstacles qui se dressent devant lui (et il passe par toutes les couleurs, vous verrez !).
Car si Brown n'est au début que le produit manufacturé du monde cynique des grandes entreprises et des chasseurs de têtes, il devient, au fil des épreuves qu'il traverse, plus proche et plus intéressant ; il s'humanise et se rend même sympathique !


C'est l'une des nombreuses qualités de ce chasseurs de têtes. Pas un grand Nesbo, mais un intermède non moins plaisant où alternent habilement moments de tension et d'humour. Un Nesbo plus léger qu'à l'accoutumée (comparé aux "Harry Hole") et teinté d'ironie. Disons un sourire suivi d'un grincement de dents.


Chasseurs de têtes / Jo Nesbo (Hodejegerne, trad. du norvégien par Alex Fouillet. Gallimard, Série Noire, 2009)

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19 février 2009 4 19 /02 /février /2009 00:00
Comme auteurs islandais de polars, on peut citer Indridason bien-sûr, Arni Thorarinsson (Le temps de la sorcière) et Jon Hallur Stefansson (Brouillages). Déjà trois. C'est loin d'être négligeable pour un pays qui n'a aucune tradition de polar et qui, surtout, compte à peine 300.000 habitants.
En voilà un quatrième, en la personne de Olafur Haukur Simonarson. Pas vraiment un nouveau venu, une redécouverte plutôt, puisque Le cadavre dans la voiture rouge est une réédition ; paru une première fois en France il y a une dizaine d'années, quand l'appellation "polar nordique" n'était pas encore homologuée.

Un village encaissé à l'extrémité d'un fjörd, vivant de la pêche, des maisons peintes de couleurs vives, quelques commerces, une école... C'est là que débarque, un peu contre son gré, notre narrateur, Jonas Halldorsson. Ex-flic, ex-mari, alcoolique invétéré, Jonas a une facheuse tendance à foutre en l'air tout ce qu'il entreprend. Une des raisons pour lesquelles son cousin l'a envoyé manu militari à l'autre bout du pays pour occuper un poste d'instituteur.
Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, il saisit là l'occasion de se ressourcer un peu. Prendre du recul, écrire, éviter les ennuis, éloigner la boisson...

Bien-sûr, tout va aller de travers. Entre l'accueil glacial des uns et la fausse cordialité des autres, il sent bientôt qu'il n'est pas le bienvenu à "névroseville", où tout le monde semble dissimuler quelque chose, sous un ciel lourd de nuages et de menace diffuse.
Surtout, personne ne semble faire grand cas de son prédécesseur, disparu subitement quelques semaines plus tôt. Et les gens ont la curieuse manie de se saisir du téléphone dès que Jonas a tourné les talons.

Faisant bientôt la connaissance des quelques "notables", il comprend rapidement que ceux-ci règnent littéralement sur la ville, ayant mis la main sur tous ses rouages, de la conserverie de poisson à l'école en passant par la caisse d'épargne locale. Un vrai panier de crabes. Ou un banc de maquereaux, pour le coup, se tenant les uns les autres.


Simonarson maîtrise bien son récit, ménageant le suspense, instillant dans l'air inquiétude et malaise, jusqu'à obtenir une atmosphère de plus en plus viciée.

En situant son récit au sein d'une petite communauté, repliée sur elle-même, sclérosée - et dont même les les plus fortes personnalités ne savent plus s'échapper -, il fait aussi un portrait particulièrement acerbe de la société islandaise, de ses fondements, de son idéal de vie même. "Le travail, la grande nature, de bonnes relations avec les gens, avec le peuple, ce peuple inlassablement laborieux ; pas de métissage, aucun chômeur, pas même d'expatriés. N'était-ce pas précisément la vie dont tout un chacun rêvait ?"  (On sait avec Indridason que la situation a quelque peu changé depuis, et qu'elle n'est pas sans poser de nouveaux problèmes).

