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15 septembre 2011 4 15 /09 /septembre /2011 00:00
"Puis je compris : j'étais devenu pareil... pareil à Paolino (...) J'avais la même fureur, la même envie de tout casser. Je me remis à pleurer, devant le miroir, comme un minot, à chaudes larmes... nu strunz', un con."

Comme tant d'autres dans o'quartier, Gennaro vit de petits trafics jusqu'au jour où, convoqué par le boss Don Rafele, sa vie prend une autre tournure. Trafics, meurtres, torture : Gennaro n'est pas taillé pour ça - "moi je voulais seulement gagner ma vie."


L'offenseL'ambition de De Filippo n'est pas d'explorer les arcanes de la Camorra, à la manière d'un Roberto Saviano, ni de raconter l'ascension d'un jeune homme dans la hiérarchie mafieuse, mais de montrer comment "le Système" s'empare de lui, le soumet, assèche ses émotions, et combien cet homme, en définitive, interagit avec son milieu.

Ce milieu, c'est un quartier populaire de Naples, où l'ont vit de magouilles et les uns sur les autres dans des logements vétustes, "une enclave dedans la ville. Et après y' avait la ville, avec d'autres gens, d'autres règles, la loi, les immeubles normaux, il y avait l'université, l'école... la mer". Un terrain fertile et une main d'oeuvre inépuisable pour la mafia. Cette réalité, Gennaro ne la perçoit que confusément ("je ne comprends rien" répète-il plusieurs fois au cours de son récit) et même, ne se considère pas véritablement comme un camorriste avant que sa femme, excédée, ne lui ouvre les yeux.

A ce moment, la conscience alourdie par la mort d'un gosse ou l'innocence bafouée d'une pute, en proie au doute et à la culpabilité, il a encore le choix : se sauver ou devenir un autre Paolino, ce "fou criminel" qui l'a pris sous son aile. Mais comment déserrer l'étau de la Camorra ? Le dénouement, un peu faible, laisse entendre que la famille et l'amour des siens suffiront. Optimisme discutable.


L'ambition (réussie) de l'auteur passe aussi par la langue, une narration à la première personne*, dans un mélange d'italien et d'argot napolitain (excellemment rendu dans la traduction) : De Filippo se glisse habilement dans la peau de son personnage, sans qu'on voit jamais son ombre, ou presque
. Tout ce que nous voyons, nous le voyons à travers le regard de Gennaro. C'est à travers, et seulement à travers sa parole que le lecteur suit et reconstitue les événements, en s'arrangeant des digressions, des ellipses voire des moments de confusion du narrateur.

C'est aussi à travers Gennaro que l'auteur nous montre comment la camorra, cette séculaire et prospère organisation, a élargi ses activités à l'international (drogue, prostitution) et investi dans des secteurs légaux (l'immobilier, par exemple). Comment elle a atteint un tel degré de toxicité : en charge de la gestion des déchets, elle pollue les sols et la baie de Naples, comme elle pollue les consciences. Comment elle a infesté les institutions et comment rien d'important ne se décide sans elle.
Pire : ce que laisse entrevoir L'Offense, c'est que la Camorra, de bien des manières, est l'institution. La norme. C'est sans doute ce qui effraie le plus, plus encore que l'extrême violence dont elle use pour asseoir son pouvoir.


L'Offense / Francesco De Filippo (Sfregio, 2006, trad. de l'italien par Serge Quadruppani. Métailié, Noir, 2011)


* le premier roman de l'auteur traduit en français, Le naufrageur, utilise le même procédé narratif et raconte sensiblement la même histoire - un jeune albanais se retrouve sous les ordres d'un chef de la mafia.
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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 00:00

Londres, 2013. Le Ministère de l'Intérieur a mis en place le "système Lombroso (1)" : une base de données confidentielle répertoriant, à partir d'une particularité génétique, des criminels sexuels potentiels. Affublés d'un nom de philosophe censé garantir leur anonymat, ils sont contraints de suivre un traitement censé juguler leur propension à la violence. Mais l'un d'eux, un certain Wittgenstein, en parvenant à contourner les barrières informatiques, s'est s'assigné une mission : les assassiner l'un après l'autre.


