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22 avril 2011 5 22 /04 /avril /2011 00:00

Un homme est assis sur Un fauteuil pneumatique rose au milieu d'une forêt de conifères. Couchés à ses pieds, deux gamins. L'un est immobile, l'autre sanglote bruyamment. "Pour le faire taire, j'écrase entre mes mains une canette dans un bruit de papier froissé, une canette dont je viens de boire la dernière gorgée, et je la lui jette sur le crâne". 

Fauteuil pneumatique Lang WillarMacabre, malsain, dérangeant... Premiers mots qui viennent à l'esprit, en lisant cette dizaine de nouvelles peuplées de détraqués - pédophiles, assassins, violeurs, cannibales et autres philantropes.

Rien de commun pourtant avec les sempiternelles histoires de tueurs en série. Ni surenchère ni complaisance. Tour à tour grinçant, émouvant, burlesque ou... cuisant (Rôtis), empruntant à diverses formes narratives (épistolaire, dialogue, script...), Thibault Lang-Willar pratique à merveille l'art du contrepied, et se montre toujours là où on ne l'attend pas.

Car il n'est pas tant question de meurtre, de rapt, de pulsions sadiques et du mal que chacun porte en soi, que de la solitude et du désarroi des hommes, du sentiment de finitude, de l'incommunabilité des êtres.

Et d
e l'amour, en définitive. Celui qu'a perdu ce couple "carverien" orphelin de leur enfant (IL), celui que poursuit désespérément Josie à travers sa correspondance avec le pédophile au grand coeur. celui que tente vainement de contenir le meurtrier (Tout mon amour est enregistré)...
De l'amour, dissimulé dans un petit musée des horreurs. Version maladie mentale plutôt qu'Enfant de Bohême, je vous l'accorde.

Toujours est-il qu'on a affaire à un jeune et talentueux auteur français. Cocorico coco, à suivre.


Un fauteuil pneumatique rose au milieu d'une forêt de conifères / Thibault Lang-Willar (Héloïse d'Ormesson, 2011)

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 09:39

Si Ferdinand von Schirach, avocat de la défense à Berlin depuis une quinzaine d'années, s'est certainement inspiré de son expérience, ces onze histoires criminelles, au-delà de leur caractère insolite, valent d'abord par leur qualité littéraire et les interrogations qu'elles portent en elles.
 
Crimes von Schirach"Qui peut bien connaître l'âme humaine ?" se demande l'un des personnages. Qu'est-ce qui pousse ainsi le Dr Fähner, après quarante ans de vie commune, à tuer sauvagement son épouse ? Et ce gardien de musée, d'où lui vient cette obsession pour cette statue ? Pourquoi ce jeune homme ne peut-il s'empêcher de tuer et d'énucléer les moutons de son village ? Cet homme qui a tué froidement ses agresseurs n'a t-il pas fait preuve d'une violence disproportionnée ?
Et cet autre, petit malfaiteur devenu bienfaiteur dans son pays d'adoption, mérite-t-il son châtiment ? 


Concises, factuelles, dénuées de la moindre théâtralité, ces nouvelles sont quelque peu austères au premier abord, mais cette sécheresse est radoucie par l'empathie diffuse qui s'en dégage.
La distanciation de l'auteur - et de son double - face aux événements permet à l'inverse d'y confronter directement le lecteur, partagé entre amusement, effroi, compassion, incertitude, chaque destin lui soumettant un cas de conscience.

S'il s'attarde momentanément sur les rouages de la justice allemande - le rôle de l'avocat, la procédure pénale -, von Schirach s'intéresse surtout au cheminement sinueux qui mène à l'acte criminel ("Un braquage de banque est-il seulement un braquage de banque ?"), à l'infinie complexité des ressorts et des motivations humaines. Et, parrallèlement, à l'infinie difficulté qu'il y a à juger et punir son prochain. Si l'homme est faillible, son juge aussi.


(Au passage, on ne manquera de faire le lien avec l'actuelle politique française en matière de justice, qui peut se résumer en un mot : automatisation.)


Crimes
/ Ferdinand von Schirach (Verbrechen, 2009, trad. de l'allemand par Pierre Malherbet. Gallimard, 2011)

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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 00:00

Son premier et enthousiasmant roman, La vieille dame qui ne voulait pas mourir..., était un hymne à la vie jonché de cadavres. Trêve d'espoir, Margot Marguerite décrit ici l'odyssée sanglante d'une gamine, en une centaine de pages rageuses.

