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28 septembre 2011 3 28 /09 /septembre /2011 00:00

"Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang / Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang, / D'étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées, / Calices renversés ouvert sous vos trois plaies. / Votre sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu. / Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul. / Les fleurs de la passion sont blanches comme des cierges, / Ce sont les plus douces fleurs au Jardin de la Bonne Vierge." (B. Cendrars, Les Pâques à New-York)


En six nouvelles barcelonaises, naviguant entre passé et présent, Espagne franquiste et contemporaine, La vie de nos morts rend hommage à Nati, Eva, Ana ou encore à La douce mademoiselle Cobos, victimes des bourreaux franquistes, nazis ou des prédateurs sexuels. Héroïnes anonymes, sacrifiées ou vengeresses, ces quelques femmes n'en font finalement qu'une, intemporelle, incarnant à la fois l'ange salvateur et la victime expiatoire des hommes.   
 
La vie de nos mortsPlutôt quelconque dans l'ensemble - au regard du talent de Gonzalez Ledesma -, ce recueil vaut surtout pour deux textes, La Mercedes et Le pavé bleu : dans sa complainte adressée au Seigneur, dénuée de foi mais pleine de miséricorde et belle comme un lamento, le narrateur raconte comment, chacun à leur manière, deux hommes retrouvent celle qui leur a sauvé la vie au temps de la Guerre civile. 

Sillonant les rues de la ville, ils tentent de suspendre le temps, de raviver la mémoire des disparus, de revenir dans cette "Barcelone chaotique, agitée, sale, vicieuse, et par là-même fascinante" d'antan.

Celle des chiens errants, des poètes oubliés et des prostituées vieillissantes, que chérit lui aussi le singulier inspecteur Méndez, personnage fétiche de Gonzalez Ledesma que nous croisons à deux reprises au coin du livre.
Si sa compassion envers les victimes n'égale que sa clémence envers les petits délinquants, il se montre toujours aussi impitoyable avec les assassins et les violeurs, allant jusqu'à provoquer leur mort ou payer leur caution tout en prévenant la famille de la victime (2). Le franc-tireur Méndez vieillit, il ne croit plus en grand-chose, et surtout pas en la justice (3), mais son indignation et sa colère sont intactes, et ses méthodes aussi peu académiques qu'efficaces.


Brassant les thèmes chers à l'auteur - la rémanence du souvenir, la perpétuation de la mémoire, la parole donnée aux opprimés -, La vie de nos morts plaira d'abord aux aficionados de l'écrivain espagnol, plus enclins à pardonner les petites faiblesses du recueil.  


La vie de nos morts / Francisco González Ledesma (trad. de l'espagnol par Jean-Jacques et Marie-Neige Fleury. Rivages/Noir, 2011) 


(1) les femmes victimes de violences sont omniprésentes dans l'oeuvre de Gonzalez Ledesma, et notamment dans le cycle Méndez. Ce dernier, le plus souvent, les protège ou les venge. Parfois, ce sont elles-mêmes qui se vengent, comme dans Cinq femmes et demi (réédité prochainement dans la collection Points Roman noir).

(2) il avait déjà fait le coup de la caution, par exemple dans Le vieux serpent, nouvelle du recueil Méndez.

(3) ses saillies contre le laxisme des juges prennent ici des accents populistes qui peuvent agacer. A moins que le climat politique en France, où la remise en cause systématique des magistrats est devenue un sport gouvernemental, ne m'ait rendu hypersensible sur cette question.

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30 novembre 2010 2 30 /11 /novembre /2010 00:00

Comme c'est la première fois que je parle de Francisco González Ledesma ici, je vous préviens, je risque d'être un peu plus bavard que d'habitude.

Si vous ne connaissez pas encore cet immense auteur, sachez que le bonhomme a 80 ans tassés et une vingtaine de romans noirs au compteur. Un Vieux de la vieille, comme ses "collègues" italiens Camilleri ou Macchiavelli, avec lesquels il partage d'ailleurs un personnage de flic franchement atypique.  

Le sien s'appelle Méndez. Pour vous donner une idée de l'énergumène, il me suffit (pratique...) de citer l'incontournable dictionnaire des littératures policières : "Le personnage de Ricardo Mendez est un mélange de quatre policiers qu'a connu l'auteur : un garde du corps du Capitaine général qui "oubliait" toujours son arme chez lui, un policier qui, pour arrêter les délinquants, brandissait sa plaque sous leur nez, un autre policier qui n'utilisait qu'une arme chargée à blanc et de petits cailloux qu'il lançait dans le dos de ceux qu'il poursuivait, et, enfin, un haut fonctionnaire de la sécurité qui a confié à Francisco Gonzàlez Ledesma toutes ses désillusions et ses échecs."