S'il est surtout connu pour sa Trilogie berlinoise, il serait dommage de réduire le britannique Philip Kerr aux seules aventures de Bernie Gunther. Comme en témoigne cette Enquête philosophique qui, à partir d'un schéma rebattu - le duel à distance entre une experte en criminologie et un tueur multiple - mêle astucieusement investigation policière et quête philosophique.  
   
Une enquête philosophiqueToutes deux "ont ceci de commun qu'elles partent du principe qu'il y a une vérité à découvrir. Notre activité est faite d'indices qu'il nous faut l'un comme l'autre rassembler pour reconstruire une image vraie de la réalité. Au coeur de nos entreprises respectives, il y a la recherche d'un sens, d'une vérité qui, pour une raison ou pour une autre, est demeurée cachée."

Au fil d'un récit par ailleurs remarquablement mené, s'intercalent les monologues du tueur exprimant ses humeurs et ses raisonnements ; s'interrogeant sur des notions philosophiques telles que la raison, l'éthique, les limites du langage et, en définitive, sur le concept du solipsisme (auquel s'est justement intéressé un certain... Ludwig Wittgenstein) qu'on peut résumer ainsi : il n'y a pas de réalité en dehors du sujet pensant et le monde autour de lui n'est qu'une représentation.

En
superposant habilement cette notion à la figure littéraire du tueur en série - dans la plupart des cas un sociopathe indifférent aux émotions d'autrui et réduisant le monde à sa simple volonté -, Kerr lui donne une véritable épaisseur psychologique, là où la quasi-totalité des polars du même type se vautrent dans le sensationnalisme et les poncifs les plus éculés.
   

Suprême paradoxe, alors qu'il est justement censé prémunir contre ce type d'individu, c'est le système Lombroso qui "crée" Wittgenstein, tel Frankenstein sa créature, et brouille ainsi les frontières morales qu'il avait "biologiquement" tracées entre le bien et le mal.

C'est là l'autre versant du roman, qui souligne la non-concomitance entre progrès technologique (systèmes de fichage, réalité virtuelle...) et progrès moral. Paru en 1992, il anticipe avec beaucoup d'à-propos les dérives sécuritaires à l'oeuvre au Royaume-Uni (2), en décrivant une société cruelle et aveuglément répressive - le "coma punitif" a remplacé la peine carcérale -, par ailleurs exclusivement basée sur la responsabilité individuelle et faisant fi du déterminisme socio-économique.
Au bout de cette logique se situe naturellement la dictature eugéniste ainsi que la ruine des institutions (médias, politique, université, santé publique, justice...) - c'est le cynisme du Ministre, c'est la bêtise crasse du gardien de prison, c'est l'acharnement du journaliste commentant la mort d'un criminel, c'est la compromission du recteur..., autant de détails qui brossent à petites touches le portrait d'une civilisation en danger.



Last but not least
, l'auteur s'autorise quelques savoureuses parenthèses concernant l'esthétique du crime, le folklore du "meurtre hollywoodien" largement répandu dans la littérature policière(3) ou la phénoménologie de la lecture, aménageant au passage quelques paliers de décompression humoristiques ("Il semblait avoir une prédilection pour les préraphaélites, ce qui en soi est une raison suffisante pour tuer n'importe qui").
 

A la fois brillant et intellectuellement stimulant, Une enquête philosophique est aussi un roman exigeant, parfois ardu. Il déroutera peut-être les inconditionnels du thriller "pop-corn", qui auraient tort pourtant de s'en priver. Qui sait, il pourrait même vous réconcilier avec la philosophie si, comme c'est mon cas, l'enseignement scolaire vous en avait éloigné.


Une enquête philosophique / Philip Kerr (A Philosophical Investigation, 1992, trad. de l'anglais par Claude Demanuelli. Seuil, 2004 ; rééd. Editions du Masque, Grands formats, 2011)



(1) médecin et théoricien italien, Cesare Lombroso (1835-1909) développa l'idée selon laquelle les comportements criminels seraient innés, et même repérables grâce à certaines caractéristiques physiques (bras trop longs, forme du crâne...). Ses travaux connurent un grand retentissement dans le domaine de la criminologie.

