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7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 00:00
Qu'est-ce que le Défi de l'Imaginaire ?

Il y a quelque temps, une dizaine d'auteurs (Patrick Bauwen, Maxime Chattam, Olivier Descosse, Eric Giacometti & Jacques Ravenne, Henri Loevenbruck, Laurent Scalese, Franck Thilliez, Bernard Werber, Erik Wietzel) se réunissaient sous l'appellation "Ligue de l'Imaginaire", "portés par le même désir de redonner à la littérature de l’imaginaire ses lettres de noblesse. De faire partager leur passion pour les histoires, de rappeler que la littérature n’est pas seulement le mot, la phrase, mais aussi une trajectoire, celle du lecteur et d’un livre vers l’ailleurs. Parce que les grilles de lectures de jadis sont aujourd’hui dépassées, La Ligue de l’Imaginaire voudrait contribuer à redéfinir le paysage littéraire moderne. Rappeler que la structure narrative d’un thriller ou la minutie dans la documentation de récits dits de science-fiction n’en font pas pour autant une sous-littérature, presque indigne d’être lue. Qu’il existe un art et une exigence dans les récits d’aventure tout autant que dans une littérature dite « blanche », et que le polar français ne se limite plus depuis longtemps à des récits politiquement engagés. Notre littérature a évolué avec la société qui l’inspire, le temps est venu d’en repenser le cadre et l’horizon. Dans cette optique, la Ligue de l’Imaginaire souhaite ouvrir le débat auprès des journalistes, universitaires et amoureux des mots."

Nous sommes donc quelques-uns (chroniqueurs ou non) à nous être posé la question : qu’est-ce qu’une littérature de l’imaginaire et pourquoi, de nos jours, est-il nécessaire de défendre et de promouvoir ce type de littérature ? Est-elle (sont-elles) en péril et qui est l’assaillant ? Quels en sont les enjeux ? Les auteurs de cette Ligue répondent-ils à l'exigence de qualité et d'"imaginaire" dont ils se font les chantres ?

Chaque participant doit donc lire 10 romans, 1 pour chaque auteur de la Ligue, ce avant... la fin du monde maya (prévue comme chacun sait au 21 décembre 2012) et en faire une critique circonstanciée. Toutes les contributions sont regroupées sur un blog, que je vous invite à visiter pour plus d'informations. Vos réactions, commentaires, opinions sont évidemment les bienvenus, ici même ou directement sur le blog susmentionné.

   
Pour inaugurer ce défi : un roman d'Olivier Descosse, Les enfants du néant.

 


Les-enfants-du-neant.jpgA sa parution en 2009, Les enfants du Néant avait fait l'objet d'une campagne marketing pour le moins douteuse et qui avait suscité la polémique sur la blogosphère littéraire. De nombreux blogueurs et chroniqueurs avaient reçu une série de courriels expédiés par une certaine "Chloé Nolife", une adolescente mal dans sa peau et s'épanchant sur ses problèmes personnels. "Chloé" était en fait un subterfuge, censé illustrer les thèmes du nouveau thriller d'Olivier Descosse, lequel pour finir, apparaissait dans une vidéo, déclarant pompeusement "Chloé, c'est moi", avant de promouvoir son roman, une histoire "d'adolescents menant une vie parrallèle sur internet et impliqués dans une série de crimes particulièrement barbares."

Lecture faite, et contrairement à ce que prétend l'auteur et la maison d'édition (dans un communiqué largement diffusé sur les blogs afin de clore la controverse), force est de constater qu'il n'est pas du tout question, sinon de façon superficielle, des "dangers d'internet", de "la confusion entre le monde réel et virtuel" ou de "l'influence des images et des jeux vidéo", mais d'un banal thriller reprenant le thème du profiler traquant un tueur en série particulièrement retors, et mettant en scène une série de meurtres perpétrés à travers toute la France sur des adolescents.
   

Du neuf avec du vieux

La littérature policière fonctionnant en partie sur des schémas préétablis, il serait idiot d'en faire le reproche à Olivier Descosse. On peut déplorer en revanche qu'il traite d'un thème déjà rebattu de façon si conventionnelle, alors même que les figures du profiler et du serial killer sont usées aujourd'hui, passés à la moulinette de quantité de livres, films, séries télévisées...

