On connaît l'immense talent de conteur du colombien Santiago Gamboa, mais avec Nécropolis 1209, il se surpasse, et signe là un roman qui fera date, je prends les paris !
Un écrivain colombien en manque d'inspiration est invité à un mystérieux congrès de biographes à Jérusalem. Dans la Ville sainte à feu et à sang, bombardée, assiégée, il fait la rencontre de plusieurs participants et résidents de l'hôtel (un îlot de civilisation dans la barbarie ambiante) qui tour à tour vont raconter leur propre histoire ou celles d'illustres inconnus. Des histoires à la fois ordinaires et incroyables.
Voilà comment Nécropolis 1209 contient en réalité plusieurs romans, Gamboa tissant sur 400 pages serrées un écheveau d'histoires et de destins qui s'imbriquent comme des poupées russes, non pour rejoindre le lit d'une intrigue principale - en l'occurrence la mort d'un des participants du congrès -, mais qui (pour rester dans la métaphore géographique) forment un delta, qui se divise et se répand dans de multiples directions.
C'est l'histoire de José Maturana, ex-taulard reconverti en pasteur évangélique, et de son mentor et messie Walter de la Salle, dans les quartiers déshérités de Miami.
C'est l'histoire de deux joueurs d'échecs, de leur rencontre en plein théâtre de guerre, de leurs amours, de leur amitié et de leur passion commune pour l'échiquier et ses infinies variantes.
C'est l'histoire de la porno-star Sabina Vedovelli, qui tient le sexe pour une arme intellectuelle.
C'est l'histoire d'un Edmond Dantès contemporain, et de sa minutieuse vengance contre les paramilitaires colombiens qui l'ont kidnappé et les proches qui l'ont trahi.
C'est l'histoire...
C'est l'histoire du caractère fondamentalement aléatoire de l'existence. L'histoire de femmes et d'hommes pris dans la nasse, qui ont souffert, ont cru mourir, se sont perdus, et qui à force de courage, d'abnégation, de sacrifices, ont su (re)trouver un semblant de paix et d'équilibre.
Des vies traversées par la passion, l'amour, l'exil, l'accomplissement, la piété, la rédemption, l'espoir...
Des vies qui forment une vaste fresque, chatoyante, riche de détails, et pleine de portraits superbement exécutés par un auteur qui change de voix et de registre avec un art consommé.
Truffé de références littéraires et d'anecdotes, Nécropolis 1209 est aussi une ode à la littérature. Inutile de tous les citer ici, mais ça va de Ignacio Taibo II à Thomas Bernhardt, de Borges à Saint-Exupéry en passant par Carlo Emilio Gadda, Bukowski, Milton, Thomas Pynchon et beaucoup, beaucoup d'autres... Et à chaque fois, on se dit, tiens il faut que je note ce nom, ce titre, que je lise cet auteur dont il parle si bien, cet autre que je ne connais pas...
Un hommage doublé d'une réflexion sur la place et le rôle de l'écrivain dans la cité, sur l'utilité et le pouvoir de la littérature. Les mots et les histoires ont-ils encore leur place dans un monde en proie à la guerre et à la souffrance ?
"...pourquoi organiser un congrès ici, en plein chaos, avec des gens qui meurent à la périphérie de la ville ? Kaplan termina son whisky d'un trait. Eh bien, mon ami, moi je dirais le contraire, je crois que c'est aujourd'hui le seul endroit où un événement de ce genre ait du sens."
Il y aurait tellement de choses à dire encore, mais le mieux est de vous plonger directement et sans attendre dans ce magnifique roman, peut-être le meilleur de Gamboa, en tout cas le plus ambitieux, le plus foisonnant, le plus roboratif.
Chapeau bas.
Nécropolis 1209 / Santiago Gamboa (Nécropolis, 2009, trad. de l'espagnol (Colombie) par François Gaudry. Métailié, 2010)
Santiago Gamboa sera présent en France à l'occasion des Belles Etrangères - consacrées cette année aux écrivains colombiens - qui se dérouleront du 8 au 20 novembre.