(2) il faut dire que le Royaume-Uni s'est illustré très tôt en matière de politique sécuritaire, concernant la vidéo-surveillance par exemple.

(3) "La plupart de ses livres avaient des couvertures vulgaires et relataient d'invraisemblables histoires de meurtres, d'un intérêt limité, avec des enquêtes menées soit par des femmes toujours prêtes à plaisanter, soit par des inspecteurs grands buveurs de bières, dont la vie n'était qu'une suite de passe-temps excentriques, de badinages romantiques, d'aventures à l'étranger, de rencontres avec des méchants aux manières onctueuses, d'observations brillantes et de happy-end édifiants."

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6 septembre 2011 2 06 /09 /septembre /2011 00:00

Pas comme ça / que c'était censé finir. / mais je suis le shérif de King County / et mon boulot / c'est faire respecter la loi / et cette responsabilité / ne s'arrête pas à ma porte.

KingCountyAdossé contre le puits d'où monte une supplique (Papa, mes jambes ne bougent plus !), dans cette clairière envahie de broussailles, près de cette cabane en ruine qui fut la maison de son enfance, le brave et apprécié de tous shériff Branches soliloque. 

 
Pense à son beau-fils Danny, là au fond du puits, au petit garçon adorable qu'il était et à leurs parties de pêche, avant qu'il grandisse et devienne quelqu'un d'autre, qu'il se mette à dessiner des croix gammées sur ses cahiers d'écolier et lise Blood & Honour. Pense à sa femme Mary, à l'assiette de burritos et au programme Vidéo-gags qui l'attendent à la maison. - "Qu'est-ce que je vais dire à ma femme ?"

Se remémore l'enfance coincée entre une mère apeurée et un ivrogne brutal. Et cette teigne de Bootlegger qu'il a massacré. Et tous ces chiens empoisonnés et ces deux saletés de Mexicains. Et cette "Mlle Je T'Allumes Chez Babe's" qui a fini au fond d'un arroyo. Et ces "8 pouces de canon qui s'enfoncent...". "J'ai tué des tas de types, fils."  



Etonnant texte que ce King County Sheriff, roman en vers libres de l'américain Mitch Cullin* renvoyant directement à l'univers de Jim Thompson et à ses shérifs détraqués, Nick Corey (1275 âmes) ou Lou Ford (Le démon dans ma peau).

Personnage sadique par excellence, le shérif Branches a une conception complètement désaxée du Bien et du Mal, invoque la loi pour légitimer ses actes et n'éprouve après coup aucune sorte de regret, concédant seulement quelques "erreurs" de jugement - en vérité une escalade meurtrière.

Dissimulant sous son insigne son complexe de toute-puissance, il se voit comme le "Justicier" délivrant le châtiment et le rédempteur rachetant les fautes d'autrui, par des crimes plus grands encore. Accusant le Ciel ("Alors me demande rien sur Dieu / C'est juste un fils de pute / qui décharge Ses semences / à tous vents / et se fait la malle / quand Ses enfants / Le réclament." ), il déplore en même temps l'impunité dont il jouit (Rien ne se passe. / Aucune botte d'homme de loi ne s'arrête. / Personne ne demande quoi que ce soit) :
tel les "héros" de Jim Thompson, Branches incarne la solitude morale et l'aliénation de la conscience dans un monde déserté à la fois par Dieu et la justice des hommes.

A travers sa voix, qui prend parfois des accents incantatoires, Mitch Cullin fait aussi le portrait de cette Amérique cul-terreuse des rednecks, où la peur et la haine, cultivées à l'ombre d'un machisme exacerbé et d'une fascination morbide des armes, produisent des monstres et détruient les plus faibles et les minorités - les seules victimes ici étant des Noirs, des immigrés mexicains, des homosexuels, des femmes et des chiens.
     

Au-delà de l'exercice de style et du jeu de référence, le "comté de King" mérite qu'on s'y arrête pour la beauté de ses formes, pour sa poétique du désenchantement, ou plus simplement pour ses paysages, arbres mesquites et poussière collante. 