La trouvaille de fin et sa volonté de malmener un peu la figure du profiler omniscient (en faisant s'écrouler les unes après les autres ses certitudes et ses théories) n'y changent pas grand-chose : l'ensemble demeure très académique, pourvu des habituels ingrédients scénaristiques et stylistiques :
- meurtres spectaculaires accomplis avec "un luxe de barbarie" ; moult rebondissements.
- chapitres courts, nombreux dialogues, phrases nominales.

Le roman laisse donc une forte impression de déjà-lu/vu, et même, semble passé de mode avec sa typologie des tueurs en série - du serial killer au copycat en passant par le cross killer - et ses exposés crimino-psychanalytiques sur les motivations profondes du tueur, les rites purificateurs mis en oeuvre à travers ses crimes, son impuissance sexuelle, sa volonté de domination et son manque absolu d'empathie pour les victimes, considérées comme les simples objets de son fantasme etc... Olivier Descosse a révisé ses cours sur les sciences du comportement et entend nous le montrer, à tel point qu'on a parfois l'impression de feuilleter Les tueurs en série pour les Nuls.

Pour le reste, ni les personnages, ni le style, ni les thèmes abordés ne permettent de distinguer Les enfants du Néant d'un énième ersatz de roman policier à la sauce serial killer. En ce sens, l'intérêt qu'on est susceptible de lui porter se mesurera aussi au nombre et à la qualité des ouvrages du même type qu'on aura lus précédemment.


Soap-thriller

Manquant singulièrement d'épaisseur, les personnages principaux - Marchand et Julia - se caractérisent d'abord et uniquement par leurs "démons" intérieurs et leurs blessures forcément "béantes", autant de malédictions et de plaies mal cicatrisées que l'enquête - pourvu qu'elle soit résolue, et on sait qu'elle le sera - doit leur permettre de conjurer et de panser.
 
François Marchand (signes extérieurs de respectabilité : roule en 4X4 et possède un appartement parisien avec vue sur la Seine) est un ancien psychanalyste devenu profiler, à la suite d'un drame familial : l'un de ses patients a assassiné sa femme quelques années plus tôt. Cet homme l'avait menacé, et Marchand n'en a pas tenu compte. Dévoré par la culpabilité et en quête de rachat, il est rentré dans la police afin de stopper lui-même des tueurs psychopathes. Le reste du temps il culpabilise encore, parce qu'il ne passe assez de temps avec sa fille, elle-même traumatisée par le drame.

Sa jeune collègue, Julia Drouot, joue le rôle de la fliquette de service. Jeune, aussi volontaire qu'inexpérimentée (c'est peut-être pour cela qu'elle se permet à tout bout de champ de braquer son flingue sur les témoins), elle aussi est marquée par un passé douloureux, son père ayant été condamné pour pédophilie lorsqu'elle était enfant. Elle est également très désirable, ce qui va nous permettre d'assister à l'inévitable histoire d'amour, et sa figure imposée : la scène de sexe. Scène dont on aurait pu louer l'effort sémantique si elle n'était pas d'un ridicule achevé. Je vous en livre quelques saillies : "Alors un désir fou monta en lui. Une coulée de lave qui le consuma jusqu'au vertige." ; "Planté en elle jusqu'à la garde, François sentait son ventre frotter contre le sien. Deux silex polis, dont jaillissaient des étincelles." ; "Julia l'avait emporté bien au-delà, jusqu'au point de fusion où les âmes se rejoignent." Je ne sais plus quel écrivain a dit qu'il n'y avait rien de plus difficile à écrire qu'une bonne scène de sexe, mais je le crois volontiers, et il vaudrait mieux parfois s'en dispenser.

Le roman verse ensuite dans une sorte de soap (qui trouvera son apothéose au dénouement, j'y reviendrai), les deux tourtereaux se posant des questions existentielles (N'est t-il pas trop compliqué pour moi ? Pourquoi j'ai mélangé "boulot et cul" ? etc.) entre deux interrogatoires ou courses-poursuites.



Style & structure narrative
     
L'épisode amoureux est assez représentatif : un style versant trop souvent dans l'emphase et tout à fait banal le reste du temps (un exemple parmi d'autres : "L'Ange du Mal. Aussi attirant que le pêché, plus dangereux que la damnation. Son visage possédait une grâce noire, puisée aux sources mêmes de la perversité"). 
C'est tout le problème : Descosse, comme tant d'autres, nous cause d'amour, de mort, de rédemption, mais avec tant de maladresses et sur un ton si grandiloquent qu'il est difficile de le croire - il s'exprime au premier degré mais on l'entend au second.