Ce qui fait aussi l'intérêt de ce roman, paru en 1986, c'est qu'il se situe au confluent de plusieurs courants : tout en reflétant encore sur la forme les influences anglo-saxonnes du roman d'énigme - whodunit, qui a tué ? - et du polar américain hardboiled (à travers le style "nerveux" de l'écriture notamment), il annonce en même temps le roman noir islandais - et nordique - tel qu'on le connait aujourd'hui, ancré pleinement dans une réalité sociale.

Au final, pas un grand roman, certes, mais une plaisante et intéressante escapade islandaise.


Le cadavre dans la voiture rouge / Olafur Haukur Simonarson (Líkio í rauda bílnum, 1986, trad. de l'islandais par Frédéric Durand. Presses universitaires de Caen, 1997 ; rééd. Points, Roman noir, 2009)
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7 février 2009 6 07 /02 /février /2009 00:00

A l'heure où le nouveau gouvernement islandais envisage d'entrer dans l'Union Européenne, sort en France le nouveau roman d'Arnaldur Indridason. L'actualité principale n'est peut-être pas celle qu'on croit !
L'auteur islandais, maintes fois récompensé, rencontre, à chacun de ses romans, un public de plus en plus nombreux. Il surfe aussi sur la vague du polar nordique qui déferle depuis quelques années sur les tables des libraires, chaque marée apportant son lot de traductions et de nouveaux auteurs. Un courant froid qui traverse la production littéraire et prend parfois des allures de serpent de mer... Le tsunami Millenium est passé par là, et si le reflux profite à quelques auteurs comme Jo Nesbo, Matti Joenssu ou Indridason, c'est tant mieux.

Elias, un jeune garçon d'origine thaïlandaise, est retrouvé mort devant son immeuble. Poignardé. Qui a pu s'attaquer à cet enfant sans histoires dont tout le monde s'accordait à dire qu'il était adorable ?
La police, les médias pensent immédiatement à un crime raciste. Sunee, la mère de la victime, installée en Islande depuis quelques années, mariée puis divorcée, élève seule ses deux fils. Niran, l'aîné né en Thaïlande, a beaucoup de mal à s'intégrer à son pays d'accueil.

L'enquête de terrain débute. Erlendur et son équipe interrogent les voisins, les camarades d'école, les professeurs... Aucun indice, aucune piste. Comme Erlendur et son équipe, on tâtonne, tirant lentement le fil qui va nous mener jusqu'au bout de l'enquête, où nous attend un dénouement plutôt inattendu et vraiment accablant.


Alors qu'il exhume souvent des squelettes et d'anciens crimes pour construire ses intrigues (La femme en vert, L'homme du lac), Indridason s'attaque ici à un sujet bien actuel : l'immigration est un phénomène nouveau en Islande et, comme partout dans le monde, provoque des réactions contrastées parmi les habitants. 
Quand ce n'est pas la haine pure et simple, on sent les réticences, l'inquiétude, l'indifférence, mais aussi la compassion et la compréhension. La peur surtout. La peur du métissage. La peur irrationnelle de l'étranger. La peur des islandais de voir leur culture et leur histoire mixées dans un "fourre-tout multiculturaliste".

Indridason rend compte de ces changements et de ces questionnements avec beaucoup de nuance.  En laissant la parole à ses personnages, il multiplie les points de vue, tournant autour de son sujet pour mieux l'éclairer et en dégager toutes les facettes.

C'est l'hiver à Reykjavík. La nuit, le froid, la neige recouvrent tout. Le vent du Nord pousse les gens chez eux, où ils se calfeutrent en attendant les jours meilleurs ; l'auteur donne l'image d'une société repliée sur elle-même, peuplée d'islandais fiers de leurs traditions mais méfiants vis-à-vis de l'étranger, et le craignant d'autant plus qu'étant peu nombreux, ils seraient plus perméables au changement.


A la manière d'une ligne de basse, sourde et lancinante, une seconde intrigue vient se superposer à la première, la disparition d'une femme, qui fait écho à celle du propre frère d'Erlendur, quand ils étaient enfants. Léger bémol : l'auteur ne nous apprend rien de plus sur cette histoire, et ménage surtout les "nouveaux" lecteurs qui n'auraient pas lu ses précédents romans.
Hormis cette tentation du "si vous avez manqué le début" un peu redondante, Hiver arctique est un bon roman, où l'on retrouve avec plaisir un Erlendur toujours aussi taciturne et maladroit dans son rapport aux autres, mais dont les relations avec sa fille semblent - enfin - s'améliorer.