Le tout donne Méndez, un flic toujours au bord de la retraite, qui répugne à arrêter quiconque, n'en fait qu'à sa tête (et à son flair) et désobéit constamment à une hiérarchie définitivement blasée.



Mourir deux fois - Gonzalez LedesmaUn ex-taulard engagé comme tueur à gages se rend compte que sa cible n'est pas celle qu'il croyait ; une fiancée tue son promis d'un coup de pistolet le jour des noces ; une gamine trisomique est louée comme eslave sexuelle.

Voilà les quelques fils qui composent le roman et que doit démêler notre inspecteur, même si le commissaire Monterde prend soin de ne surtout rien lui demander ! Sauf que Méndez, comme à son habitude, fait ce qui lui chante et se met à fouiner, à sa manière, en flânant dans les rues, en regardant les gens. Tant qu'il ne touche pas à un ordinateur ou à son portable, tant qu'il ne suit pas les procédures et respire l'air vicié des rues, il est à son aise. Mais cette fois, il va tomber sur un adversaire particulièrement coriace.




Epargnons-nous les développements et les rebondissements de l'histoire, sachez seulement qu'on ne s'ennuie pas une seconde. Suspense savamment dosé, retournements de situation, intrigues habilement entremêlées, découpage du récit en courts chapitres. Autant d'ingrédients qui devraient plaire aux monomaniaques de thriller, d'ailleurs (ceux du procedural par contre, risquent d'en être pour leur frais).


Voilà pour la mécanique. Passons à l'essentiel : comme avec quelques autres, on lit d'abord González Ledesma pour faire une rencontre ; pour s'interroger, pour s'esclaffer, pour se souvenir d'une époque et d'endroits qu'on n'a pourtant jamais connus, pour emprunter quelques heures la vision du monde d'un grand écrivain, et le regard à la fois tendre et acéré qu'un Méndez pose sur son temps et ses contemporains.



"Il faut toujours quelqu'un qui se souvienne"
Ça fait toujours plaisir de retrouver Méndez, son humanité, sa compassion pour les éternelles victimes, à commencer par les femmes et les enfants, son doux cynisme, ses écarts de langage, son attachement viscéral au passé. Lui l'ami des chiens errants et des prostituées à la retraite, Lui le reliquat et le témoin d'une époque révolue, celles des espérances collectives, celle des quartiers populaires et turbulents, des ouvriers passés on ne sait où et des quartiers industriels rasés et remplacés depuis par des quartiers d'affaires.

Il ne faut pas mourir deux fois, dit-il à la jeune femme meurtrière autant que victime. Ne pas ajouter l'oubli à la mort. La mémoire, thème central chez González Ledesma. La mémoire des lieux et de Barcelone en particulier, des disparus, des vieilles rues et des murs sur lesquels glissent les ombres des vieillards ou des souvenirs.


Et puis on retrouve aussi ce style gouleyant et plein d'humour (du pince-sans-rire au grivois en passsant par le comique de répétition), cette faculté de poser le décor en quelques mots, sans oublier cette joyeuse manie de balancer un juron juste après une phrase savamment ornementée.



Alors, si vous n'avez pas encore "rencontré" González Ledesma ni Méndez, il est temps de vous y mettre. Le recueil de nouvelles justement intitulé Mendez peut être un bon début.
Pour les autres, la balade continue, toujours pleine de charme et d'intérêt.



Une dernière chose. Les romans de l'espagnol sont toujours truffés de saillies diverses et variées, en voici quelques-unes :

"Plus le capitalisme restreint ses dépenses et tire profit de l'indigence d'autrui, plus il croît et suscite l'admiration."

"Il sert essentiellement à acquérir du pouvoir. L'argent permet de bâtir des empires ; si l'on n'a pas d'argent, on ne peut qu'ériger des barricades."

Moins politique...
"Le jour où on ouvrira un musée des fils de pute, il aura son portrait dans l'entrée. Ce genre de mec a un avis de recherche épinglé sur la bite."