 
Lola reine des barbaresSon amant/dealer passé sous un camion, Lola se met à la colle avec Le Grécos, le genre dangereux et prêt à tout pour se faire du fric. Lola et sa gueule d'ange de la désolation, une junkie de 15 piges échappée de sa cité comme un prédateur de sa cage.

Pulsions meurtrières, fantasmes de toute-puissance et la violence comme seul langage : le couple de tueurs-nés part en balade et sème la panique partout où il passe.


Vaguement expressionniste, volontiers nihiliste, cru, outrancier, Lola reine des barbares se résume malheureusement à une orgie de brutalités (avec scènes détaillées de meurtres et de viols) : faute de véritablement mettre en perspective la révolte aveugle de Lola face à une société aliénante, le roman tourne à vide, de la même façon que la violence hypertrophiée, sans objet, sans contingences qu'il met en scène.


Lola reine des barbares / Margot D. Marguerite (Baleine noire, 2011)

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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 00:00

Continuant d'explorer les liens du sang et Les ombres du passé, Thomas Cook le fait avec une force et une inspiration renouvelées.

Dense, soulevant quantité de questionnements - l'atavisme, la filiation, le pêché d'orgueil, l'accomplissement de soi, les clivages sociaux... -, Les leçons du Mal est un roman aux multiples facettes, et donc susceptible d'être abordé sous différents angles.
Loin d'en faire le tour, je me bornerai ici à en dévoiler quelques-uns, pas nécessairement les plus saillants, mais ceux auxquels j'ai été le plus sensible.


Les leçons du malUltime héritier d'une honorable famille du Mississipi, Jack Branch est devenu enseignant, comme son père avant lui. En cette année 1954, il dispense à ses élèves un cours thématique sur l'histoire du Mal.
Se prenant d'affection pour l'un d'entre eux, il lui conseille de choisir son père comme sujet de fin d'études, afin qu'il se libère du poids familial et ne soit plus simplement considéré comme "le fils du tueur de l'étudiante".

"Si tu vas dans la foule sans orgueil à tout rompre"
Seulement, et de la même façon qu'il se repait de son érudition et de son éloquence, la sollicitude dont Jack fait preuve à l'égard du jeune Eddie Miller n'obéit en réalité qu'à son propre désir : nourir, à travers les progrès du jeune homme, la haute estime qu'il a de soi et de son rang.

Sa vanité sera évidemment l'instrument du drame, non pas le fruit d'un quelconque concours de circonstances mais un geste intentionnel, aussi banal soit-il : se taire et refermer une porte. Ainsi, tel le Iago de Shakespeare, Jack sera "non pas le meurtrier qui tient le couteau, mais celui qui, insidieusement, le place dans la main d'un autre."



Au fil du récit s'opère un subtil jeu de correspondances et d'analogies, autour notamment des thèmes de la filiation (jeux de miroirs entre l'attitude paternelle de Jack à l'égard d'Eddie, la passion de Branch père pour Abraham Lincoln, le Père de la nation, l'ombre du fils disparu du shérif Drummond...),
... du mal (plusieurs des exemples que prend le professeur pour illustrer son cours entrent en résonnance avec ses propres actes),
... du passé et du présent : a
u fond, Jack tend à exercer le même pouvoir que celui dont ont usé ses ancêtres vis-à-vis des déclassés et des pauvres, lorsque ceux-là venaient travailler sur leurs plantations.


Autant de motifs dont la symétrie, par ailleurs, contraste avec le chaos imminent et la confusion des sentiments dans laquelle s'agite Jack, à mesure que son influence sur Eddie diminue - incompréhension, ressentiment, jalousie... Aveuglé par son orgueil, il semble être le seul à ne pas pressentir le danger, impression d'autant plus frappante pour le lecteur, premier témoin de son fourvoiement, que Jack et le narrateur ne font qu'un. 



Par d'habiles va-et-vient temporels, Cook ménage le suspense, laissant entrevoir le drame à venir - et le procès qui l'a suivi -, ainsi que la façon dont celui-ci, après de longues années, continue de hanter les principaux acteurs.
Au premier rang desquels Jack Branch, un homme détruit, occupant seul désormais le domaine familial, dernier vestige d'un temps révolu. Un homme qui, bien qu'il semble s'être délesté de sa morgue, n'assume jamais pleinement sa responsabilité.
Entre illusions perdues et regrets éternels, il ne se sera jamais résolu à "tuer le père", prisonnier de sa caste comme de son déshonneur.