King County Sheriff / Mitch Cullin (Branches, 2000, trad. de l'américain par Yoko Lacour. Ed. Inculte, 2011)

* auteur notamment de Les abeilles de Mr Holmes (qui met en scène un Sherlock Holmes usé de 93 ans) et de Tideland, adapté en 2006 par Terry Gilliam.

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24 août 2011 3 24 /08 /août /2011 00:00
Ce 16ème opus de la série consacrée au shérif cajun Dave Robicheaux dépare quelque peu des précédents. Par l'ampleur du sujet - l'ouragan Katrina qui a ravagé, remodelé et traumatisé la Louisiane. Par la colère redoublée et la désillusion croissante de James Lee Burke qui émanent à chaque page, puisqu'on lui a volé son paradis perdu.
Mais cela n'en fait pas forcément un bon livre : au final, La nuit la plus longue s'avère beaucoup trop longue, donnant un roman bancal, et plutôt poussif malgré quelques fulgurances.


La nuit la plus longueFaisons court : août 2005, l'ouragan Katrina dévaste La Nouvelle-Orléans et ses environs. En plein chaos, Robicheaux est chargé de retrouver deux jeunes Noirs ayant cambriolé un caïd local et impliqués par ailleurs dans une affaire de viol. 

On est habitué aux intrigues joliment emberlificotées d'un Burke qui parvient toujours à retomber sur ses pieds. On l'est moins quand, dans le cas présent, il multiplie raccourcis et coïncidences commodes (par exemple la façon inopinée dont les personnages sont liés).

L'essentiel est ailleurs, diront certains non sans raison : dans la qualité des personnages secondaires (notamment celui du gangster Sidney Lovick (1)), dans ce sensuel et perpétuel chant d'amour à la Louisiane et, surtout, dans le tableau apocalyptique d'une ville et d'une région tuées trois fois - par l'arrivée de la came dans les années 80 puis par Katrina, enfin par l'abandon du gouvernement.
Mais, même sur ce dernier point, on constate que Burke reste en périphérie du sujet, malgré quelques descriptions saisissantes, trop occupé à relier maladroitement les fils de son intrigue (2). Et l'intrigue étant le moteur du roman, on s'enlise...


L'essentiel est encore ailleurs, peut-être : au-delà du chaos engendré par Katrina, d'une Nouvelle-Orléans "revenue au temps du Moyen-Age" et des vestiges d'une civilisation, tout le roman gravite autour de l'idée de transcendance. Celle qui anime à la fois les coupables et les victimes, les uns aspirant à la rédemption, les autres (plus laïquement) à la résilience ; celle de l'esprit sain (symbolisé par cette mystérieuse luminescence sous-marine) sur la matière dévastée et l'hypothétique "renaissance" de la cité après le déluge.
Traversant toute l'oeuvre de Burke, la dimension mystique est plus prégnante encore, comme si, face à l'anomie d'une société, Dieu seul pouvait désormais sauver les hommes abandonnés à leur sort (selon son degré de résistance, on s'agacera ou non de cet accès de religiosité).  

L'autre point intéressant du roman tient au changement d'attitude de Robicheaux vis-à-vis d'une vieille compagne : sa propension à la violence. Croisant sur sa route un adversaire particulièrement retors, insensible aux menaces comme aux coups, il parvient, pour la première fois peut-être, à canaliser cette violence rentrée - allant même jusqu'à tempérer les ardeurs de son éternel et incontrôlable compère Clete Purcell. Ce qui fait indirectement du "méchant" Bledsoe le personnage le plus intéressant du livre, même si Burke tente inutilement d'en faire un Ted Bundy ou un BTK (3).



Pourquoi apprécie-t-on autant les séries policières et les personnages récurrents ? Pour le plaisir rassurant et confortable de retrouver un héros familier, d'affronter avec lui l'inconnu tout en gardant ses points de repères. C'est pour cela que j'aime les romans de James Lee Burke, entre autres. Et c'est aussi pour cela que La nuit la plus longue m'a déplu, en sus des raisons évoquées plus haut. Car la donne a changé, Katrina est passée par là.
D'une certaine manière, le caractère exceptionnel du sujet (Katrina) vient briser le caractère cyclique de la série, et j'incline à penser que Burke aurait mieux fait de délaisser pour cette fois son personnage fétiche comme son lyrisme bucolique(4), voire carrément d'escamoter la trame policière.


