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5 octobre 2011 3 05 /10 /octobre /2011 00:00

Coïncidant avec le "miracle économique" amorcé dans les années 90, dont il éclaire crûment les zones d'ombre, l'essor du polar irlandais poursuit sur sa lancée, sous la plume des Ken Bruen, Declan Burke, Colin Bateman ou, plus récemment, Declan Hugues et Gene Kerrigan.

Sans pour autant fourrager dans la gueule du "Tigre celtique" (1), Stuart Neville, à sa façon, met lui aussi à nu les mutations de la société irlandaise, à travers un homme du passé qui, de son propre aveu, n'a plus sa place dans cette new Ireland.

Les fantômes de BelfastQuelques années ont passé depuis l'accord de Paix signé en 1998 qui a officiellement mis fin à la guerre civile. Gerry Fegan, ex-activiste de l'IRA passé par la case prison, écume les pubs, en compagnie d'un verre et d'une douzaine de fantômes : soldats anglais, unionistes, civils... Tous ceux qu'il a tués et qui réclament obstinément justice (2).

Perclus de remords, ne supportant plus leur présence, Fegan décide de les "écouter" et de tuer un à un ceux qui ont ordonné leur mort, c'est-à-dire ses anciens acolytes, devenus pour certains des hommes politiques en vue et en quête de respectabilité (3). Sa ballade irlandaise va violemment raviver les dissensions politiques à l'oeuvre dans les différents camps, jusqu'à menacer le fragile équilibre diplomatique. Son chemin croise aussi celui de Marie, jeune mère célibataire ayant jadis trahi la cause en épousant un flic.

   
A lui seul - et c'est là la grande réussite du roman -, Fegan symbolise l'Irlande et les tensions qui l'agitent à un tournant de son histoire : à la fois usé et hanté par des années de guerre, et n'aspirant plus qu'à une chose : la paix. Comment y parvenir ? En faisant solde de tout compte, nous dit Neville. Avec ses propres erreurs. Avec les anciens paramilitaires dont la lâcheté s'est muée en cynisme. Avec les morts, pour finir.    
 

Âpre, percutant, remarquablement maîtrisé, Les fantômes de Belfast est un très bon premier roman, quoique plutôt conventionnel, au bout du compte, et souffrant à mon gôut d'un trop plein d'ingrédients - une cuillerée d'émotion, une pincée de rédemption, une pointe d'amertume, un soupçon de surnaturel, arroser généreusement d'action et coiffer d'une fin tonitruante. Prometteur, néanmoins.


Les fantômes de Belfast / Stuart Neville (The Ghosts of Belfast, 2009, trad. de l'anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau. Rivages/Thriller, 2011)



(1) c'est ainsi qu'on a surnommé l'Irlande durant sa période de forte croissance économique. La crise l'a depuis transformé en chat pelé...
   
(2) les spectres, fantômes et autres farfafouilles font partie intégrante du folklore et de la littérature irlandaises, ce qui explique j'imagine l'aisance avec laquelle Neville les met en scène. A tel point que leurs intrusions répétées paraissent parfaitement... naturelles. 

(3) l'actualité nous en a récemment offert un exemple en chair et en os, avec la candidature controversée d'un ancien cadre de l'IRA à la présidence irlandaise (lien).

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14 décembre 2010 2 14 /12 /décembre /2010 00:00

Avec deux romans traduits en France, l'irlandais Sam Millar a déjà trouvé nombre d'échos favorables parmi les fans de polar. Pour ma part, j'ai peur de ne pas joindre ma voix au concert de louanges, en tout cas en ce qui concerne Redemption factory.


Redemption factoryLe roman s'ouvre sur une scène terrible, le calvaire d'un militant de l'IRA accusé de trahison et séquestré par ses pairs. Il n'en réchappera pas. 

Vingt ans ont passé. On fait connaisance avec son fils, Paul Goodman. Parce qu'il doit absolument trouver du boulot, ce dernier se présente aux abattoirs de la ville, dirigées par Shank, imposant bonhomme de sinistre réputation et obsédé par l'oeuvre de William Blake.

L'endroit est d'"une horreur à couper le souffle, comme une chapelle Sixtine ensanglantée par des barbares bouillonants de rage dans une hideuse frénésie".

