Nogent-les-Chartreux, 20 000 habitants, une petite ville de province calme jusqu'à l'engourdissement, sombre dans la psychose tandis qu'un tueur en série sème les cadavres et la panique. Au beau milieu du chaos domine l'énorme silhouette du placide et boulimique gendarme Garand, complètement dépassé par les événements.
En pointant son faisceau sur ce microcosme, où chacun cède à la paranoïa et au repli sur soi, où la tension va crescendo jusqu'aux déchaînements de violences, Olivier Bordaçarre procède à la mise en examen d'une société sécuritaire basée sur l'instrumentalisation (et le réflexe) de la peur. Peur de l'étranger (incarnée ici par le "manouche"), peur du chômage (les dirigeants de l'usine locale, menacée de fermeture, profitent habilement du climat de crise pour culpabiliser les grévistes), peur sur laquelle surfe sans vergogne le politicard local pour s'emparer du pouvoir, en flattant les bas instincts de la populace.
Contempteur d'une France tranquille prompte à sortir la fourche pour parer au danger- réel ou fantasmé, Bordaçarre se montre éloquent mais a malheureusement tendance à forcer le trait lorsque, emporté par sa fougue (ou son indignation), il fait intrusion sur scène et joue au coryphée plutôt que de laisser la parole à ses acteurs.
Avec un sens de la dramaturgie poussé parfois jusqu'à l'extravagance (quand par exemple des bataillons entiers de militaires investissent une ville rendue à l'état de siège), il met en scène tout un petit monde, entre ses bistrotiers, commerçants, chasseurs, élus du peuple, petits bourgeois, et son cortège d'hypocrisies, de rumeurs, de mesquineries. Quant au premier rôle, il échoit au commandant Paul Garand, "nogentais depuis une trentaine d'années, [végétant] dans son logement de fonction et de célibataire endurci", n'aspirant qu'à la tranquilité des parties de pêche dominicales et aux bons petits plats. Flic impuissant butant sur les indices et se remplissant scrupuleusement la panse dès qu'il en a l'occasion. Il piétine, Garand, il est las et il ingurgite comme un ogre. Il compense. Non seulement sa morne existence, mais aussi et de façon allégorique toutes celles de Nogent. Celui qui "suit les enquêtes plus qu'il ne les mène" joue moins le rôle de l'enquêteur que celui d'un miroir reflètant toutes les frustrations, les résignations et les maigres espoirs de la communauté. A la fois le bouffon objet de toutes les moqueries et l'oracle incapable de fournir des réponses.
La dimension théâtrale du récit se retrouve aussi dans la capacité de l'auteur à emprunter différents registres de langage en fonction des personnages, que ce soit le "franglais" du fils Garand, la solennelle et toute sarkozyste démagogie du préfet, les brèves de comptoir des avinés du coin, les monologues décousus de Mathieu (qu'on comprend vite être le fils de l'assassin) qui par ailleurs nous livrent des indices sur les mobiles du tueur. Mobiles quelque peu tirés par les cheveux, il faut bien le dire (quand bien même ses motivations idéologiques renouvelleraient la figure stéréotypée du serial-killer), mais peu importe au final : comme avec Garand, on se situe davantage sur le terrain de la représentation symbolique que sur celui du fait criminel, et le coupable est moins un tueur en série que le bras vengeur d'une France qui se lève tôt, et qui s'abat sur les profiteurs, les paresseux, les parasites de tous poils.
Dans ce climat délétère et étouffant, la belle complicité entre Garand et son fils (un féru d'astronomie qui nous rappelle que si nous sommes tous dans le caniveau, certains d'entre nous regardent les étoiles, dixit Oscar Wilde) et la floraison d'amours naissantes ou renaissantes offrent quelques bouffées d'oxygène et d'espoir éparses.
Porté par la qualité de sa prose et de sa mise en scène, ce troisième roman* d'Olivier Bordaçarre vise juste et touche sa cible, malgré un propos parfois trop démonstratif. C'est d'ailleurs l'impression que j'en garderai : un jeu de claquettes stylé et fluide, mais parfois exécuté avec de gros sabots.
La France tranquille / Olivier Bordaçarre (Fayard Noir, 2011) * Après Géométrie variable (2006) et Régime sec (2008 - une dystopie croisant plusieurs destins dans une France dirigée par un parti unique).
un roman que j'ai pour ma part beaucoup apprécié, dont la lecture est de circonstance à une époque où la valeur d'un pays se résume à une lettre de l'alphabet, ou l'Autre redevient la cause de tous<br />
nos maux, et où la bêtise indécrottable risque encore une fois de nous faire atteindre le sommet du caniveau dans quelques semaines !Amitiés
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C'est vri qu'il sisit bien une certine rélité. Et pourvu qu'on relève un peu l tête du cniveu d'ici quelques semines...<br />
AAAmitiés.<br />
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cynic63
14/01/2012 08:13
Salut Jeanjean. Très belle image ta dernière phrase!!!Je partage assez ton avis sur les quelque défauts de ce roman. C'est vrai que c'est beaucoup mieux quand Bordaçarre "laisse faire" ses<br />
personnages. Je retiens aussi l'ouverture te la fermeture qui sont assez brillants et les bribes de dialogues saisis à la volée. C'est aussi, comme tu le dis, un bon miroir tendu qui touche<br />
juste...sauf quand l'auteur appuie un peu trop son propos
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Salut Cynic,<br />
Oui, un peu comme s'il prenait à la fois le meilleur (une langue parfois truculente) et le pire (l'index pointé) d'un vieux Série Noire des années 70, en tout cas ça<br />
m'a fait penser à ça.<br />
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