Si Ferdinand von Schirach, avocat de la défense à Berlin depuis une quinzaine d'années, s'est certainement inspiré de son expérience, ces onze histoires criminelles, au-delà de leur caractère insolite, valent d'abord par leur qualité littéraire et les interrogations qu'elles portent en elles.
"Qui peut bien connaître l'âme humaine ?" se demande l'un des personnages. Qu'est-ce qui pousse ainsi le Dr Fähner, après quarante ans de vie commune, à tuer sauvagement son épouse ? Et ce gardien de musée, d'où lui vient cette obsession pour cette statue ? Pourquoi ce jeune homme ne peut-il s'empêcher de tuer et d'énucléer les moutons de son village ? Cet homme qui a tué froidement ses agresseurs n'a t-il pas fait preuve d'une violence disproportionnée ?
Et cet autre, petit malfaiteur devenu bienfaiteur dans son pays d'adoption, mérite-t-il son châtiment ?
Concises, factuelles, dénuées de la moindre théâtralité, ces nouvelles sont quelque peu austères au premier abord, mais cette sécheresse est radoucie par l'empathie diffuse qui s'en dégage.
La distanciation de l'auteur - et de son double - face aux événements permet à l'inverse d'y confronter directement le lecteur, partagé entre amusement, effroi, compassion, incertitude, chaque destin lui soumettant un cas de conscience.
S'il s'attarde momentanément sur les rouages de la justice allemande - le rôle de l'avocat, la procédure pénale -, von Schirach s'intéresse surtout au cheminement sinueux qui mène à l'acte criminel ("Un braquage de banque est-il seulement un braquage de banque ?"), à l'infinie complexité des ressorts et des motivations humaines. Et, parrallèlement, à l'infinie difficulté qu'il y a à juger et punir son prochain. Si l'homme est faillible, son juge aussi.
(Au passage, on ne manquera de faire le lien avec l'actuelle politique française en matière de justice, qui peut se résumer en un mot : automatisation.)
Crimes / Ferdinand von Schirach (Verbrechen, 2009, trad. de l'allemand par Pierre Malherbet. Gallimard, 2011)