Après avoir réussi son examen de passage (et quel examen...), il est engagé et se fait tant bien que mal au boulot, essayant d'éviter l'inquiétante Violet et au contraire d'approcher Geordie, la jeune femme aux jambes arnachées de métal qui règne sur l'équipe des bouchers.
Paul n'a pas l'intention de passer sa vie à découper de la bidoche, et il compte sur le snooker - une variante du billard - pour le tirer de là.  Encore faut-il qu'il soit repéré lors d'un tournoi. En attendant, il passe tous ses moments libres à jouer, en compagnie de son pote d'enfance Lucky.
C'est en allant acheter une queue de billard qu'il fait la connaissance de Philip Kennedy, qui se montre étonnament généreux avec lui. Comme s'il voulait se racheter d'un ancien pêché. 




Une atmosphère menaçante et poisseuse peuplée de sadiques sanguinaires : Redemption factory pouvait naturellement prétendre à faire grimper notre taux d'adrénaline, mais ressemble finalement à un mauvais film d'épouvante, d'autant plus que les scènes gore ont tendance à désamorcer la tension déjà faible.

C'est d'autant plus dommageable qu'il faut attendre la moitié du récit avant qu'il ne passe quelque chose de véritablement intéressant, à savoir la relation naissante entre Paul et Geordie, qui donne un peu d'humanité à cet univers lugubre et sans espoir, qui donne aussi du contraste et par conséquent une autre dimension à l'intrigue. Mais le souffle retombe, imperceptiblement, dans ce roman sans réelle densité et qui, surtout, ne parvient jamais à exploiter le thème pourtant central de la rédemption, à le transcender ; la charge émotionnelle reste inoffensive.

Enfin, j'ai le sentiment que l'auteur hésite sans cesse entre différents registres - farce macabre, réalisme, conte gothique -, et le tout donne un patchwork parfois décousu, des motifs et des évocations auxquels je n'ai guère été sensible. 


Tout n'est pas raté pour autant, on a droit à quelques scènes marquantes (sacré bain de sang...), et Sam Millar parvient à nous accrocher malgré tout, grâce au rythme qu'il imprime au récit et aux métaphores qui le colorent agréablement - bien que certaines laissent perplexe ("Lucky poussa un cri terrifiant, comme celui d'un chien que l'on coupe en deux."), et que les "comme" et "comme si" polluent les premiers chapitres.

Si bien qu'on se laisse porter sans déplaisir jusqu'au dénouement - par ailleurs assez prévisible, mais c'est peu, trop peu à mon goût pour sauver ce roman.

Allez plutôt voir du côté de Jack O'Connell pour l'aspect gothique, de J.C.Ballard pour le bizarre, de Ted Lewis pour le climat de violence âpre. 


Allez aussi voir du côté de Jean-Marc et Cynic, pour les avis contradictoires.



Redemption factory / Sam Millar (Redemption factory, 2005, trad. de l'anglais (Irlande) par Patrick Raynal. Fayard Noir, 2010)

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14 septembre 2010 2 14 /09 /septembre /2010 00:00

"La mauvaise goutte de sang dure jusqu'à la dix-septième génération." (proverbe irlandais)


"Le soir de l'enterrement de ma mère, Linda Dawson sanglota sur mon épaule, me fourra sa langue dans la bouche et me demanda de retrouver son mari". Difficile de refuser, hein, surtout qu'Ed Loy s'est déjà occupé de ce genre d'affaires comme détective privé en Californie, où il est parti - s'est enfui, plutôt - des années plus tôt.


Coup de sangTout juste revenu à Dublin, Ed retrouve une ville transformée par le boom immobilier, coiffée de grues et pleine de chantiers de construction. Bien propre sur elle et vaguement ennuyeuse. Il reste malgré tout des choses qui ne changent pas, comme son vieux copain Tommy Owens, toujours fourré où il faut pas, avec les caïds du coin, par exemple, les fameux frères Hannigan.

L'époux disparu fait partie de la bonne société, il est dans les affaires, il possède des terrains. Un commerce juteux. Ed commence à penser : immobilier, politique, pots-de-vin. Une vieille chanson, peut-être, mais un refrain tenace.
Seulement, le type qui revient au pays, commence à fourrer son nez partout et à remuer de vieux secrets de famille englués dans la tourbe irlandaise, faut pas s'étonner qu'il se fasse secouer un peu...