Il ne faut pas mourir deux fois / Francisco González Ledesma (No hay que morir dos veces, 2009, trad. de l'espagnol par Christophe Josse. L'Atalante, Insomniaques & ferroviaires, 2010)

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15 octobre 2010 5 15 /10 /octobre /2010 00:00

Carlos Salem était présent à Toulouse le week-end dernier pour le festival des littératures policières. Il a fait tatouer sur son avant-bras le titre de son premier roman, il porte le bouc, la moustache et un bandeau sur la tête. Comme ça, il ressemble à un pirate. Probablement un rêve de gosse, qu'il prête d'ailleurs à Juan Juan Perez, son personnage de Nager sans se mouiller.


Nager sans se mouillerDans la "vie civile", Juan est un petit employé timoré et sans relief, quadragénaire et divorcé. En réalité, Juan est Numéro Trois, un tueur à gages, très doué par dessus le marché.
Alors qu'il s'apprête à emmener ses enfants en vacances sur la côte, on lui confie un contrat, et voilà comment il se retrouve dans un camp naturiste, avec pour cible... son ex-femme !

Dit comme ça, ça ressemble à une grosse blague et on se dit qu'on va bien rigoler. Et on rigole, pas de doute là-dessus, mais pas seulement.

"Vous, Juan, confronté à une situation inconfortable comme celle que vous vivez et à un âge que j'envie mais qui est pétri de doutes, au lieu de simplement réfléchir à ce qui vous arrive, vous écrivez une histoire. Dans votre tête, mais vous l'écrivez. Et il y a tout dedans : la culpabilité, votre mariage détruit, la séparation d'avec vos enfants, et même la perspective d'un nouvel amour qui serait votre rédemption. Le reste, le métier de tueur à gages, la trame de l'intrigue, vous sert à ne pas trop vous attarder sur une réalité qui se peint toujours, toujours en gris."

Tout est dit.



Salem fait le zouave, multiplie les scènes rocambolesques et les rebondissements pas toujours très vraisemblants ("Et le pire c'est que tout colle, dit l'un des personnages, qui rajoute : mais si j'avais écrit quelque chose comme ça dans un de mes romans, la critique m'aurait fracassé pour cause d'invraisemblance." !), s'amuse avec des gadjets "jamesbondiens".

Mais derrière la blague et le marivaudage, et avec une façon bien à lui de mettre du sérieux dans le burlesque ou du badin dans le sentencieux, comme vous voulez, il se montre plus intime, se met à nu - c'est le cas de le dire -, pour nous parler de lui, de nous, des choses de la vie, tout simplement.
L'amour filial, la figure paternelle, le sexe, les amours perdues, la vie qui passe et qu'on ne "peut lire qu'une fois", les masques et les personnages que nous nous fabriquons, nos petites lâchetés, nos erreurs, nos remords, nos tentatives de bonheur et tout ce qui nous reste à vivre pourvu qu'on s'en donne la peine.
Quand même, on ne peut pas éternellement "nager sans se mouiller", vivre sans prendre de risques, aimer sans s'abandonner...

"Toi, tu aimes nager mais pas te mouiller, me disait toujours le vieux Numéro Trois. Tant que ça fonctionne, mon gars, il n'y a pas de problème. Le problème c'est qu'un jour ça risque de ne plus marcher et il faudra t'assumer, te demander qui tu es. Personne n'y échappe."

Incroyable d'ailleurs cette faculté de jongler sur des registres si différents, quand tant d'autres auteurs auraient fini par perdre pied et se noyer dans un magma confus.


On trouve encore beaucoup de trouvailles savoureuses dans ce polar, comme cet hommage au maître sicilien Andrea Camilleri, ici dans le rôle d'un sage grand-père, comme ce clin d'oeil au roman d'un certain... Carlos Salem ("Il m'a plu, mais je me suis dit que l'auteur devait être un peu fêlé" !), comme ces petites mises en abîme entre réalité et fiction...



Un très beau et bon roman, je ne peux pas dire mieux, qui déborde de vie, qui vous emporte et vous tient en haleine, qui vous amuse, vous bouscule et vous émeut comme l'étreinte un peu gauche d'un vieux copain, tiens. Il y a tout cela à la fois dans Nager sans se mouiller.

Alors un seul conseil : inutile de vous mouiller timidement les orteils ou d'y rentrer à pas de loup, plongez-y d'un coup, tête la première. Vous en ressortirez revigoré.