Comme je vous le disais au début, ce livre peut susciter des approches différentes, je vous invite d'ailleurs à prendre connaissance de celles de Noirs desseins et du Vent sombre.

Je vous invite surtout à lire ce roman, vous l'aurez compris.


Les leçons du Mal / Thomas Cook (Master of the Delta, trad. de l'américain par Philippe Loubat-Delranc. Seuil Policiers, 2011)

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25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 00:00

Joseph Incardona serait-il plus à l'aise sur les courtes distances ? C'est ce que laissent penser ses nouvelles (Taxidermie) ainsi que ce nouveau et bref roman ; 220 volts qui dégagent en tout cas plus d'intensité que Remington


220 voltsUn auteur de best-sellers catégorie thriller (sic) et sa femme s'en vont passer quelques jours au chalet familial. Caser les enfants, souffler, se "retrouver". Et pour lui, retrouver l'inspiration - son super-espion est pour l'heure coincé en plein désert marocain, et son éditeur commence à s'impatienter - d'où quelques digressions assez cocasses à propos du marché de l'édition.

Malgré les quelques tentatives de dialogues et les efforts de chacun, on est loin de la lune de miel. Malentendus, non-dits, jalousie. Vissicitudes du couple et frustrations ordinaires. Ilusoire rémission, avant que... tout bascule, comme dirait l'autre. Vous connaissez la chanson, les histoires d'amour finissent mal... Parfois, c'est encore pire.


Remington ou 220 volts, j'aime beaucoup l'ambiance, mais l'endroit a un air de déjà-vu. Mêmes invités (un écrivain, l'amour d'une femme, même le chat...), même cuisine - le sentiment de trahison et la violence qui jaillit. Mais cuisinée différemment ; plus de simplicité, de précision, de goût tout simplement.

L'approche aussi est différente : ici le drame ne vient pas clôturer le récit mais intervient bien avant, Incardona prenant soin d'"abandonner" alors le lecteur sur les lieux du crime en compagnie d'un narrateur qui lui inspire à la fois sympathie et dégoût.


Une fois le parfum de fait divers évaporé, il reste le talent du conteur, sa façon d'assembler les mots et les éléments, à petites touches, soulignant délicatement l'ignominie des faits.

Et puis, voir les Trois petits cochons filer un coup de main au loup...



Conseil(s) d'accompagnement : le suspense est moins orchestré chez Incardona, mais l'ambiance rappelle parfois celle des romans de Boileau/Narcejac, notamment Les veufs.


220 volts / Joseph Incardona (Fayard Noir, 2011)

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 00:00

Quand il ne co-signe pas la série Level 26 avec l'"expert" Anthony Zuiker, Duane Swierczynski écrit des scénarios de comics et de bons romans, comme le "cyberpulp" The Blonde et A toute allure, qui vient de paraître. De facture plus classique, moins inventif, mais tout aussi enlevé.


A toute allureDans la famille braqueurs de banque, demandez le chauffeur. Lennon est un vrai pro, un perfectionniste qui prépare minutieusement ses itinéraires et ses plans de fuite.
Tout devait bien se passer ce jour-là, "c'est alors que l'alarme se déclencha et tout partit en vrille". Une seconde équipe est en embuscade et leur tombe dessus, genre lourdement. Se faire doubler quand on est le chauffeur de la bande, avouez que ç'est ballot.

Toujours est-il que Lennon se retrouve à poil dans un sac à viande, à moitié inconscient et sacrément amoché. Priorités : se sortir de ce mauvais pas, remettre la main sur les 650000 dollars et quitter cette putain de ville. Problème : entre lui et l'argent, y a des obstacles - mafieux russes, italiens, ex-flic et autres sanguins...
Le week-end promet d'être éreintant, et le moins qu'on puisse dire, c'est que Lennon va payer de sa personne.



Percutant, rythmé, A toute allure se lit au pas cadencé. Pas de temps morts, très peu de digressions (si ce n'est l'ironie mordante à propos de Philadelphie), pneus qui crissent et virages au cordeau comme autant de revirements, on fonce on fonce on fonce... avant de finir dans le décor.