Declan Hugues entame avec Coup de sang un cycle dédié au privé Ed Loy (cinq romans sont déjà parus en Grande-Bretagne), dans la veine du detective novel des années 40-50 (j'ai beaucoup pensé aux romans de Jonathan Latimer, d'ailleurs, jetez-y un oeil à l'occasion).

"Vous avez engagé un détective privé, et personne ne veut savoir qui est un détective privé. Il est trop miteux, pas assez recommandable. Il ressemble au clodo ordinaire. Impossible pour lui de se montrer à la hauteur à vos bals de charité et vos dîners à mille euros et cela lui va très bien, parce que, ainsi, il peut faire ce pour quoi il a été engagé. C'est son seul but, vraiment, comme un chien qu'on a dressé à travailler, il ne peut pas se détendre en restant assis à ne rien faire. Il faut qu'il force, qu'il fouine et qu'il remue jusqu'à ce que la vérité finisse par être révélée, ou assez de cette vérité en tout cas pour que ça change tout."


Du classique. Un détective coriace et têtu comme une mule. Ballotté, trompé, malmené - aussi bien par les truands que les flics -, passé à tabac : rien ne lui sera épargné. A personne d'ailleurs. "Dans toute cette histoire, il était humain d'espérer que quelqu'un connaisse une issue heureuse, même si personne ne la méritait vraiment".



Si ses références sont américaines, le coeur est bel et bien irlandais : Declan Hugues nous parle d'une Irlande qui a profondément changé avec l'essor économique des années 90 et 2000 (à l'instar de son compatriote Adrian McKinty, autre auteur de polars), un pays qui a fait peau neuve mais qui a perdu un peu de son âme, un pays recouvert d'un vernis de prospérité mais dont les trottoirs sont toujours encombrés de clochards.


Coup de maître, non, coup de coeur, certainement. Un coup de sang plein de vitalité en tout cas, et un premier roman solide, enlevé et soigneusement ficelé. Ce serait dommage de s'en priver.



Coup de sang / Declan Hugues (The wrong kind of blood, 2006, trad. de l'anglais (Irlande) par Aurélie Tronchet. Gallimard, Série Noire, 2010)

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2 mai 2010 7 02 /05 /mai /2010 00:00

Après les romans d'Antoine Chainas et de Pascal Dessaint, j'avais envie de me dégourdir un peu les zygomatiques. Alors quoi de mieux qu'un Ken Bruen ? Ses histoires sont pourtant loin d'être rigolotes, mais comme il a cette façon bien à lui de vous faire une grimace tout en vous racontant un truc terrible, on ne peut pas s'empêcher de se marrer... 

 

Brooklyn requiem Ken BruenDans Cauchemar américain, Bruen nous trimballait déjà de l'autre côté de l'Atlantique, en compagnie de quelques dérangés du ciboulot et d'un natif de Galway parti refaire sa vie chez les yankees.

Rebelote avec Brooklyn Requiem : Matt O'Shea est garda - gardien de la Paix - et rêve d'Amérique. Aussi, quand il débarque à New York dans le cadre d'un échange entre polices, il est bien content de troquer sa matraque contre un vrai gun et de jouer les cops. L'ennui, c'est qu'il a parfois du mal à se contrôler et la fâcheuse habitude d'abandonner ses chers chapelets autour du cou de ses victimes...
Quand on lui colle comme partenaire un flic pourri jusqu'à la moelle et un brin caractériel, les ennuis commencent...


Ensemble, le psychopathe et la brute épaisse font semer une belle pagaille dans Brooklyn.


Non, ce n'est encore pas le grand roman qu'on attend - à tort ? - de cet auteur surdoué ; comme d'habitude, le roman est un peu court, comme d'habitude l'intrigue est aussi épaisse qu'une feuille à cigarette.

Mais.
Comme d'habitude, la folie douce de Bruen est contagieuse.

Comme d'habitude, il se joue habilement des stéréotypes (et de ses propres fantasmes américains) - ici on a droit aux flics main posée négligemment sur le glock de service ou tenant un gobelet de lavasse caféinée, au supérieur qui rouspète sans arrêt, et j'en passe.