La nuit la plus longue / James Lee Burke (The Tin Roof Blowdown, 2007, trad. de l'américain par Christophe Mercier, Rivages/Thriller, 2011)


(1) le gangster local est une figure récurrente dans les romans de Burke, et une image inversée de Robicheaux dont il partage le plus souvent des souvenirs communs. (Bellophoron Lujan dans La descente de Pégase, Merchie Flannigan dans Dernier tramway... etc)

(2)
alors qu'on suit de près les (sporadiques) avancées de l'enquête, on ne sait finalement pas grand-chose de la façon dont les choses se déroulent à La Nouvelle-Orléans, sinon quelques descriptions lorsque Robicheaud se rend là-bas. Et quand ce dernier, à deux reprises dans le récit, devient acteur des événements en prêtant main forte aux équipes de secours, le lecteur doit se contenter d'un "Il revint au bout de trois jours. Il était épuisé".

(3) Ted Bundy et Dennis Linn Rader dit BTK (Blind, Torture and Kill), célèbres tueurs en série américains.

(4) quoique Burke se fasse moins lyrique qu'à l'habitude - il faut dire que le sujet s'y prête moins -, il continue néanmoins de nous entretenir des pacaniers, des teintes du ciel ou de la pluie obscurcissant le feuillage des chênes verts, autant de descriptions qui contrastent bizarrement avec ce qui se joue de l'autre côté du Delta, dans une ville presque entièrement recouverte par les eaux, et sur lesquelles flottent cadavres et débris de toutes sortes. 
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20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 00:00

Tout commence avec la mort du petit Rogelio. Accident domestique ou infanticide ? Moqué par la presse, le commandant Ojeda s'empresse d'accuser la mère de l'enfant, dont la fragilité l'émeut par ailleurs, et lui donne l'idée d'écrire le grand roman dont il rêve depuis toujours. Non content de piller Pessoa, Flaubert ou Garcia Marquez, il décide tout bonnement, pour l'aider dans son entreprise, de faire kidnapper le poète mexicain et Prix Nobel de littérature Octavio Paz...


Apportez-moi Octavio PazMoins subversif qu'impertinent, Apportez-moi (la tête d') Octavio Paz ne se prive cependant pas de pourfendre la corruption institutionnalisée et les connivences entre police, justice et médias.
Flics, avocats, journalistes, tous pataugent dans la même fosse à purin, torturant, falsifiant les preuves, fabriquant des coupables ou chassant le scoop juteux. Tournées en dérision, poussées jusqu'à l'absurde, leurs manigances et leur cupidité confinent au ridicule.

Tout n'est qu'imposture et leurre au Mexique de Federico Vite, y compris l'éminent Octavio Paz (un autre représentant de l'ordre établi, des Lettres celui-là), réduit ici au rôle d'un tartuffe s'octroyant indûment les mérites d'autrui et dont la fourberie n'a d'égal que son immense renommée.

Pour avoir osé déboulonner la statue du Commandeur, tous les exemplaires de Fisuras en el continente literario ont d'ailleurs été retirés des librairies mexicaines, sur la demande de la veuve du poète.
 
Pour finir, si ce bref roman (une centaine de pages) donne parfois l'impression d'une accumulation de scènes successives - mention spéciale à l'invasion d'un commissariat par une meute de chats ! -, ce n'est pas une raison suffisante pour se priver de cette mignardise, drôle et délicieusement caustique.


Conseil(s) d'accompagnement : dans Une saison de scorpions (chez le même éditeur), Bernardo Fernandez utilise sensiblement le même registre burlesque pour traiter des travers de la société mexicaine.