Quant à moi, il ne me reste plus qu'à effectuer un Aller simple - il vient d'ailleurs d'être réédité en poche.


Nager sans se mouiller / Carlos Salem (Matar y guardar la ropa, 2008, trad. de l'espagnol par Danielle Schramm. Actes noirs, 2010)

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31 août 2010 2 31 /08 /août /2010 00:00

"Puis il sortit dans le paysage superbement infini de la Russie. Le panorama crayeux l'éblouit quelques instants. Il respira par le nez pour empêcher l'air gelé de pénétrer dans ses poumons sans être filtré. Lorsqu'il retrouva une vision normale, il s'attarda à contempler, de l'autre côté du tracé de la rivière, au-dessus du camaïeu des arbres qui apparaissaient et disparaissaient sous la neige, les coupoles à bulbe du monastère de Molevo."



empereurs des ténèbresHiver 43, Léningrad. C'est là qu'est basée la Division Azul : des volontaires espagnols mis à disposition de la Werhmacht par Franco, dès 1941. Un siège militaire pour les franquistes, une croisade anti-communiste pour les phalangistes. Leurs dissensions idéologiques émaillent d'ailleurs tout le récit.


La première vision est dantesque : un homme pris jusqu'au torse dans la rivière gelée, au milieu de chevaux pétrifiés ; la gorge tranchée, et portant sur l'épaule cette inscription : "Prends garde, Dieu te regarde...".

"Pourquoi se soucier d'un mort quand des milliers d'hommes sont en train de se massacrer ?" "Il y va de l'honneur de la Division" répond le colonel Navajas del Rio, qui confie l'enquête à l'ntuitif Arturo Andrade, un soldat rétrogradé et au passé criminel.

Aidé d'Espinosa, un sergent méthodique au caractère bourru, Arturo échafaude des scénarios, reconstitue les derniers moments de la victime, interroge quantité de témoins, préposé au courrier, aumônier, médecin-légiste - "cherchez une passion", lui conseille ce dernier... La Division comprend plusieurs milliers d'hommes, et aucun ne semblait bien le connaître. On raconte qu'il s'adonnait à la violeta, une variante de la roulette russe.  


Pendant ce temps, la guerre continue de prélever ses morts. La proximité des lignes russes, le concerto permanent des canons, des mortiers, des bombardements ; le danger omniprésent, la faim, le froid terrible- il fait -30°C ; les étendues gelées, la neige, un ciel de cendre ; des fous d'un asile voisin abandonnés à leur sort, la cruauté des Einsatzgruppen - ces escadrons de la mort SS chargés d'exterminer les juifs, les malades, les prisonniers... L'enfer sur terre, tandis que se propage la rumeur d'une grande offensive russe. 



On entre dans ce roman comme dans une eau froide, précautionneusement, avant de s'habituer peu à peu à sa lenteur, à son faible courant. 
On se sent bien un peu ankylosé au début, mais on est vite emporté par la force d'évocation peu commune dont fait preuve Ignacio del Valle, s'appuyant sur un langage soutenu, parfois recherché, de multiples images, de longues et minutieuses descriptions.

Empêtrés dans la grande Histoire, pétris de contradictions, ses personnages mènent aussi un combat intime contre leurs propres démons - les plaies d'un passé douloureux ou violent.

Derrière l'étude de caractères et l'évocation historique, l'auteur questionne aussi la nature du Mal, de manière presque métaphysique parfois, quand il s'interroge sur la façon dont ces hommes, chacun à leur manière, supportent et s'accomodent des privations et de la familiarité de la mort.
Dans ce carnage ambiant où tout être, toute chose semble déshumanisé, leurs pansements spirituels - la repentance, la recherche de l'absolution - ou politiques - patriotisme, fidélité au Caudillo, convictions personnelles - sont d'un bien faible secours.



Ne vous laissez donc pas abuser par le ton monocorde et la langue un peu sinueuse (un texte qui se mérite, comme on dit), Empereurs des ténèbres est un superbe roman.


Empereurs des ténèbres / Ignacio del Valle (El Tiempo de los emperadores extraños, 2006, trad. de l'espagnol par Elena Zayas. Phébus, 2010)

PS : une curieuse remarque à propos du roman et de l'auteur dans le journal Le Monde, je cite : "On se gardera de le classer trop rapidement au rayon des polars : il a l'étoffe d'un excellent écrivain et devrait poursuivre une brillante carrière". Ce que je préfère, ce sont les deux points " : "...