Décor années 30-40, ambiance pulp, humour noir, viande froide et héros hors-la-loi - Lennon jouant le rôle du cousin germain d'un John Dillinger mythifié.


S'il se situe dans la lignée d'un Richard Stark (auquel il fait un clin d'oeil appuyé) ou d'un Elmore Leonard, Swierczinski lorgne davantage vers la parodie, comme animé d'un réel... souci d'invraisemblance (Lennon doit avoir au moins 9 vies !) assez réjouissant je dois dire, dans un paysage littéraire qui manque parfois de fantaisie.
Ce qui ne l'empêche pas de se montrer extrèmement rigoureux dans la construction du récit et la façon implacable dont s'enchainent des événements par ailleurs improbables.

Je grossis le trait, bien-sûr, mais imaginez donc Tarentino (je persiste) en train de réaliser un épisode de Benny Hill...

Chez actu-du-noir aussi on a apprécié la poursuite.


A noter : contrairement à ce que laisse supposer l'ordre de parution en France, A toute allure précède The Blonde (on retrouve d'ailleurs l'un des personnages), alors lisez-les plutôt dans ce sens-là.


Conseil(s) d'accompagnement : dans la famille wheelman qu'a la poisse, et sur un scénario de départ très proche, un court roman de toute beauté, dans la pure tradition du roman noir : Drive de James Sallis.


A toute allure / Duane Swierczynski (The Wheelman, 2005, trad. de l'américain par Sophie Aslanides. Rivages/Noir, 2011)

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 00:00

Récit allégorique d'une société islandaise déshumanisée érigeant les banquiers ou les artistes décadents en nouveaux prophètes, transformant tout - et en premier lieu le corps féminin - en bien de consommation courante, Installation est un roman pour le moins atypique.


BragiEva Einarsdottir, récemment rentrée en Islande à la suite d'une déception amoureuse, se fait prêter un appartement par une vague connaissance new-yorkaise. L'appartement, situé en haut d'une tour, est immense, luxueux et doté d'un système de surveillance high-tech. Dans la chambre, un mystérieux masque est creusé dans l'un des murs. Dans l'immeuble, des voisins bizarres ou envahissants.

L'endroit la met tout de suite mal à l'aise. Froid, impersonnel, oppressant -  "...mobilier noir, gris et blanc, en cuir, verre, métal, les surfaces lisses et brillantes - comme s'il avait été donné depuis le début que la taille de l'appartement excluait qu'il fut possible de le rendre humain." Impression diffuse mais tenace de jouer le personnage principal d'un film d'horreur, "un personnage de plus en plus confus et effrayé devant des circonstances qu'elle ne comprenait pas".
Le danger se précise subitement : l'ascenseur ne répond plus, impossible de sortir. le téléphone sonne. Sois sage, obéis aux ordres ou tu seras punie. Ils la séquestrent, ils la surveillent, ils jouent avec elle. Jusqu'où ?



Au-delà de la mécanique du huis-clos et du suspense attenant, c'est l'aliénation d'une société qui est mise en perspective ici (de façon quasi-métaphysique, symbolique en tout cas - le "masque" en est le meilleur exemple ), à travers le personnage d'Eva, retenue prisonnière dans l'appartement comme à l'intérieur d'elle-même, les murs matérialisant au final sa propre solitude ("Einar" signifie "seul" en islandais), sa dépendance amoureuse, son immobilisme, ses vélléités artistiques (ironiquement, elle est victime d'un happening pervers), bref la somme de ses angoisses et de ses échecs.


Ça commençe comme du Hitchcock, ça finit comme du David Lynch...
Tout au long de la première partie, la tension monte graduellement et s'accumule, inspirant au lecteur ce même "sentiment de claustration" qui étreint la jeune femme. A partir du moment où le piège se referme sur elle, que les événements s'accélèrent et que la violence se déchaîne, le roman prend des accents oniriques, devient de plus en plus abstrait - et même abscons -, jusqu'au dénouement un brin fantasmagorique qui m'a laissé perplexe, pour ma part. Avis aux amateurs, mais la transition est pour le moins déroutante.


Moins déroutante
 toutefois que les tournures grammaticales suspectes qui égrènent le texte (la faute à la traduction ? Des accords de temps douteux me le laissent penser, mais je peux me tromper), ou une prose parfois empesée (surtout dans la seconde partie) qui se marie mal avec l'atmosphère éthérée du récit.