En tout cas de quoi alourdir et ralentir considérablement le rythme imprimé au roman, une succession rapide - et purement linéaire - de fausses pistes, de revirements, de déplacements (on est bringuebalé entre Paris, Grenoble et Avignon) qu'on peut éventuellement qualifier d'"efficace", si tant est qu'on s'est pris au jeu.

Mais si, comme c'est mon cas, on n'est pas "embarqué" dans l'histoire, alors on reporte son attention ailleurs, on remarque les traces de colle - c'est le bon pote de Julia qui s'avère être, ça tombe bien, un spécialiste du rock métal ; c'est ce hasard bienvenu qui fait que le père d'un des suspects a couché avec la première victime, ce qui au final mettra tout le plan de l'assassin par terre ; c'est ce SDF qui, vivant juste en face du domicile de la troisième victime (un squat situé en face d'une maison bourgeoise, dans un quartier huppé...), fait un témoin inespéré. 
On est aussi plus attentif aux représentations sociales et symboliques nichées dans l'intrigue.



Le Bien et le Mal

Chez Descosse, les victimes, les coupables et les suspects (tous des témoins directs ou indirects) forment trois groupes distincts, clairement séparés par la frontière entre le Bien et le Mal.

- Les victimes sont des adolescents mal dans leur peau, tombés dans la prostitution, attirés par le satanisme (!!) ou anorexiques. Or, à aucun moment l'auteur ne donne véritablement à réfléchir sur la prostitution des mineurs, l'anorexie ou les tendances suicidaires chez les adolescents. Ces problèmes de société ne sont évoqués qu'en surface, sans profondeur de vue ni réelle mise en perspective. Au contraire, il donne plutôt le sentiment de surfer sur des sujets "à la mode", équipé d'une compassion de circonstance.
Quant aux parents des victimes, ce sont des commerçants aisés, des catholiques pratiquants et un couple de bobos travaillant dans les médias. Soit.
- Les coupables (des adolescents, eux aussi, qui ont servi de rabatteurs à l'assassin) sont fascinés par le cinéma gore et d'horreur, et ont reproduit des scènes de films célèbres - Halloween, Vendredi 13, Les griffes de la nuit -, filmant leur crime afin de se faire une collection de snuff-movies (on apprend au passage que Orange Mécanique était "une ode dédiée à l'ultraviolence"). Eux n'auront droit ni à la vie sauve ni à des soins psychiatriques.
- Les suspects, même innocents, demeurent... suspects. A ce propos je dois dire que, plutôt que l'amoncellement de cadavres, c'est surtout l'accumulation d'amalgames grossiers, d'anathèmes et d'approximations qui m'ont fait frémir. Ainsi, l'enquête nous oriente successivement vers un pervers sexuel, des SDF drogués contrôlés par un fou furieux surnommé "Le Pitbull", puis des amateurs de rock Metal sitôt assimilés à des satanistes sanguinaires (au passage, les punks et les gothiques sont mis dans le même sac). Pour finir par impliquer un vieil anar : c'est par son intermédiaire que l'assassin et ses complices se sont rencontrés et ont fait copain-copain. Je vous laisse méditer sur les liens unissant la violence comme instrument de lutte sociale et les "boucheries perpétrées sur les ados qui pouvaient s'inscrire dans cette ligne de pensée".

Dans cette même ligne de pensée, on peut aussi méditer sur quelques hautes considérations philosophiques annexes, comme quoi l'homosexualité est une "déviation psychique" et l'impuissance "un symptôme fréquent chez les travestis", sans compter que dans les "quartiers sensibles" "la mixité ethnique n'arrangeait rien".

Ces schémas et ces raccourcis grotesques participent à mon sens d'un imaginaire figé, frelaté, un empilement d'images et de références fortement connotées susceptibles, par leur charge émotionnelle et les fantasmes qui s'y rattachent, de capter à peu de frais l'attention du lecteur. On est sur le même registre lorsqu'il s'agit de la typologie des lieux (crypte, squat, cité HLM, boite de nuit peuplée de personnages interlopes, où résonne une musique diabolique...) et du champ lexical ("ténèbres", "La Bête", "l'ange du mal", "l'antre du diable", "Antéchrist"). A la télévision, on parlerait d'un "fort potentiel d'audimat".

