...un blog consacré au polar en général et au roman noir en particulier. Yann Le Tumelin
On pensait pourtant ne plus le revoir, après Derniers sacrements qui clôturait - croyait-on - la série*. Et voilà que John Harvey a décidé de tirer Charlie Resnick de sa pré-retraite ! A-t-il bien fait ? J'ai eu quelques doutes au début. Vite levés.
Avant toute chose, ça fait rudement plaisir de retrouver Resnick. Ses chats, ses disques de jazz, sa bonhomie, ses habitudes, qui ont quelque peu changé : le vieil ours a troqué le célibat pour la vie de couple, et partage désormais sa vie avec Lynn Kellog, avec laquelle il a longtemps travaillé.
Le jour de la Saint-Valentin, Lynn est blessé dans une fusillade entre gangs rivaux durant laquelle une adolescente est tuée. Les parents de la victime l'accusent de s'être servie de leur fille comme d'un bouclier pour sauver sa peau. La presse fait ses choux gras, d'autant plus qu'Howard Brent, drapé dans son rôle de père meurtri et en colère, est particulièrement photogénique.
Resnick, qui brasse de la paperasse à la brigade de répression de vols depuis qu'il a accepté une promotion et quitté la PJ, accepte d'intégrer la brigade criminelle comme second sur l'enquête. Mais à force de jouer les Saint-Bernard avec sa dulcinée, il finit par causer plus de problèmes qu'il n'en résout.
Comme toujours avec Harvey, d'autres intrigues viennent irriguer la trame principale, rejoignant parfois le même lit, parfois non. Deux affaires ici : l'une concernant le meurtre d'une jeune prostituée immigrée, l'autre un trafic international d'armes à feu, sur lequel enquête notamment un organisme semi-privé (!) de lutte contre le crime qui regroupe en son sein d'anciens flics pas toujours très clairs.
Un des visages de cette "nouvelle police", rationalisée, informatisée, aux méthodes et procédures nouvelles, dans laquelle Resnick n'a plus vraiment sa place. Il le sait d'ailleurs, et envisage sérieusement de raccrocher, même si Lynn se moque de lui, à l'imaginer dans sa campagne avec "deux ânes et quelques douzaines de poulets".
Contrairement aux opus précédents, Resnick n'occupe pas véritablement le rôle principal, qui échoue davantage à Lynn Kellog ainsi qu'à une certaine Karen Shields, une inspectrice londonienne venue prêter main forte à ses collègues de Nottingham (qu'on reverra peut-être plus tard ?).
Construction impeccable - plusieurs fils narratifs, changements de point de vue -, limpidité et sobriété du style, épaisseur des personnages. Du Harvey dans le texte, sans fausse note, qu'on écoute avec plaisir mais sans être renversé non plus, tout au moins dans la première partie. Au fil des pages on se dit même qu'il manque, cette fois, ce petit supplément d'âme qui fait la différence entre un bon procedural et un bon roman.
Et puis il arrive quelque-chose. Quelque chose de soudain, de brutal et d'irrémédiable (impossible de vous dire quoi, ce serait du sabotage pur et simple), qui donne au roman une autre envergure. Les perspectives changent complètement, et on se prend à rapprocher son nez de la page, tétanisé, secoué, en tout cas complètement absorbé, et pour de bon.
Alors, un nouvel épisode un peu paresseux, qui viendrait s'ajouter aux autres sans forcément apporter grand-chose ? Pas du tout. Harvey avait sa petite idée derrière la tête, certains sentiments et émotions à explorer, et Resnick étant le personnage qu'il connaît le mieux, il l'a naturellement "ressuscité", pour un roman plus intimiste qu'à l'accoutumée, plus sombre, plus éprouvant aussi. Charlie sings the blues.
Alors, bonne idée de rappeler Resnick ? Yes, Sir.
Cold in Hand / John Harvey (Cold in Hand, 1998, trad. de l'anglais par Gérard de Chergé. Rivages/Thriller, 2010)
* Resnick, dans l'ordre : Cœurs solitaires, Les étrangers dans la maison, Scalpel, Off Minor, Les Années perdues, Lumière Froide, Preuve Vivante, Proie Facile, Eau dormante, Derniers sacrements. Tous sont publiés aux éditions Rivages.