Comme d"habitude, c'est excessif, drôle, savoureux, cinglant, délicieusement absurde et cynique à souhait.

Comme d'habitude, il nous régale de son magnifique sens de la formule. Allez, juste une, pour vous mettre en train :
"Le hurling, c'est le sport national irlandais, ça tient à la fois du hockey et de l'homicide volontaire".

Et si je suis le premier à regretter que Bruen mette le feu à la baraque avant de couler les fondations, j'ai bien du mal à refuser une petite visite du propriétaire.

Bref, Brooklyn Requiem a parfaitement rempli... son office, et je n'ai pas boudé mon plaisir. Amen.


Brooklyn requiem / Ken Bruen (Once were cops, 2008, trad. de l'anglais (Irlande) par Catherine Cheval et Marie Ploux. Fayard noir, 2010)

PS : toujours chez Fayard, sort simultanément Une pinte de Bruen (vol.1), qui regroupe ses premiers romans et quelques nouvelles.

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5 septembre 2009 6 05 /09 /septembre /2009 00:00

Troisième opus de la série Michael Forsythe, ancien voyou/affranchi/contractuel du FBI imaginé par l'irlandais Adrian McKinty, Retour de flammes fait suite à A l'automne je serai peut-être mort et Le fils de la mort (prochainement réédité en Folio policier) - que je n'ai pas lus, je précise.

Depuis qu'il a témoigné contre la mafia une dizaine d'années plus tôt, Forsythe a beaucoup voyagé grâce au FBI et un programme de protection des témoins.

Il se trouve à Lima, chargé de la sécurité d'un grand hôtel, quand deux balèzes lui tombent dessus. Mais ô surprise, au lieu de lui coller une balle dans la tête, ils lui collent un téléphone dans la main. Au bout du fil, Bridget Callaghan, une vieille connaissance et la grande prêtresse de la pègre bostonienne qui a placé un contrat sur sa tête depuis que Michael a tué son petit ami. Désespérée, elle le supplie de rentrer en Irlande pour l'aider à retrouver sa fille disparue, en échange d'une ardoise toute propre.

Forsythe craint un piège mais se laisse séduire par Bridget et la possibilité d'une vie normale après toutes ces années de cavale. Il débarque donc à Belfast, où il a grandi, en pleines festivités du Bloomsday - du nom de Léopold Bloom, le personnage de James Joyce dans Ulysse qui se déroule à Dublin le 16 juin 1904 - et s'apprête lui-même à vivre une folle journée - nous sommes le 16 juin 2004 -, disons un peu plus... musclée : parodie sans prétention et sympathique hommage au chef d'oeuvre de la littérature irlandaise.

L'ennui, c'est que la terre entière semble lui en vouloir, à commencer par la mafia, l'IRA et un tas de p'tits truands. Mais il a la peau dure le bonhomme, et s'il est doué pour s'attirer les ennuis, il parvient toujours à s'en tirer à peu près entier. A la fin du récit, Forsythe aura survécu à plusieurs tentatives d'assassinat, un accident de voiture, des agressions au démonte-pneu, au fusil-mitrailleur, et même au... lance-grenade !, tout en zigouillant au passage un certain nombre de méchants garçons.


A croire que les irlandais ont le chic de nous pondre des personnages complètement déjantés - là je pense à Ken Bruen ou Hugo Hamilton. Dur-à-cuire bravache et frondeur, toujours une bonne vanne en réserve (de préférence pour les situations désespérées), Forsythe n'en est pas moins un homme impitoyable qui n'hésite pas à tuer de sang-froid. Un personnage plus complexe qu'il n'y paraît et auquel on s'attache avant même de s'en rendre compte.

Côté intrigue, rien que de très banal, mais efficace, d'autant plus que McKinty démarre sur les chapeaux de roue et multiplie les péripéties et retournements de situation, ménageant plutôt mollement le suspense - mais c'est secondaire - et digressant à notre grand plaisir pour mieux nous parler, sur un ton ironique mais dénué de nostalgie, de son île, du caractère et des moeurs de ses compatriotes, du nouveau Dublin remodelé à coup de fonds européens et de parcours touristiques, de Belfast et des stigmates de la guerre civile, de la haine et du ressentiment qui couvent.