   
Conseil(s) d'accompagnement : essayez de mettre la main sur le n°4 de la revue XXI (l'article n'est pas disponible en ligne), il contient un article sur le polar nordique. Patrick Raynal est parti en reportage à la rencontre de  ces écrivains, avec quelques questions à leur poser (pourquoi leurs livres rencontrent-ils un tel succès ? Pourquoi écrire du roman noir ?...). Il en revient avec quelques éléments de réponses, et surtout des réflexions intéressantes sur ce phénomène (de mode ?).


Hiver arctique
/ Arnaldur Indridason (Vetrarborgin, trad. de l'islandais par Eric Boury. Métailié, Noir, 2009)

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23 novembre 2008 7 23 /11 /novembre /2008 00:00

Séance de rattrapage pour ce polar paru le mois dernier, 7ème enquête du privé norvégien Varg Veum.

Les amateurs de Staalesen peuvent aller de ce pas cueillir ces Fleurs amères sans passer par la case Moisson Noire (je ne leur en voudrais pas !), ce nouvel opus étant du même tonneau (d'aquavit) que les précédents.


Ah si, il y a tout de même un petit bonus sympathique : le livre est accompagné d'un CD, comprenant les morceaux de jazz préférés de Veum (eh oui, encore un détective amateur de jazz !, mais ses standards manquent un peu de "jus" je trouve, comme l'extrait que vous êtes en train d'écouter...) ainsi qu'une interview de l'auteur, très intéressante.

Il évoque - en français SVP - l'influence des américains sur son travail, le ressort criminel chez Ibsen, sa relation à la France, ainsi que son personnage :

"Mon héros (...) a pour modèles les américains Philip Marlowe et Lew Archer, mais en même temps il est norvégien et appartient à la démocratie sociale, de sa coupe de cheveux à ses confortables chaussures. Sa profession d'origine est assistant social chargé de la protection des enfants. Il est divorcé mais ne manque pas d'esprit solitaire et combatif [!] ; et dans le tiroir de son bureau, tout en bas à gauche, dans son agence de détective privé à deux pas du port de Bergen, il y a non pas une bouteille de whisky mais l'alcool norvégien qu'on tire des pommes de terre, l'aquavit..."

 


Les polars de Staalesen reposent  d'ailleurs beaucoup sur le sympathique Varg, un loup solitaire (Varg signifie loup), un proscrit, bien qu'un peu "tendre" d'après moi pour soutenir la comparaison avec les personnages de Chandler et de Ross McDonald.

 

Sinon, quoi de neuf sous le pâle soleil de Bergen ? Eh bien, Varg sort justement de désintox tandis que Staalesen continue de sonder la société norvégienne, en abordant cette fois la question écologique (avec un bon train d'avance, ce roman ayant été écrit au début des années 90).

Staalesen affectionne les puzzles : les pièces, qui semblent d'abord ne pas sortir de la même boîte, s'emboitent finalement les unes dans les autres (en forçant un peu, parfois...). Vous voyez le tableau ? Il est sombre la plupart du temps.


Là, nous avons donc : une usine chimique qui déverse ses déchets aux quatre vents, une fillette disparue mystérieusement huit ans plus tôt, des militants écologistes, la vénérable famille Schroder-Olsen et un cadavre dans une piscine comme dénominateur commun.

Avec ce promeneur et fouineur patenté de Varg,  on avance à pas (trop ?) lents dans l'intrigue comme dans les rues de Bergen - 2ème ville Norvège, située sur la côte ouest -, s'arrêtant régulièrement pour constater à quel point la ville, et le pays tout entier, ont changé. Pas forcément en bien.

La modernisation de la société norvégienne, l'industrialisation et la productivité, n'ont pas apporté que des bienfaits, mais aussi un individualisme latent, le reniement des principes et l'appât du gain.