Apportez-moi Octavio Paz / Federico Vite (Fisuras en el continente literario, 2006, trad. de l'espagnol (Mexique) par Tania Campos. Moisson Rouge, 2011)

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17 août 2011 3 17 /08 /août /2011 00:00

Publié dans la nouvelle collection Robert Pépin présente de Calmann-Levy (l'historique éditeur de Connelly ayant quitté Seuil Policiers), le premier roman du sud-africain Roger Smith nous convie à un chassé-croisé effréné dans les rues du Cap, mettant aux prises quatre hommes :

Jack Burn est un ancien soldat américain ayant fui les Etats-Unis avec femme et enfant après s'être laissé entraîné dans une vilaine affaire ; Benny Mongrel, ex-taulard et membre d'un gang, s'est juré de changer de vie et vivote comme gardien de chantier ; l'adipeux inspecteur Gatsby Barnard, pourri jusqu'à la mœlle, règne depuis des lustres sur les bas-quartiers des Flats ; tandis que Disaster Zondi, un super-flic venu de Johanesburg, a juré de le faire tomber.


mélanges de sangsNous baladant d'un bout à l'autre du Cap, Roger Smith donne à voir une ville contrastée - entre affluence touristique et recrudescence des gangs -, s'attardant particulièrement sur la zone des "Flats", un gigantesque township s'étendant sur la plaine à l'est du Cap où se déploient une misère et une violence extrêmes.

Cependant la dimension sociétale et ethnique (discrètement introduite par la distribution des rôles : un yankee, un métis, un boer, un zoulou) demeure en arrière-plan, Roger Smith privilégiant l'action et la vitesse d'exécution. Situations et rebondissements s'enchaînent à vive allure tandis qu'on passe prestement d'un personnage à l'autre - la multifocalisation servant moins à offrir différents points de vue sur la nation arc-en-ciel qu'à imprimer un rythme ultra-rapide au récit.

Plutôt faible dans sa peinture de l'Afrique du Sud d'aujourd'hui, malgré un effort louable, le roman vaut surtout par la quête improbable que mène chacun des protagonistes pour sa propre rédemption, que ce soit Barnard le fanatique mystique, Burns et ses errements passés, ou Mongrel qui aspire plus simplement à une forme de paix intérieure et finira par gravir la Montagne (celle de la Table).


Au final, Mélanges de sangs s'avère un polar bien ficelé et entraînant, heureusement dénué de bons sentiments et ne cédant pas au happy-end lénifiant. De là à considérer Roger Smith comme une nouvelle voix du polar sud-africain, il y a une marge : s'il maîtrise son sujet, il ne possède pas (encore) la hauteur de vue d'un Louis-Ferdinand Despreez, voire d'un Deon Meyer.


Mélanges de sangs / Roger Smith (Mixed Blood, 2009, trad. de l'anglais (Afrique du Sud) par Mireille Vignol. Calman-Levy, Robert Pépin présente..., 2011)

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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 10:39


chemins de fer lot-copie-1



Bye bye internet, blogs, facebook et autres. Bonnes vacances aux uns, bon courage aux autres, et à bientôt. 

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29 juin 2011 3 29 /06 /juin /2011 00:00

Martin Suter s'était déjà aventuré en lisière du polar avec Small world ou La face cachée de la lune, il y rentre de plein pied avec Allmen et les libellules, qui est aussi le premier opus d'une série.
   
couverture suterOù on fait connaissance avec Johann Friedrich von Allmen, gentilhomme suisse et rentier ruiné, collectionneur d'art et chapardeur à ses heures, amateur d'opéra et d'orchidées (comme Nero Wolfe, le détective de Rex Stout), lecteur compulsif (notamment d'Elmore Leonard, référence qui tranche dans ce décor compassé). En deux mots : un indécrottable snob, et tout l'opposé de son fidèle serviteur guatémaltais, Carlos.

L'intrigue, relativement secondaire, tourne autour de cinq coupes Art nouveau Emile Gallé incrustées de libellules, et dérobées à un riche homme d'affaires par notre apprenti-gentleman cambrioleur afin d'apaiser un créancier belliqueux.
   

