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17 janvier 2009 6 17 /01 /janvier /2009 00:00

Pascal Garnier. Voilà un écrivain qui trace son p'tit bout de chemin sans faire (assez) de bruit, quand tant d'autres qui n'ont pas un dixième de son talent voient sur leur passage sonner clairons et trompettes médiatiques. Bref...

null"De chaque côté, les maisonnettes se dupliquaient comme autant de petits monuments funéraires chic et toc qui pouvaient faire craindre une certaine monotonie dans la traversée de l'éternité."
Les Conviviales. Une résidence fraichement sortie de terre dans le sud de la France, pour seniors avides de soleil et de tranquillité. Clôturée et sécurisée, avec gardien-cerbère et secrétaire-animatrice en prime.

Les premiers colons arrivent. Martial et Odette, Maxime et Marlène, bientôt suivis de Léa. On sympathise, on organise des apéros-dinatoires, on visite les églises du coin... On s'accommode des petits défauts des uns et des autres. A peine quelques accrocs.

Et pourtant on ressent un vague malaise, on voit poindre le danger, encore diffus. L'isolement commence à se faire sentir, relayé par l'ennui. Troubles obsessionnels, blessures secrètes, secrets douloureux éclatent à la surface, premiers signes de l'éruption qui ne saurait tarder.
Quand un camp de gitans vient s'installer un peu plus loin, focalisant les peurs et la paranoïa des résidents, on se rapproche encore un peu plus du cratère...


Lune captive dans un oeil mort confirme encore une fois - avec éclat, pourrait-on dire... - le talent et l'originalité de Pascal Garnier qui, roman après roman, construit une oeuvre singulière, aux frontières du roman noir, avec cette poésie et cette économie de moyens qui en font un des grands stylistes français.

En quelques traits épurés, il dépeint avec finesse ses contemporains, à la fois touchants, solitaires, ridicules. Et autodestructeurs.

Et s'il ne s'y passe finalement pas grand-chose sur cette petite Lune captive, on a pourtant du mal à l'oublier. Un de ces livres qui nous habitent bien plus longtemps que le temps qu'on a mis pour les lire. C'est un signe, non ?


Lune captive dans un oeil mort / Pascal Garnier (Zulma, 2009)

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14 janvier 2009 3 14 /01 /janvier /2009 19:27

Ces trois derniers jours, j'ai vécu à Boston. Trois jours et une paire d'années, 1918 & 1919. Un voyage dans le temps et au long cours, dont je suis revenu enthousiaste.

Quatre ans que Lehane n'avait pas publié en France, si ce n'est quelques nouvelles, en coupe-faim. Qu'allait-il nous sortir de son chapeau ? Un nouvel épisode de la série Kenzie-Gennaro ? Un tour de magie littéraire, façon Shutter Island ? Un roman polyphonique dans la veine de Mystic River ? Rien de tout cela, ou bien tout cela à la fois, dans sa (
louable et vaine) tentative d'écrire le Grand Roman Américain, chimère toujours vivace des écrivains d'Outre-Atlantique. 


nullUn pays à l'aube est à la fois une fresque historique, sociale et politique, une saga familiale, un roman de moeurs et la chronique retentissante d'un monde à l'agonie. Un pays à l'aube d'une nouvelle ère : la Grande Guerre vient de s'achever, voyant des milliers de soldats rentrer au pays et voulant retrouver leur emploi souvent occupé par des Noirs. Le pays, exsangue, connait une crise économique majeure, le chômage et l'inflation s'envolent.
Boston la puritaine, berceau de la Révolution américaine, décimée par la grippe espagnole, voit se multiplier les luttes syndicales, les mouvements communistes et anarchistes prospérer. On craint la contamination bolchévique, les manifestations et les grèves sont sévèrement réprimées. De leur côté, les Noirs commencent à s'organiser et à réclamer leurs droits, sous la férule d'intellectuels comme John Garvey ou William E.B. Du Bois.
La tension monte inexorablement, jusqu'à l'embrasement final, quand les forces de police, acculées, décident la grève.