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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 00:00
Un bateau plein de riz est le sixième roman consacré au duo d'inspecteurs barcelonais Petra Delicado et Fermin Garzón, dont les interrogations et réflexions existencielles, souvent drôles et caustiques, font tout le charme de cette série et trouvent un large écho en nous.
Si les deux complices ont pris quelques rides depuis Rites de mort, les polars d'Alicia Gimenez-Bartlett, eux, sont toujours aussi alertes.

Quand un sans-abri est retrouvé dans un parc, apparemment battu à mort, les deux inspecteurs s'attendent à une enquête difficile mais sans surprises. Un témoin a même vu une bande de skinheads le trainer jusque-là avant de le rouer de coups. Sauf que l'homme était déjà mort, abattu d'une balle.
Qui peut bien avoir intérêt à tuer un SDF puis à organiser une telle mise en scène ?

Plus que par l'enquête - qui effleure le monde à la fois proche et méconnu des sans-abri et évoque la délinquance financière -, c'est à travers la vie privée de ses personnages que l'auteure explore la société espagnole : l'évolution des moeurs et des consciences, la lente mais progressive émancipation des femmes (la gente masculine en prend pour son grade, en passant !), les conflits de générations...

Petra et Fermin sont deux personnages qui incarnent chacun une facette de l'Espagne. Entre Garzón, flic l'ancienne et "vieux jeu", vieil ours maladroit, rigide et émouvant ; et Petra, plus moderne et ouverte. Anticonformiste, farouchement indépendante et dotée d'un humour féroce, c'est une femme entre deux âges qui s'interroge sur sa féminité, son désir et son pouvoir de séduction, 
 
Vous l'aurez compris, ici pas de super-flics aux supers pouvoirs de déduction ni de justiciers solitaires. Juste des gens comme vous et moi, empêtrés dans leurs tracas quotidiens, qui font leur boulot du mieux possible et essayent de se tailler une petite part de bonheur.


Un bateau plein de
riz, même s'il aurait gagné à être un peu plus élagué, est un bon polar, dans la lignée des précédents, et on a beaucoup de plaisir à retrouver les deux compères et à les voir évoluer.
Bien-sûr, ceux qui ne jurent que par les polars bien déjantés ou très noirs en seront pour leurs frais, mais ce serait dommage de se priver de cette petite escapade catalane.

D'ailleurs, c'est à se demander pourquoi Gimenez-Bartlett ne connait toujours pas en France un véritable succès. Des intrigues bien ficelées, des personnages attachants et familiers, un regard aiguisé sur ses contemporains, le tout relevé d'ironie mordante et recouvert d'une bonne couche d'humour fin. Que demander de plus ?!


Un bateau plein de riz / Alicia Gimenez-Bartlett (Un barco cargado de arroz, trad. de l'espagnol par olivier Hamilton et Johanna Dautzenberg. Rivages/Noir, 2009)
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4 septembre 2008 4 04 /09 /septembre /2008 16:45

"Pourquoi ne peuvent-ils pas raconter les choses sans toutes ces fioritures, sans tout ce verbiage..." (p.162)


nullJe me souviens avoir beaucoup apprécié Je suis un écrivain frustré, le premier roman de Manas paru il y a quelques années, alors qu'il n'avait que vingt ans !
A travers l'histoire d'un professeur d'université qui vole le manuscrit d'une de ses élèves et connait un succès phénoménal, Manas brossait un tableau féroce du microcosme littéraire et éditorial, avec verve et drôlerie.
Satire qu'il poursuit dans L'affaire Karen, où il décortique un petit monde intellectuel replié sur lui-même, calculateur, frivole, narcissique.

Mais Je suis un écrivain frustré, petit bijou d'humour noir, est aussi léger et pétillant que L'affaire Karen est indigeste.

Karen del Corral, coqueluche des Lettres, organise une grande fête chez elle. Le lendemain matin, on découvre son cadavre, gisant sur le trottoir.
Deux inspecteurs chargés de l'enquête interrogent les invités, ainsi que ses proches.
Chacun prend tour à tour la parole et reconstitue peu à peu la vie et la personnalité de Karen, pour nous donner un récit en forme de kaléidoscope, un procédé original et sensé donner du rythme au récit, mais dans lequel s'embourbe complètement l'auteur.