Captivé - par sa façon de superposer différents niveaux de lecture, de manier les symboles, par l'écho qu'il renvoie suite à la crise financière qu'a connu l'Islande -, agaçé par la syntaxe approximative, déconcerté par le changement de registre... Ce premier roman (traduit en France) de Steinar Bragi me laisse des sentiments contradictoires. Trop ésotérique pour moi, mais là c'est affaire de goût.

Une chose est sûre : il se situe se situe loin, très loin des polars plus ou moins stéréotypés que charrie la vague nordique.


Installation / Steinar Bragi (Konur, 2008, trad. de l'islandais par Henry Kiljan Albansson, Métailié, Noir, 2011)

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12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 00:00

On l'attendait de pied ferme, ce "quatre mains" de Dominique Manotti et DOA. Parfois pour de mauvaises raisons, spéculant sur leurs divergences politiques, omettant un peu vite leur proximité sur le plan du style - concis, rapide - et des thèmes - les arcanes et les turpitudes du pouvoir.


L'honorable sociétéUn commandant de police détaché au Commissariat de l'Energie Atomique flingué par deux barbouzes, durant un cambriolage. Le chef de groupe Pâris, un ancien de la Brigade financière "promu" au 36 pour excès de zèle, hérite de l'affaire.
En ligne de mire : un groupuscule de jeunes radicaux écologistes. Coupables idéaux, écran de fumée, enquête savamment orientée.
En coulisses : un ex-correspondant de guerre qui veut tirer sa fille du guêpier, la patronne du leader français du BTP, un candidat à l'élection présidentielle. Ministre en exercice, colérique et populiste, aux amitiés douteuses. A quelques jours du sacre scrutin, la pression est énorme. Pas de vagues, surtout.

L'enjeu, colossal : la privatisation d'un fleuron de l'industrie nationale, ou comment partager le gâteau public entre amis...

Evidemment, toute ressemblance avec des personnes et des situations existantes...*  


Proche de Nos fantastiques années fric par sa structure et son sujet (mais doté de personnages moins ambigus, moins "charnus" à mon sens), L'honorable société nous fait pénétrer, au gré d'une intrigue rigoureusement élaborée et menée tambour battant, les officines agitées du pouvoir, donnant à voir les collusions nocives entre le monde politique et celui des affaires, et la façon dont une poignée d'individus se sert de l'Etat à des fins personnelles.

Une affaire d'Etat en pleine effervescence électorale, où sont à l'oeuvre stratégies de communication - du storytelling à la  désinformation pure et simple -, contrôle à distance des médias, combat des chefs, rôle occulte des proches conseillers, canaux officieux, manoeuvres en sous-main, fuites dans la presse savamment orchestrées...




L'honorable société est au départ un projet de scénario. Ça se sent, pourrait-on dire, à lire cette prose sèche et souvent descriptive, mais ce serait oublier qu'elle est déjà à l'oeuvre dans leurs précédents romans.
Trompeuse aussi l'apparente simplicité de la langue. Très travaillée, dosée, excellement maîtrisée dans la gestion du ryhme et de la tension narrative.

(Un peu de grammaire ?)
"Pâris gare sa voiture quelques dizaine de mètres plus loin. Besoin de réfléchir. Il allume une cigarette, peste contre lui-même d'avoir repiqué à la nicotine si facilement. L'anglais chez Scoarnec. Il fait sa propre enquête, je n'ai pas su gagner sa confiance, mauvais signe. Il va ressortir à tous les coups, pour aller où ? Comment a t-il trouvé cette adresse ? Qu'est-ce qu'il sait que je ne sais pas ?"

Un juxtaposition de phrases nominales, interrogatives, injonctives, comme de soudains mouvements de caméra. Tandis que le recours fréquent à l'infinitif induit une sorte d'objectivité dans la façon de narrer les événements, une froideur tempérée par l'alternance, sur de courtes séquences, entre le discours direct et indirect, entre les différents points de vue, neutre, omniscient, subjectif.

Sensation d'être à la fois tenu à distance et pleinement dans l'action et aux côtés des personnages. Une "bonne distance", qui permet notamment aux auteurs de ne pas verser dans l'enquête documentaire, la caricature ou le pamphlet.