Dans ce véritable chaudron, trois hommes aux trajectoires différentes vont pourtant se croiser. Le joueur de base-ball légendaire Babe Ruth, alors au sommet de son art ; Luther, un jeune Noir qui a fui le Sud après avoir tué un homme ; Danny Coughlin, issu d'une famille irlandaise, fils d'un capitaine de police et lui-même policier, un esprit libre et progressiste en butte au clan familial. 


Lehane nous livre un récit de presque 800 pages qui impressionne par son ampleur et sa fluidité, son sens du détail et sa puissance d'évocation. 
Tantôt épique ou intimiste, il excelle à raconter les destins individuels comme les fracas de l'Histoire. En fin observateur de la nature humaine, il éclaire avec acuité et une grande empathie la personnalité de ses personnages, leurs ambitions, leurs faiblesses et leurs émotions ; poussés par le sens du devoir, un idéal moral ou la convoitise, capables de bonté comme de la plus extrême brutalité, d'aliéner leurs semblables par le pouvoir et l'argent... Eternelle histoire, singularités de l'animal humain.

Un pays à l'aube, c'est enfin (et peut-être ce qu'on retiendra, au final) la naissance d'une Nation, le tableau vivant d'un pays chevillé à ses mythologies et où demeure cette idée si belle et typiquement américaine - qui traverse le récit tout entier - qu'il est possible de renaître, de tout recommencer, de se réinventer.


Conseil(s) d'accompagnement
: j'ai plusieurs fois pensé au 
Ragtime de E.L. Doctorow, grand bouquin des lettres américaines. Et pour ceux d'entre vous qui s'intéressent à "l'Histoire vue de la rue", je ne peux que vous conseiller Une histoire populaire des Etats-Unis de Howard Zinn.



Un pays à l'aube / Dennis Lehane (The Given Day, 2008, trad. de l'américain par Isabelle Maillet. Rivages/Thriller, 2009)

PS : si vous voulez vous faire une idée, les éditions Rivages ont mis en ligne les 30 premières pages du roman.



Babe Ruth, l'un des personnages du roman, est un joueur de base-ball de légende, ayant un nombre incroyable de records à son actif. C'était aussi un bon vivant, gros buveur et gros fumeur.
Il y a quelques années, un ami à moi a illustré un livre sur sa vie, destiné aux enfants, pour une maison d'édition située en Corée, où ce sport est très populaire. Voilà un de ses dessins, qui fut d'ailleurs refusé par l'éditeur à cause... du cigare.

                                                                                 ©Ramor

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12 janvier 2009 1 12 /01 /janvier /2009 00:00

Auteur de polars truculents et fantaisistes consacrés au détective Neal Carey, Don Winslow livre ici un roman plus académique mais tout aussi réussi.

nullEntre l'approvisionnement de poisson et de linge de table aux restaurants du coin, ses locations immobilières et sa boutique d'hameçons et d'appâts située sur la jetée, les déjeuners avec sa fille, les menus travaux chez son ex-femme et les séances de surf matinales, Frankie Macchiano, la soixantaine passée, est un homme occupé. 
Et apprécié. Tout le monde l'adore à Ocean Beach, San Diego. Il donne aux associations caritatives, finance les juniors de l'équipe de basket, organise des concours de pêche... Un type qui aime l'opéra et faire la cuisine, méticuleux, organisé et pondéré.


Mais avant d'être "Frankie le gars aux appâts", il était Frankie Machine, un homme de main de la mafia. Conduire des gens, surtout, et les supprimer, parfois. Un type redoutable dans sa partie, méticuleux, organisé et pondéré.
Mais c'était dans une vie antérieure et désormais Frankie la légende mène une petite vie tranquille. Jusqu'au jour où ses anciens amis essaient de le supprimer. Une question le taraude : pourquoi ? La partie de chasse commence. 