Dans ce "pilote", l'auteur s'attache surtout à dépeindre son personnage : son extraction "nouveau riche" qu'il s'efforce de gommer (allant jusqu'à annoblir son patronyme), son irrépressible goût du luxe, sa superficialité assumée, ses manies et ses airs affectés tournés en ridicule par un Martin Suter volontiers moqueur, et dont l'ironie très second degré apporte un certain charme au récit.
Un charme auquel participe également le caractère résolument anachronique d'Allmen, homme d'antan en butte à la modernité (et sauvé grâce à d'obsolètes... bretelles) pour qui un moteur de recherche demeure un mystère insondable.
     
Ce qui confère au roman cette atmosphère surannée et so british - à laquelle renvoie l'éducation du héros dans une boarding school ainsi que les nombreux recours à la langue de Shakespeare - , si bien qu'on a l'impression d'être plongé dans la gentry, la bonne société anglaise, plutôt qu'en Suisse alémanique.

D'ailleurs, les sympathiques aventures d'Allmen et de son intendant rappellent immanquablement les romans de P.G. Wodehouse consacrés à Bertie le dandy écervelé et son majordome Jeeves. Ici aussi, le fidèle domestique passe son temps à sauver la mise de son maître tout en se montrant bien plus malin que lui (à ce titre, les adeptes de Freud pourront s'amuser du climat d'homosexualité latent qui règne entre les deux hommes, alors même qu'Allmen se vante avec insistance de ses nombreuses conquêtes féminines).



Bref, de quoi se délasser quelques heures, surtout si on affectionne les fauteuils club, l'odeur du cigare and a cup of tea. Et d'y prendre goût, le cas échéant : à la fin du roman, Allmen se découvre une vocation de détective. "Pourquoi pas", répond laconiquement Carlos.


Allmen et les libellules / Martin Suter (Allmen und die Libellen, 2011, trad. de l'allemand par Olivier Mannoni. Bourgois, 2011)  

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26 juin 2011 7 26 /06 /juin /2011 00:00
Aussi prolifique qu'éclectique, William Kotzwinkle est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages - polar, SF, fantastique, jeunesse, scénarii...- mélangeant allégrement les genres et lorgnant très souvent vers le burlesque.
Comme l'atteste ce Midnight examiner débridé et totalement réjouissant, paru en 1989 et repassé le mois dernier par l'imprimerie. De quoi muscler sans effort vos zygomatiques entre deux bains de mer ou (dans le cas où vos valises seraient déjà fixées sur la galerie du break familial) soigner efficacement la dépression post-estivale.

Midnight examiner Publiant des revues aussi illustres que Midnight Examiner (L'enquêteur de minuit), Macho Man, Bottoms (Fesses) ou Young Nurses Romance (Jeunes infirmières en émoi), les éditions Caméléon abritent dans leurs locaux new-yorkais une bande de rédacteurs complètement azimutés, stakhanovistes du scoop saugrenu et inlassables chasseurs de manchettes : La Mère De Famille Etouffe Son Chétif Agresseur Entre Ses Seins Nus, Le Barman Etait Si Beau Que Je Suis Devenue Alcoolo ou encore le poétique Son Vibromasseur S'Emballe.

Des histoires à deux sous recyclées à toutes les sauces (entre Ici Paris, Détective et News of the world) par des journalistes de troisième zone néanmoins bourrés de talent et d'imagination, capable de torcher un article en deux temps trois mouvements et de passer ni une ni deux de la rubrique courrier du coeur à celle des faits divers.  

Après nous être boyauté un moment dans les bureaux de la rédaction en compagnie du narrateur-rédac'chef Howard Halliday, d'un maniaque de la sarbacane, d'un autre du crayon à fusain, d'un néo-cardinal très soigné de sa personne et de leurs homologues féminines non moins farfelues, Kotzwinkle nous emmène en virée dans un New-York bizarre et exubérant, un grand cirque que traverse à toute blinde leur taxi égyptien, 
digne héritier d'ancêtres pilleurs de tombes.
Aidée d'une prêtresse vaudou et armée jusqu'aux dents (canne à pêche, couteau suisse, étoile de ninja, entre autres), la joyeuse bande d'excentriques se prépare à affronter un ponte de la mafia (poils aux doigts).
 