 

Un autre thème dominant chez cet auteur, ce sont les relations entre individus, et notamment le terrain si fertile de la famille. Chez Staalesen, elle est minée par les non-dits et les secrets honteux qu'elle tente de dissimuler derrière le jeu des apparences.

 


Fleurs amères,
à travers une intrigue bien construite, exprime bien la complexité de la société norvégienne, ses paradoxes et ses contractions.

Et s'il s'agit bien d'un roman noir, Staalesen s'offre cependant un dénouement (un peu "tiré par les cheveux" quand même...) à la Hercule Poirot !, Veum réunissant tout son petit monde dans un salon cossu pour livrer ses conclusions et démasquer l'assassin.


Fleurs amères / Gunnar Staalesen (Bitre blomster, trad. du norvégien par Alexis Fouillet. Gaïa, 2008)

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30 avril 2008 3 30 /04 /avril /2008 23:46

Entre 1965 et 1975, le couple (à la ville comme à la scène, comme on dit) Maj Sjöwall - Per Wahlöö a écrit une série de dix romans qui, à travers les enquêtes de Martin Beck et de son équipe, sonde la social-démocratie suédoise.
Jusque-là réduite aux romans d'énigmes "agathachristiens", la littérature policière suédoise doit beaucoup à ces deux précurseurs, adeptes du police procédural.

Dans l'arbre généalogique du roman de procédure policière, Sjöwall et Wahlöö occupent d'ailleurs une place de choix : influencée par Ed McBain ("Ed la genêse" pourrait-on dire), leur oeuvre a très largement inspiré les auteurs nordiques (et bien au-delà) dont est si friand le public aujourd'hui - Henning Mankell en tête, qui signe une intéressante préface à Roseanna, ressemblant diablement à une... reconnaissance de dette.


Epuisés depuis quelques temps déjà et seulement disponibles chez quelques bouquinistes ou dans les médiathèques, (tous?) les romans de Sjöwall & Walhöö vont être réédités dans la collection Rivages-Noir, et dans une nouvelle traduction s'il vous plait (les éditions précédentes étaient traduites de l'anglais). Une fois de plus, on peut souligner l'excellent travail de cet éditeur, soucieux de sauvegarder et de promouvoir un patrimoine littéraire.


Roseanna, le premier de la série, nous fait découvrir l'enquêteur Martin Beck. Empêtré dans un mariage morose, Il passe ses journées au travail, où il excelle : calme, rigoureux, réfléchi, obstiné, et d'une patience à toute épreuve, comme on peut le constater au fil de cette enquête longue et sinueuse. 
Le corps nu d'une jeune femme est retrouvé au fond d'un canal. Si les circonstances laissent présager un crime sexuel, la police n'apprend son identité que trois mois plus tard : il s'agit d'une jeune touriste américaine appelée Roseanna McGraw. Dès lors, l'enquête peut véritablement débuter ; Beck et ses hommes reconstituent peu à peu les derniers jours de la jeune femme. Une affaire qui commence à obséder notre cher et placide inspecteur qui tient absolument à coincer l'assassin. Avons-nous affaire à un sérial killer sanguinaire et démoniaque ? Non. Le mal se cache parfois sous les traits communs d'un citoyen modèle.


Sjöwall et Wahlöö maitrisent parfaitement les arcanes et circonvolutions de l'investigation policière, qui avance au gré d'un lent travail d'enquête et de soudaines accélérations. Quand aux personnages secondaires (si souvent relégués au rang de faire-valoir dans quantité de polars, au profit d'un seul héros), ils possèdent une vraie personnalité qui renforce la vraisemblance et la densité du récit.

Un roman - et une série - aux qualités littéraires indéniables qui ravira les amateurs de procédure policière et qui permet aussi de mieux comprendre les origines d'un genre policier.
En un mot : incontournable.

 

Roseanna / Maj Sjöwall et Per Wahlöö (Rivages-Noir, 2008)

PS : est paru simultanément le second volet de la série : L'homme qui partit en fumée.
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