...un blog consacré au polar en général et au roman noir en particulier. Yann Le Tumelin
A Vollaville, on vit encore à l’heure du Débarquement, et au bar-hôtel du Dog Red, les anciens ressassent de vieilles histoires en tapant le carton, palabrent sur la grande foire des commémorations du Cinquantenaire et la saison touristique qui s’achève ; les gargotes et les boutiques de souvenirs ont baissé leur rideau, les résidences secondaires fermé leurs volets, laissant ce p’tit trou normand retrouver sa langueur et les frimas hivernaux, après la transhumance estivale.
Seul un touriste est resté. Un allemand. Ce qui ne lasse pas d’intriguer le voisinage et laisse place aux commérages. D’autant plus que le « boche » passe ses journées à écumer les plages et les bunkers, cartes en main, comme s’il cherchait quelque chose.
Il n’en faut pas plus pour ranimer les braises encore chaudes de la germanophobie ambiante, et c’est Alfred Fournier le plus virulent. Le plus contrarié aussi par les allées et venues de l‘allemand, dont la présence lui pèse de plus en plus. Car Alfred Fournier n’a pas intérêt à voir remuer de vieux souvenirs de guerre ; la Libération aussi a connu ses excès…
C’est sans compter sur Grangier, un vieil ermite reclus dans un ancien blockhaus, un fondu du Débarquement qui a pas mal d‘histoires à raconter. Quand il se prend en pleine trogne une balle de Garrant M1 - une arme utilisée par les GI lors de la seconde Guerre -, la tension monte encore d‘un cran.
On se doute dès le début que ça va très mal finir, et comme cinquante ans auparavant, c'est encore la jeunesse qui va trinquer.
Dans un lieu confiné, mélangez lentement haines tenaces, rancunes séculaires, secrets honteux, puis laissez cuire à l’étouffée une cinquantaine d’années avant de porter à ébullition, afin d’obtenir une pâte épaisse aux relents nauséabonds. Atmosphère lourde et délétère garantie.
Voilà la mixture que nous a concocté Philippe Huet, dans un roman qui fait la part belle à une brochette de personnages particulièrement bien croqués, du résistant de la dernière heure à l’adolescente impulsive, en passant par le gendarme débonnaire.
Du bon roman noir comme on l’aime, poisseux comme le brouillard qui recouvre périodiquement Vollaville.
Dans un style sobre, sans artifices, servi par des dialogues de qualité (ah, l’importance et la difficulté de « bons » dialogues !) qui rythment un récit d’une grande fluidité.
Se lit cul-sec.
Bunker / Philippe Huet (Rivages-Thriller, 2008)