Pour savoir si vous pouvez passer l'hiver en compagnie de Frankie Machine, c'est simple : si Les Affranchis de Martin Scorcese figure parmi vos films favoris, banco ! (la 4ème de couverture nous apprend d'ailleurs que les droits de ce roman ont été rachetés par Robert de Niro himself, puis aurait parait-il juré de ne plus jouer de rôle de gangster... avant de lire L'Hiver de Frankie Machine. "You're talking to me ?!")

A travers la cavale de Frankie - un de ces mauvais-garçons-sympathiques-malgré-tout dont il a le secret - et de ses souvenirs, Don Winslow évoque l'itinéraire d'un affranchi au sein de la mafia de la côte ouest, des années 60 à nos jours, entre business - la trinité prostitution-porno-clubs de strip surtout -, graissage de pattes, financement de campagnes politiques, cache-cache avec les fédéraux...
Quant à la "famille", au code de l'honneur et à "toutes ces conneries de folklore sicilien", ça s'arrête à la lisière du billet vert. Luttes d'influence, exécutions sommaires, complots sont monnaie courante. Un peu de sang versé, les requins s'entretuent et vous pouvez descendre votre allié. Le boulot, rien de personnel là-dedans. 


Si on se mélange parfois un peu les pinceaux avec tous ces mafiosi de San Diego, Vegas, Détroit ou L.A., peu importe, on est emporté par ce brillant exercice de style, parfaitement abouti, qui pourrait bien devenir un classique du genre, tant l'auteur maitrise son sujet.
Et si L'hiver de Frankie Machine ne possède pas cette inventivité et cet humour décalé propres à la série des Neal Carey, Winslow a toujours l'art et la manière de nous conter une histoire et de nous happer dès les premières phrases. Toujours en mouvement, en rythme, en verve. 
   
   
L'hiver de Frankie Machine / Don Winslow (The Winter of Frankie Machine, trad. de l'américain par Frank Reichert. Ed. du Masque, 2009)

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8 janvier 2009 4 08 /01 /janvier /2009 00:00

Après le bien nommé Travail soigné (Prix du Premier Roman au Festival de Cognac 2006), dans lequel il rendait hommage - de façon macabre - aux maîtres du genre - Gaboriau, Ellroy, McIlvaney... -, Pierre Lemaitre (il s'agit d'un pseudo) nous revient dans un registre différent, avec cette Robe de marié, pas franchement immaculée.


nullSophie est une jeune femme épanouie. Un métier qui lui plait, un homme qui l'aime. A peine quelques tracasseries : des objets qu'on égare, la voiture qu'on pensait avoir garée là et qu'on ne retrouve pas... Ça gâche un peu la vie, mais rien de grave. Jusqu'au jour où sa belle-mère fait une chute mortelle dans les escaliers, exactement comme Sophie l'a rêvé la nuit précédente.
Les pertes de mémoire se multiplient, une immense lassitude l'envahit. Sophie croit devenir folle et commence à se méfier d'elle-même. D'autres accidents surviennent, jusqu'à la mort d'un jeune garçon. Sophie s'enfuit, change d'identité, toujours sur le qui-vive. Elle devient une fugitive, ne sachant pas elle-même si elle est l'auteur des crimes.

Voilà pour la première partie. A partir de là, difficile d'en dire plus sur ce roman sans en dévoiler la trame ni en diminuer l'intérêt. Sachez seulement que ce thriller parfaitement ficelé multiplie les faux-semblants et les rebondissements, et qu'on reste agrippé à cette Robe... jusqu'au dénouement, qui ne manque pas non plus d'à-propos.

Pierre Lemaitre nous fait un peu le coup de la jarretière, dissimulant et dévoilant tour à tour une vérité aussi surprenante qu'effrayante. Le scénario est tout simplement diabolique, et surtout servi par une construction ingénieuse, qui ne cesse de prendre le lecteur à revers.
De plus, son portrait de sociopathe devrait ravir les amateurs du genre, d'autant plus que son récit met très bien en scène l'intrusion de l'horreur dans la routine des jours.