Manas se perd, et nous avec, dans le dédale de son propre labyrinthe narratif, multiplie les digressions oiseuses, nous présente des personnages sans relief, qu'on ne parvient jamais vraiment à "fixer" ni à relier les uns aux autres. Y compris l'auteur lui-même qui se met en scène et interprète son propre rôle, dans une sorte de mise en abîme qui n'apporte strictement rien, si ce n'est de la confusion.
Enfin, le style, particulièrement verbeux, laborieux, maladroit, alourdit encore une intrigue dont on a toutes les peines du monde à entrevoir le dénouement, décevant et convenu comme le reste.


L'affaire Karen / José Angel Manas (Caso Karen, trad. de l'espagnol par Jean-François Carcelen et Juan Vila. Métailié, Noir, 2008)

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27 février 2008 3 27 /02 /février /2008 17:27

Dans la série je comble mes (nombreuses) lacunes littéraires, je viens de découvrir l’auteur(e) espagnole Alicia Giménez-Bartlett. Si son nom ne m’était pas inconnu, je ne m’étais pas encore embarqué dans ses pérégrinations barcelonaises…

 
C’est chose faite, après qu’une internaute bienveillante (grazie Annita !) m’ait recommandé cet auteur qui, curieusement, est relativement méconnue en France (malgré l’attrait du public pour les personnages récurrents), alors qu’elle accumule les récompenses et rencontre un large public en Italie ou en Allemagne.

 
rites_de_mort.jpgCinq titres sont déjà parus en France, chez Rivages-noir. Les romans de Giménez-Bartlett mettent en scène un couple d’inspecteurs particulièrement attachant : Petra Delicado, la quarantaine, ancienne avocate, deux mariages derrière elle et encore pas mal d’interrogations existentielles devant, impulsive, accrocheuse… Et Fermin Garzón, son subordonné et ami, fonctionnaire consciencieux et loyal proche de la retraite, dont la bonhomie et la large bedaine tranchent avec l’intrépidité de Petra.  

Ce tandem nous emmène aux quatre coins de Barcelone, traversant les quartiers populaires ou passant les portes cochères des immeubles bourgeois, enquêtant dans les milieux les plus divers…
 

Rites de mort
est le premier roman de la série Delicado/Garzón (et aussi le premier paru en France, ce qui n’est pas toujours le cas…).
 
Alors que Pétra végète au service documentation du commissariat, son supérieur la charge d’enquêter sur une affaire de viol. Une opportunité à saisir pour qui espère depuis toujours « descendre dans les rues » afin de mener de véritables investigations policières. On lui adjoint un inspecteur expérimenté, tout juste muté de province : Fermin Garzón. Les premiers contacts sont difficiles… Garzón, d’un naturel placide,  oppose à Petra un masque de marbre, même s’il n’en pense pas moins sur les méthodes pour le moins musclées de sa supérieure (qui le choquent d’autant plus qu’elle est une… femme). De son côté, Petra s’agace profondément des reproches muets que semble lui adresser ce collègue « monolithique ». Peu sûre d’elle, elle use parfois d’autoritarisme devant un Garzón renfrogné.
Mais les deux protagonistes-antagonistes vont s’apprivoiser peu à peu, puis s’apprécier et poser les bases d’une solide amitié. Une relation qui constitue la colonne vertébrale du récit.
 
Cette première enquête les mène sur la piste d’un violeur en série, qui marque ses victimes d’un sceau en forme de fleur. Entre balbutiements, précipitation et fausses pistes, l’enquête s’enlise. Le violeur récidive, l’affaire fait la « une », la pression monte. Petra, harcelée par les médias (ainsi que par ses ex-maris), aidée par son fidèle compagnon, va devoir mettre au jour certains secrets de famille particulièrement glauques afin de mettre la main sur le violeur.
 

Ce roman, aux personnages bien campés, à l’intrigue bien ficelée, tient particulièrement bien la route. Giménez-Bartlett restitue avec nuance la complexité des sentiments et des comportements humains, à cent lieues d’effets simplistes, de discours caricaturaux (les victimes elle-même succombent à la cupidité, à la bêtise…).

Et puis, Delicado et Garzón font partie de ces personnages qu'on a plaisir à retrouver. D’ailleurs, j’ai Le jour des chiens près de moi… 


Rites de mort
/ Alicia Giménez-Bartlett (trad. de l'espagnol par Marianne Millon. Rivages-noir, 2000)
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