Au final, 250 et quelques pages de nonsense, de blagues à gogo et (surtout) de folle dérision, où pointe furtivement une touche d'émotion, comme un sourire triste et fugace au milieu des fous rires. 

L'appétit venant en mangeant, vous allez sûrement réclamer du rab' : allez donc voir du côté de Tim Dorsey ou de Kinky Friedman pour quelques tranches supplémentaires (et plus ou moins fines) de franche rigolade.


Midnight Examiner / William Kotzwinkle (The Midnight Examiner, 1989, trad. de l'américain par Philippe R. Hupp. Rivages/Thriller, 1990, rééd. Rivages/Noir, 1991, 2011)

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21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 00:00

Budapest la noire est en soi une curiosité : c'est le seul polar hongrois traduit en France, à ma connaissance. Cela dit, si le cadre est dépaysant - nous sommes en Hongrie en 1936 -, les motifs et l'esthétique du roman n'ont eux rien de typique, mais sont directement inspirés du roman noir américain.
   

Budapest la noireA commencer par la figure du muckracker*, un reporter judiciaire nommé Zsigmond Gordon, rentré au pays après quelques années passées à... Chicago. Alors qu'ont lieu en grandes pompes les obsèques du Premier Ministre Gyula Gömbös, lui s'intéresse à l'assassinat d'une jeune prostituée juive et décide d'enquêter. Son obstination lui vaudra évidemment quelques désagréments, menaces voilées et contusions, avant de le ramener finalement vers les ors du pouvoir.

Plus encore que l'apprenti-détective, c'est la capitale hongroise qui joue le personnage central, Vilmos Kandos lui substituant le rôle de la cité américaine gangrénée par la corruption et la violence. Ici ce n'est pas Chicago mais Budapest qui fait office de Gomorrhe moderne.
Une ville livrée aux gangs, où sévissent souteneurs, pornographes, prostituées, politiciens véreux et dépravés. Une ville agitée, bouillonnante, avec ses cafés bruyants, ses rues animées et ses bas-fonds qu'arpente prestement Gordon, à pied-en autobus-en taxi-en tram.

A ce lieu effervescent et en proie au vice s'oppose une nature inaltérée, à laquelle ne peut goûter Gordon qui, profitant d'une escapade champêtre pour retrouver un témoin, est "en proie à l'étrange malaise qui s'emparait de lui chaque fois qu'il devait abandonner la capitale. Dès les faubourgs, il se sentait perdu, comme plongé dans un univers dont il ignorait les règles." Car l'enquêteur fait partie intégrante du décor urbain et obéit à ses "règles", ses méthodes s'avèrant à la fois efficaces et moralement discutables.
On retrouve cette opposition, encore renforcée par la référence à un passé idéalisé, lorsqu'un des personnages se remémore sa jeunesse : "C'était la paix, le bon vieux temps comme on dit. J'avais dix ans lorsque Pest et Buda ont été réunis pour former Budapest. (...) Le fait est que je ne comprends rien à ce qui se passe ici."


Dénué d'originalité mais intéressant par ses nombreuses analogies avec le roman noir de Chandler ou Ross Macdonald (pour le thème du secret de famille), le roman vaut aussi pour sa petite leçon d'histoire, concernant un pays dont ne sait pas grand-chose sinon rien, et à une époque de paix transitoire : déjà les prémices de la guerre se font sentir, tandis que des notables "magyarisent" leur patronyme pour se prémunir du danger nazi.


Bien mené, prenant, rythmé (l'action et les dialogues ont la part belle), l'ensemble manque toutefois d'intensité, de "mordant", et n'évite pas quelques maladresses.
On peut aussi regretter que Vilmos Kandor, tout en s'appropriant habilement les codes du hard-boiled, ne s'en affranchisse pas davantage, afin de faire entendre sa propre voix. Budapest la noire étant le premier volet d'une série, ce sera peut-être le cas la prochaine fois.



Budapest la noire / Vilmos Kondor (Budapest noir, 2008, trad. du hongrois par Georges Kassai et Gilles Bellamy. Rivages/Thriller, 2011)

* le "journaliste fouineur" dans le roman noir américain.

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