Jouant habilement sur l'ambiguïté des personnages, sur les ressorts de la folie et des déviances, Robe de marié est un très bon suspense, le genre d'histoire qu'on lit d'une traite.
Du cousu main, si j'ose dire.

Vous pouvez lire une interview de l'auteur sur Bibliosurf.


Robe de marié / Pierre Lemaitre (Calmann-Levy, 2008)

PS : pour finir, je suis prêt à parier qu'un scénario pareil devrait affoler les producteurs, et qu'on verra bientôt Robe de marié sur les écrans.

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6 janvier 2009 2 06 /01 /janvier /2009 00:00
Cette année marque le 150ème anniversaire de la naissance de Sir Arthur Conan Doyle. Parmi les livres déjà parus à cette occasion, on trouve un Dictionnaire Sherlock Holmes, qui me semble de bonne qualité - encore que je suis loin d'être un spécialiste du personnage de Conan Doyle -, ainsi que le dernier roman de Bob Garcia, Duel en enfer, où il imagine une confrontation entre le célèbre détective et le non moins célèbre Jack l'Eventreur.
L'auteur n'en est pas à son coup d'essai, puisqu'il a déjà mis en scène le détective dans un précédent roman, Le testament de Sherlock Holmes. Bob Garcia est aussi musicien de jazz, et a signé récemment un ouvrage très intéressant sur les liens unissant Jazz & polar.


null"Je n'avais jamais reçu autant de courrier depuis la disparition de Sherlock Holmes. C'était comme si moi, Georges Newnes, directeur du Strand Magazine et éditeur du docteur Watson, je devenais tout à coup responsable de tout ce qui concernait de près ou de loin le fameux enquêteur."
Malheureusement, Newnes n'a plus aucune enquête à publier. Jusqu'au jour où Watson, contre une forte somme d'argent, lui remet son journal de l'année 1888. C'est ce journal que nous avons entre les mains, où Watson décrit les terribles épreuves qu'Holmes et lui ont traversé dans leur traque de l'Eventreur.


L'enquête s'avère particulièrement éprouvante. L'assassin, après avoir commis ses terribles crimes, ne laisse ne très peu d'indices, et les rares témoignages, le plus souvent contradictoires, n'apportent aucun éclaircissement. Les dons de déduction et les nerfs de Holmes sont mis à rude épreuve. Et pour venir à bout de ce mystère et de l'insaisissable Jack l'Eventreur, en qui il semble avoir trouvé un adversaire à sa mesure, Holmes, accompagné du fidèle Watson, va devoir redoubler d'intrépidité et de courage.

Mais pourquoi lire ce livre plutôt que l'original ?
Parce que Bob Garcia revisite le mythe avec talent et justesse, ressuscitant ces fameux personnages que sont Holmes, Watson ou le ridicule inspecteur Lestrade, leur insufflant une réelle densité, creusant leur psychologie. De plus, l'intrigue est bien construite, le suspense au rendez-vous et la conclusion satisfaisante, voire surprenante.

Et puis, pour ceux qui comme moi se rappellent avec plaisir la lecture du Chien des Baskerville ou d'Une étude en rouge, ça fait rudement plaisir de pousser une nouvelle fois la porte du 221b Baker Street, de croiser Miss Hudson, la gouvernante, de se retrouver dans le petit salon avec Holmes, penché sur ses éprouvettes ou debout devant la fenêtre à méditer sur quelque affaire tortueuse, ou fonçant en cab, en compagnie de nos héros, le bruit des sabots résonnant dans les ruelles noyées de brouillard...

Enfin, Garcia brosse une peinture saisissante du Londres de l'époque, une ville en pleine effervescence, à l'atmosphère tantôt joyeuse tantôt lugubre et menaçante ; ses descriptions des bas-fonds de l'East End et du quartier de Whitechapel sont très réussies : ses tripots, ses prostituées mais aussi l'insalubrité, la misère noire, les conditions de vie terrifiantes des laissés-pour-compte et l'exploitation des plus faibles.

