...un blog consacré au polar en général et au roman noir en particulier. Yann Le Tumelin
Au Festival Etonnants Voyageurs, Moussa Konaté racontait cette anecdote : des amis (blancs, c'est important) venus le voir au Mali, faisant du stop après être tombés en panne de voiture, ont constaté que les conducteurs accéléraient à leur passage. Finalement parvenus à destination, ils s'en sont étonnés auprès de Moussa, qui leur a rappelé qu'en Afrique, le blanc est la couleur des esprits. Une blanche au bord de la route, à la nuit tombée qui plus est, avait donc peu de chance de voir une voiture s'arrêter !
Des esprits, il en est aussi question dans cette malédiction du Lamantin. Après L'Empreinte du renard, situé en pays Dogon, Moussa Konaté nous fait découvrir une autre ethnie, les Bozos, surtout présente au Mali. Semi-nomades, ils vivent principalement de la pêche le long du fleuve Niger.
Quand Kouata, leur chef, ainsi que sa seconde épouse Nassoumba sont retrouvés morts, les Bozos invoquent la colère de Maa, l'esprit des eaux.
Le commissaire Habib et son fidèle adjoint Sosso, chargés de l'enquête, se mettent eux à la recherche d'un assassin de chair et d'os.
Le pragmatisme d'Habib, "élevé à l'école des blancs", se heurte rapidement aux superstitions et aux traditions des Bozos - et aussi d'une bonne partie de ses concitoyens -, qui entretiennent un rapport au monde où la magie occupe une grande part.
Konaté sait conter une histoire, et si on peut lui reprocher d'être un peu trop didactique - les dialogues ressemblent parfois à de courts exposés -, ses descriptions et ses observations de la vie quotidienne, des coutumes et des croyances de ses compatriotes (et ceux notamment appartenant à des ethnies au mode de vie traditionnel et séculaire) sont toujours pertinentes.
Il montre certaines réalités de son pays : le frottement constant (et plus ou moins grinçant) entre le respect des traditions et une société qui se modernise, l'importance de la religion - ce mélange étonnant d'animisme et d'islam - et des castes, la corruption généralisée qui infeste en premier lieu les rangs de la police...
Lire Moussa Konaté, c'est en quelque sorte un remède contre l'occidentalo-centrisme. Au lieu des pseudo-réponses définitives et simplistes qu'on nous assène si souvent sur l'Afrique, ses romans, eux, donnent à voir, et font naître des questions, que personnellement j'ai plaisir à laisser flotter un peu sous la surface apparente des choses... Sur la part de vérité contenue dans les légendes, sur l'idée de progrès et celle de modernité, associée trop souvent peut-être aux seules capacités techniques et technologiques, sur l'altérité...
Bref, on en ressort un peu moins ignorant et un peu plus ouvert sur le monde. C'est loin d'être toujours le cas, non ?
La malédiction du Lamantin / Moussa Konaté (Fayard Noir, 2009)