Pour ce qui est de l'exercice un peu futile d'essayer de repérer les coutures - qui a (ré)écrit tel passage, qui a introduit tel rebondissement, qui préparait le café ? -, bien malin celui qui y parvient. Il y a du Manotti (précise), il y a du DOA (plus musclé), et leur travail commun est à la hauteur des espérances.


L'espérance ? Elle se fait rare ici. Vision pessimiste, renvoyant dos à dos révolutionnaires d'opérette et tueurs mandatés par le pouvoir, droite cynique et gauche vélléitaire. Chacun des acteurs de cette sinistre farce finira d'ailleurs par trahir son prochain ou simplement abdiquer, transiger, et sauvegarder ce qui peut l'être. Chacun pour soi et Dieu-sait-qui pour tous. Les ambitions individuelles ont dévoré tout cru l'élan collectif.



Ils sont peu en France à emprunter la voie de la politique-fiction (citons tout de même Jean-Hugues Oppel ou Jérôme Leroy). En s'accaparant ces sujets, notamment la consanguinité fric/pouvoir, en les mettant en perspective, en les passant au crible de la fiction, DOA et Manotti livrent un polar de premier choix
, susceptible, sinon d'éveiller les consciences, du moins de maintenir éveillé et de nourrir l'esprit critique.
Ouvrez les yeux, éteignez vos télés !, disait le slogan... Et lisez.


L'honorable société / DOA, Dominique Manotti (Gallimard, Série Noire, 2011)

*Pilotées par l'Elysée, les tractations se poursuivent toujours entre l'Etat et les grands groupes que sont Areva, Alstom et Bouygues, en vue de créer le champion nucléaire français qu'appelle de ses voeux le Président de la République.

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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 09:38

Chansons à la gloire des narcos - narcocorridos -, codes vestimentaires et langagiers, culte de l'argent et de l'hyper-violence : au Mexique la "narcoculture" est devenue un véritable phénomène de société, particulièrement prégnant le long de la frontière américano-mexicaine, auprès d'une jeunesse déshéritée.

S'en faisant le témoin et l'écho (dissonnant ?), la "narcolittérature" connait actuellement un immense essor éditorial et commercial, porté par quelques figures comme Arturo Perez-Reverte (La Reine du Sud), Eduardo Antonio Parra (Terre de personne) ou Elmer Mendoza, dont Balles d'argent paraît ce mois-ci à la Série Noire.


Balles d'argentCuliacán, capitale de l'Etat de Sinaloa, au nord-ouest du pays. Bruno Canizalez, fils d'un éminent homme politique et avocat prometteur, est retrouvé mort, tué d'une balle en argent. Quelques heures plus tard, sa maîtresse se suicide.

Tout le monde veut voir cette affaire enterrée, sauf l'inspecteur Edgar Mendieta, qui poursuit l'enquête malgré les pressions et menaces diverses. Peut-être une façon pour lui de tenir à distance ses traumatismes ainsi que son psy.  



S'il s'évertue sporadiquement à décrire la confiscation du pouvoir économique et politique par le crime organisé, et sa main mise sur les institutions (Canizalez père allant quérir la bénédiction du parrain Valdès avant de se lancer dans la campagne présidentielle ; ce dernier, contemplant la ville à ses pieds et pensant : "C'est moi qui ai fait prospérer ce lupanar, qui ai bâti des quartiers entiers et crée plus d'emplois que n'importe quel gouvernement."), Mendoza peine cependant à dépasser le stade du décorum (Hummer, santiags, AK47...).


Ce qui aurait pu malgré tout être un bon divertissement - non dénué d'humour, par ailleurs - s'enfonce progressivement dans un magma informe quand, parvenu aux deux tiers du roman, Mendoza semble éprouver toutes les peines du monde à boucler son intrigue, à relier les fils, tournant en rond sans trouver la sortie.
Choisissant peut-être, à l'instar de son inspecteur, de laisser "l'affaire se résoudre toute seule", il comble le vide de redites, raccourcis et coïncidences grossières, et finit même par désigner un coupable de dernière minute, en dépit du jeu proposé au départ : soupçonner tour à tour un échantillon de suspects préalablement sélectionnés.