Voilà donc un très bon polar historique, dans l'esprit, qui devrait plaire aux amateurs de Sherlock Holmes sans mécontenter les puristes.

Conseil(s) d'accompagnement : dans Le secrétaire italien, paru en 2006, Caleb Carr, l'auteur de L'aliéniste, revisite aussi le fameux personnage. Pas lu mais vu des avis positifs... ou non.  


Duel en enfer / Bob Garcia (Ed. du Rocher, 2008)
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3 janvier 2009 6 03 /01 /janvier /2009 00:00

Andrew Vachss est né en 1942, à New York. D'abord travailleur social, il s'est notamment occupé d'un centre de réinsertion pour délinquants, avant d'entamer des études de droit et de devenir avocat, spécialisé dans la défense des enfants victimes de violences sexuelles. Un fléau contre lequel il mène une véritable croisade, aussi bien dans son métier que dans ses livres et pour qui "l'écriture est un prolongement organique de [son] métier".

Vachss est surtout connu pour sa série consacrée à Burke, un privé coriace sans prénom et sans licence, ancien détenu, arnaqueur, en comparaison duquel la plupart des durs-à-cuire de l'histoire du polar passeraient pour d'aimables plaisantins.
Burke vit de petites combines (revendre à des nazis un enregistrement en yiddish de Simon Wiesenthal en leur faisant croire qu'il s'agit du dernier discours du fürher !, faire paraitre des annonces bidon pour recruter des mercenaires en Afrique, revendre des faux papiers...), et dans son bureau-bunker en compagnie de Pansy, un molosse de 70kg dont le pêché mignon est de regarder le catch à la télévision ! 
Quand il s'attèle à des affaires de viols d'enfants et de pornographie infantile, il peut compter sur sa bande d'amis, pour le moins pittoresques : Max le Silencieux, un tibétain muet expert en arts martiaux, Michelle le transexuel intello qui se prostitue et met de côté pour se faire opérer en Europe, Prophète le prédicateur des bas-fonds, la Taupe, petit être chétif spécialiste des explosifs et d'électronique vivant reclus dans une casse automobile...

Dans son Guide des 100 polars incontournables, Hélène Amalric évoque le New York de Vachss comme l'un des cercles de l'Enfer de La Divine comédie. On ne saurait mieux dire.
Flood est le premier roman de la série. Où l'on découvre Burke et son environnement, un New York apocalyptique et hyper-violent où semblent s'être donnés rendez-vous tous les tordus et fous dangereux du pays (il faut dire que la criminalité est très élevée à N.Y. durant les années 80), et qui n'est pas sans rappeler l'univers de certains romans d'anticipation cyberpunk comme Blade Runner. D'ailleurs, Flood est truffé de trouvailles et gadgets électroniques à la James Bond, dont se sert Burke pour se protéger ou tout simplement rester en vie. 
Flood, c'est un p'tit bout de femme aussi dangereuse que déterminée à retrouver un violeur d'enfants. Avec Burke, et dans une atmosphère particulièrement oppressante, ils vont enquêter dans le milieu glauque et malsain du porno. 

Dans le second opus de la saga Burke - Grand Prix de littérature policière en 1988 -, ce dernier est chargé de retrouver une photo porno sur laquelle apparait un garçon, afin qu'il puisse exorcicer le traumatisme subi. Il est engagé par la fille d'un parrain de la pègre, Strega la rousse, alias la Sorcière de Brooklyn, personnage équivoque et mystérieux, à mi-chemin entre la petite fille vulnérable et la tarentule, et qui subjugue littéralement Burke.
Nous voilà repartis dans les quartiers mal-famés de la Grosse Pomme. Prostituées, maquereaux violents, pornographes, sadiques et brutes en tous genres constituent la faune de cette jungle urbaine où le danger pointe à chaque page.
Débarrassé de l'aspect futuriste et des gadgets du premier opus, La sorcière de Brooklyn est encore meilleur que Flood, plus épuré, plus abouti et plus sombre.