On touche là un point intéressant : sans toutefois former un corpus idéologique - n'exagérons rien -, les idées que le roman véhicule, consciemment ou non, forment une représentation du monde. Fragmentaire, simpliste, contestable, certes, mais une représentation tout de même, ce qui entre en contradiction avec le discours des membres de la Ligue de l'Imaginaire, dont la seule ambition, disent-ils, est simplement de "raconter des histoires", en dehors de toute contingence politique ou sociétale.


Ces amalgames et jugements à l'emporte-pièce n'ont, à mon grand étonnement, soulevé aucune objection ni commentaire dans les nombreuses chroniques (positives ou négatives) que j'ai pu lire sur les blogs ou dans la presse. Nulle part il n'en est fait mention. Les lecteurs ont-ils considéré ces éléments comme de simples et innocents gadjets romanesques ? En ont-ils fait abstraction ? Le thriller serait-il à ce point considéré comme un pur divertissement qu'il est inutile de s'intéresser au "fond", aux thèmes développés ? *

Toujours est-il qu'ici, tous les élements du récit - la complexité des personnages, la vraisemblance des situations, la richesse de la langue... - sont sacrifiés et soumis à un seul impératif : l'action, la vitesse, et cette volonté permanente de happer le lecteur, coûte que coûte, quitte à dire n'importe quoi. Aller vite, même si ça ne mène nulle part, si ce n'est vers la révélation du coupable et son arrestation.


Ze power of love

Après avoir épuisé plusieurs pistes et suspects, l'enquête finit par désigner comme l'assassin... la propre fille de Marchand. Un coupable attendu, hélas, c'est l'ennui avec ce type de roman policier où tous les éléments revêtent une signification : lorsque les "signes" sont trop visibles, le suspense s'en ressent. On finit donc par se douter que la fille du flic, mentionnée ou présente à plusieurs reprises, aura un rôle à jouer, celui de victime ou de coupable. Or, plus Marchand patine, plus on comprend que le meurtrier fait partie de son entourage. A partir de là, et après avoir fait le tour des protagonistes, il ne reste guère qu'une possiblité...

La confrontation finale donne lieu à une scène abracadabrantesque, un règlement de comptes familial durant lequel la jeune Charlotte explique à son papa qu'elle a organisé toute ces meurtres et ces mises en scène macabres simplement pour le punir, le jugeant responsable de la mort de sa mère. Rarement on aura vu révolte adolescente plus disproportionnée et sanguinolente...

Alors qu'elle le menace d'une arme et s'apprête à le tuer, Julia surgit fort à propos, volant au secours de son nouvel amoureux. Une fois Charlotte mise hors d'état de nuire (elle est blessée, pas tuée), il est temps de consoler un François encore sous le choc : Julia sera l'instrument de sa rédemption - "Elle savait que sa seule force serait dans son amour. Elle le sentait grandir, se déployer, balayer les obstacles que sa raison dressait. Cet homme avait touché son âme. (...) Le vent siffla dans les arbres. Un souffle glacial et pur qui semblait vouloir tout laver." 

Un dénouement au goût de guimauve qui vient clore un pâle divertissement d'une grande pauvreté romanesque, où s'entassent idées reçues, poncifs racoleurs, personnages monolithiques, raccourcis grossiers, coupable improbable et jargon psychanalytique. N'en jetez plus.  
   

Les enfants du néant / Olivier Descosse (Michel Lafon, 2009)



* Dans une interview parue dans le dernier numéro de la revue Mouvements ("Du polar à l'écran, normes et subversions"), le romancier Jean-Paul Jody expliquait notamment, à propos de son thriller La route de Gakona : "Du roman, la presse, les blogs et les lecteurs n'ont retenu que les scènes d'action. Il y a des moments où il faut faire des choix et je vais cesser de passer des heures en documentation pour donner libre-cours à ce que j'aime bien faire par ailleurs, c'est-à-dire des scènes d'action assez originales. Ce qui a été plébiscité dans La route de Gakona, c'est l'aspect polar et pas du tout l'aspect informatif".

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