Discutable, enfin, le choix de mettre en scène le personnage de Goga la-femme-fatale-au-capiteux-parfum, si ce n'est le rôle commode que veut lui faire jouer l'auteur à la fin. Entretemps, elle collectionne les scènes superflues, voire tout droit sorties d'un soap-opera quand elle apparait en compagnie d'un Mendieta pris entre le charme vénéneux de la belle et les ardeurs homicides de Samantha, la petite fille gâtée/givrée d'un baron de la drogue vieillissant.




On retiendra tout de même le parti pris stylistique de l'auteur, qui retranscrit les dialogues "au kilomètre", en écartant les signes typographiques habituellement admis - retour à la ligne, tiret, guillemets. Un exercice périlleux - on a parfois du mal à identifier les différents interlocuteurs - mais plutôt réussi et qui imprime au récit un rythme à la fois fluide et rapide (on retrouve sensiblement le même procédé dans L'aiguille dans la botte de foin d'Ernesto Mallo).

Trop peu pour un roman somme toute artificiel, bâclé et vaguement complaisant - Mendoza donnant plutôt l'impression de surfer à bon compte sur le folklore narco. 



A noter : la revue Books a consacré il y a quelque temps un dossier à la narcolittérature.


Balles d'argent / Élmer Mendoza (Balas de plata, 2008, traduit de l'espagnol (Mexique) par Isabelle Gugnon. Gallimard, Série noire, 2011) - en librairie le 17 mars.

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3 mars 2011 4 03 /03 /mars /2011 00:00

Golgotha est le premier roman traduit en France d'un jeune auteur présenté comme l'enfant terrible de la nouvelle scène polar argentine, notamment salué par Carlos Salem.
Alléchant, puis décevant.



GolgothaGolgotha, soit le chemin de croix de Lagarto, un vieux flic de Scasso, un quartier pauvre et violent en périphérie de Buenos Aires.

Un monde en lisière et de l'entre-soi, où bandits et policiers ont grandi ensemble et obéissent aux mêmes lois, au même code de l'honneur qui, poussé jusqu'à l'absurde, entretient indéfiniment le cycle de la violence.

Amorce du cycle : une jeune femme meurt dans la rue, elle fait une hémorragie suite à un avortement clandestin ; sa mère, impuissante et folle de chagrin, se suicide dans la foulée. Romàn, un policier et un proche de la famille, a juré "de ne pas laisser les choses en l'état", et désigne un responsable.

Emaillée de références à la culture religieuse et populaire - chansons, telenovelas, dessins animés... -, l'histoire nous est contée par Lagarto, qui raconte après coup la chute de son jeune collègue, aveuglé par sa colère et sa soif de vengeance. Ainsi que sa propre déchéance.


En filigrane, Leonardo Oyola fait le portrait d'un lieu et de ses habitants, prisonniers de ce qu'ils sont et du quartier qui les a façonnés ; d'hommes qui ne cèdent pas simplement à la violence, mais y consentent, prêts à mourir ou à donner la mort, par devoir, bêtise ou nécessité. Pile, face, on verra bien de quel côté la pièce retombe.


La matière est là, et suffisamment travaillée... Malheureusement, le récit se délite et ne repose sur aucun élément tangible : les lieux et personnages manquent de texture, les dialogues de naturel, l'intrigue de consistance (et cela n'a rien à voir avec la brièveté du texte). Aucune prise assez solide pour qu'on s'accroche véritablement à la réalité de ce quartier, de ses habitants et des événements en train de s'y dérouler.
Seule la préface de Carlos Salem, qui contextualise jusqu'à un certain point le roman de son compatriote, éclaire quelque peu cette réalité.


Au final, ni le saisissant dénouement ni quelques fulgurances éparses - ni davantage le vernis théologique (titres des chapitres, multiples références aux saints qu'ils soient païens ou catholiques, récit incantatoire du narrateur évoquant une prière) - ne sauraient masquer complètement la relative indigence du roman.

Rageur, plein d'énergie et certainement sincère, mais maladroit. Un coup de poing qui vous effleure au lieu de vous cueillir au menton.

Qui sait, un jour peut-être Oyola m'en mettra plein la figure : un de ses romans, intitulé Chamamé, a reçu le Prix Dashiell Hammett du festival de la Semana Negra en 2008.



Golgotha / Leonardo Oyola (Gólgota, 2008, trad. de l'espagnol (Argentine) par Olivier Hamilton, préface de Carlos Salem. Asphalte, 2011)

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