Andrew Vachss a aussi écrit de nombreuses nouvelles, publiées en France par les éditions Rivages sous le titre Le mal dans le sang. 
Découpées en grands chapitres. Dans celui intitulé Cross, on a affaire à un double de Burke, encore plus dur et impitoyable (si, si, c'est possible), qu'on engage pour régler "proprement" et "définitivement" certains problèmes, surtout quand il s'agit de pervers sexuels.
Le reste du recueil est à l'avenant, fangeux, et donne une vision assez juste de l'oeuvre et de l'univers de l'écrivain. Et si ces nouvelles sont de qualité plutôt inégale, certaines, comme la nouvelle éponyme ou Pose le pied sur une fissure, sont de petits bijoux.


La position de Burke, comme celle de Vachss d'ailleurs, aussi dure et discutable soit-elle, est celle-ci : les pédophiles sont des dégénérés qu'il faut éradiquer et aucune réhabilitation n'est possible avec ce genre d'individus. Un avis tranché qui vous gênera peut-être à la lecture de Vachss, d'autant plus que Burke, son double (celui qui s'est affranchi des règles et des lois ?), n'hésite pas à rendre la justice par lui-même, une justice sommaire et brutale.
D'un autre côté, la pornographie infantile est un thème rarement abordé dans la littérature policière, et Vachss le fait avec une force et une justesse qui forcent l'admiration, quand il traite de psychologie infantile ou quand il insiste, par exemple, sur le fait que la pédophilie n'a rien à voir avec l'homosexualité (un préjugé qui avait la vie dure dans les années 80, et encore aujourd'hui...). D'autre part, Vachss évite autant tout voyeurisme, et quand bien même les choses qu'il décrit feraient naître quelque fascination, voilà ce qu"il répond : "Je crois que, dès qu'on choisit d'écrire sur l'horreur et qu'on la reproduit dans le cadre d'une fiction, on prend le risque de l'ambiguïté et celui de fasciner le lecteur avec les choses dont on ne fait que rendre compte. Mais je ne vois pas comment faire autrement si l'on veut approcher une réalité pareille." (in Badlands)

Alors que ses romans, et notamment le cycle Burke remportent un grand succès aux Etats-Unis, où vient de paraitre le 18ème opus, Another life, Vachss reste méconnu en France, où les quelques traductions (dont les 4 premiers titres du cycle Burke) sont toutes épuisées, hormis un recueil de nouvelles. Si un éditeur passe par là...


Flood
(Flood. Presses de la Cité, 1986)
La sorcière de Brooklyn (Strega. Albin Michel, 1988)
Le mal dans le sang (Born bad. Rivages, 1998)

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1 janvier 2009 4 01 /01 /janvier /2009 22:46
J'ai appris ce soir la triste nouvelle : l'écrivain américain Donald Westlake, âgé de 75 ans, créateur des fameux personnages Dortmunder et Parker, est mort hier.

Cet auteur prolifique s'était vu décerner en 1993 le titre de Grand Maître par l'association Mystery Writers of America.  Nombre de ses romans - Le contrat, Le couperet... - ont été adaptés au cinéma.

Un grand de la littérature policière s'est éteint. Fichue année 2008.
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30 décembre 2008 2 30 /12 /décembre /2008 23:00

Ted Lewis, né à Manchester en 1940, est mort d'alcoolisme 36 ans plus tard. Entretemps, il a écrit huit romans (cinq traduits en France... A quand les autres ?!), résolument noirs et âpres, huit pavés dans la mare alors stagnante du polar britannique, qui ont fait fait quelques ricochets, jusqu'à Robin Cook par exemple (non, pas celui qui commet des "thrillers médicaux"), qui signe d'ailleurs la préface de Sévices. Lewis lui faisait penser à David Goodis, c'est vrai que les deux univers se rapprochent. Glauque et désespéré. 

 

Comme dans plusieurs de ses romans, Ted Lewis nous plonge avec Sévices au coeur de la pègre, en racontant, à la première personne, la chute et la dégénesrence de Georges Fowler, un maniaque et truand de haut vol, qui fait dans le porno trash. 

Le crime paie et notre homme est à la tête d'une grande entreprise, qui emploie beaucoup d'employés, des récolteurs de fonds, un bras droit qui s'occupe des basses besognes, un flic ripou, un avocat : une belle organisation pyramidale qui doit le protéger des pressions extérieures - justice ou adversaires -, lui et sa femme Jane. Et quand l'un de ses "employés" est soupçonné d'avoir mouchardé ou de l'avoir volé, il est torturé à mort, comme on prendrait un déjeuner d'affaires.
 
Mais quand commence le récit, Fowler est un homme fini. Un fantôme qui erre à longueur de journée dans les rues de la petite ville balnéaire qui lui sert de refuge, se remémorant le passé proche et les circonstances qui l'ont amené là.
La solitude, la perte de Jane, l'alcool qui vient au secours de plus en plus souvent : Fowler va sérieusement perdre les pédales. Jusqu'à se désintégrer, dans un final hyperviolent, absolument hallucinant.

La narration à double temps - en une succession rapide de courts chapitres alternent passé et présent -, la force et la vérité des dialogues, où percent, avec un naturel déconcertant, les sentiments et la personnalité des personnages : on est agrippé dès le début du récit, et pour de bon.


Appréciable aussi chez Ted Lewis, le fait qu'il ne nous tire pas sur la manche en permanence pour nous montrer un truc qu'on aurait pas vu, qu'il n'éprouve pas le besoin d'expliquer à longueur de page "qui est qui" et pourquoi, comme le font tant d'autres auteurs (à se demander parfois s'ils ne prennent pas le lecteur pour un abruti fini incapable de saisir l'implicite).
Non, Il laisse au lecteur le soin de déduire, de reconstituer peu à peu la nature des événements, l'identité des personnages et leurs relations, et de remplir les creux au besoin. Un peu comme une paroi abrupte qu'on aura d'autant plus de plaisir à escalader qu'elle offre peu de prises.

Sévices est souvent considéré comme le plus abouti des romans de Ted Lewis. Ne les ayant pas tous lus, je ne saurais dire, mais ce qui est sûr, c'est que c'est un grand roman noir et un texte singulier.

Pour en savoir un peu plus sur les autres romans de Ted Lewis, allez lire le bon billet de JM Laherrère sur Actu-du-noir.


Sévices / Ted Lewis (Grevious Bodily Harm, trad. de l'anglais par Jean Esch. Rivages/Noir, 1993)

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24 décembre 2008 3 24 /12 /décembre /2008 00:00
"Incontestablement, un des liens les plus touchants entre le jazz et le polar est celui d'afficher une apparente nonchalance face aux contretemps, aux mauvais coups de la vie". Julien Delli-Fiori (in Jazz et polar, Bob Garcia)

Jazz & polar. Polar & jazz. Ca fait un moment que ces deux-là font la route ensemble ; c'est presque devenu une image d'Epinal. Un set de mythologie, un set de cliché.
On aime ou pas. Mais si on est sensible à l'ambiance, on aime aussi les histoires de Marc Villard. Des histoires tristes et belles comme la complainte d'un sax.
Ce chorus, c'est peut-être dans Coeur sombre qu'on l'entend le mieux.

nullDiana est chanteuse au Cherokee, le club de jazz de son mari Richard Deville, dans le quartier Barbès. On y trouve des oiseaux de passage, des "blaireaux", et même un flic. Aux murs, les photos des jazzmen qui sont passés là. Max Roach et Sonny Rollins figurent en bonne place : l'heure de gloire du Cherokee.
Côté routine, par contre, c'est le racket et les traficants de drogue, auquels Deville refuse de céder. Intimidations, menaces. Un jour, la violence monte d'un cran : une expédition punitive et Diana est tuée. Ce devait pourtant être un grand jour : elle devait rencontrer le mythique Dave Robinson, sax ténor du grand Art Pepper, tombé depuis longtemps dans l'oubli. Dave était devant le club quand Diana est morte ; il a vu ces hommes.
Richard, fou de douleur, ne pense qu'à se venger. Sur sa route il va rencontrer Alex, une jeune dealeuse un peu paumée et guitariste à ses heures.

Alone together
La ville, la nuit, la solitude des êtres. Voilà le tryptique.
On croise des âmes déglingués, toujours sur le fil du rasoir, et qui tombent invariablement du mauvais côté. 
Amateurs de happy-end, serrez les dents ! Pas de rédemption chez Villard, une rémission passagère au mieux, avant de sombrer dans la folie, la mort, le désespoir. Voilà le cantique. Celui des vaincus, des pris-au-piège, chanté avec une immense compassion.

Coeur sombre, c'est aussi un texte affûté comme une lame. Une écriture dépouillée, ronde et incisive comme un air de be-bop. Villard écrit à l'oreille et ça s'entend. De belles lignes mélodiques, une rythmique. 

Là, Villard a chopé 
la Note bleue, la fameuse. Pas vraiment bleu-ciel, vous l'avez compris. Ou alors bouché.


Coeur sombre / Marc Villard (Rivages/Noir, 1997)
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22 décembre 2008 1 22 /12 /décembre /2008 08:00
Depuis la parution de No Country for old men et surtout de La route, Cormac McCarthy rencontre (enfin) un grand succès public en France. Ce qui nous vaut peut-être la réédition d'Un enfant de Dieu ; c'est l'occasion en tout cas de (re)découvrir un de ses premiers romans.
Là, je pourrais dire qu'on y trouve en germe ce qui fera les chefs d'oeuvre futurs - le style dépouillé, abrupt ou lancinant, les variations sur la part sombre de notre humanité... - mais Un enfant de Dieu est, déjà, un chef d'oeuvre.

S'inspirant de faits réels, McCarthy narre le destin de Lester Ballard, pauvre hère du Sud profond, devenu un tueur nécrophile. A moins qu'il l'ait toujours été. L'auteur, s'il distille quelques indices biographiques, ne tente aucune explication, mais rentre dans son personnage, explore son paysage mental.

Orphelin, abandonné des hommes et les fuyant lui-même, chassé de sa maison, Lester erre sur son petit territoire isolé des Appalaches comme à l'intérieur de sa propre solitude. En lisière de la ville avoisinante, en marge de ses semblables.
Se délestant peu à peu de son humanité - conscience, empathie... Ne subsistent bientôt que dépravation, dénuement, bestialité. Et l'instinct de survie, doublée d'une forme aïgue de violence primitive, un thème récurrent chez McCarthy.
S'abritant dans une grotte, comme un animal, il y ramène les corps de ses victimes, sur lesquels il peut exercer un pouvoir. Une forme déviante d'accomplissement de soi.

Ancré dans le Sud profond, Un enfant de Dieu, comme d'autres romans de McCarthy, fait beaucoup penser à ceux de Faulkner. Par sa dimension tragique, par cette façon de décrire l'exacerbation des passions. Par sa prose aussi, syncopée, abrupte, riche, musicale ; et qui exerce une forte attraction sur le lecteur.

McCarthy a composé un requiem. Une magnifique et terrible allégorie, d'un lyrisme sombre. Mystique, hallucinée, incantatoire, obsédante. Qui provoque le malaise et la fascination : si cet homme est "un enfant de Dieu, sans doute comme vous et moi", l'image qu'il nous renvoie de nous-mêmes est effrayante.

En tout cas, lire McCarthy est une sacrée expérience.


Un enfant de Dieu / Cormac McCarthy (Child of God, trad. de l'américain par Guillemette Belleteste. Actes Sud, 1992 ; Points Roman noir, 2008)
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