Retour de flammes est un curieux mélange, assez détonnant je dois dire, et très réussi, entre une bonne dose d'humour, une mise en scène digne d'une série B avec pétards, courses poursuites et gros dégâts, et, surtout, le talent de conteur et de dialoguiste de McKinty. Tout à fait recommandable, donc.


Retour de flammes / Adrian McKinty (The Bloomsday dead, trad. de l'anglais par Patrice Carrer. Gallimard, Série noire, 2009)

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14 février 2009 6 14 /02 /février /2009 00:00
Revoilà donc Ken Bruen, l'antidote irlandais à la grisaille ambiante et aux blues passagers, qui délaisse pour un temps son île natale et ses personnages fétiches pour une bal(l)ade américaine, loin d'être reposante vous vous en doutez, si vous avez déjà ouvert un de ses bouquins.
Si tel c'est le cas, vous savez aussi qu'un polar de Bruen ne brille pas par son intrigue millimétrée mais plutôt par ses personnages déjantés, son humour corrosif et ses situations burlesques qui balancent sans cesse entre le grincement de dents et l'éclat de rire.


S'il ne soigne pas beaucoup ses scénarios, il est en revanche toujours aussi pointilleux sur la bande-son (Springsteen, White Stripes, Hank Williams ici présents) et le casting :
Soit Dade, tueur-né et amateur de country suave, qui ouvre le bal en pulvérisant la voiture de son ex ainsi que ses occupants, enfants compris. Un bon samaritain comparé à Sherry, une "racaille blanche de parc à caravanes", aussi dangereuse et déchaînée qu'un cyclone tropical. 
Soit Stapleton, paramilitaire ultraviolent et ancien de l'IRA qui bouffait du soldat de sa Majesté avant de se reconvertir dans le braquage de banque.
Soient Tommy et Siobhan, respectivement ami d'enfance et maîtresse de Stephen, dommages collatéraux.
Soit, enfin, Stephen, notre premier rôle. Irlandais de Galway qui veut refaire sa vie en pays yankee, l'argent d'un braquage sous le coude et Siobhan à son bras.

Bien-sûr, rien ne se passe comme prévu, et la gentille virée de Stephen tourne au cauchemar. Tourmenté par la mort de son ami de toujours, abattu par le troisième comparse du braquage, et dans l'attente de Siobhan, sa banquière de copine restée en Irlande pour s'occuper du transfert de fond, il dérive au gré de ses excursions éthylliques, de New York à Vegas, de Vegas à Tucson, pour un règlement de compte final.


On retrouve dans Cauchemar américain les qualité de Bruen, son sens implacable de la formule, ce mélange de férocité et de tendresse, quand celle-ci va se nicher jusque dans les caniveaux de Galway et dans le fond des bocks de bière. Il nous offre en prime quelques beaux passages sur l'âme irlandaise, rugueuse, bravache, mélancolique, qui vous donnent envie de vous précipiter illico au comptoir RyanAir le plus proche.

Et malgré tout, ce n'est pas du grand Bruen, qui a déjà été plus drôle, plus incisif, plus émouvant. Est-ce aussi parce que j'attends beaucoup mieux de cet auteur ? Il y a de ça.

Ken Bruen a un immense talent de conteur et une facilité déconcertante, mais j'ai parfois l'impression qu'il s'en contente, sans vraiment aller au bout des choses. Comme cette belle amitié entre Stephen et Tommy, qu'il aurait pu développer encore, comme le conflit nord-irlandais qu'il effleure à peine.
Fumiste, pourrait-on dire, en exagérant. De grandes dispositions mais pas assez de travail, pourrait-on lire, sur un bulletin scolaire.
Voilà, j'attends encore ce grand roman, bien charpenté, dense et profond. Je l'attends parce que Ken Bruen est parfaitement capable de l'écrire.

Ah, et puis un truc agaçant à force, et particulièrement dans celui-là qui en est truffé, ce sont les références innombrables à tel film, tel roman, tel disque... Ok, j'aime bien Springsteen et Christopher Walken, Voyage au bout de l'enfer est un film somptueux, vrai, j'adore aussi James Lee Burke et je suis bien content de voir citer Andrew Vachss, mais j'ai eu parfois l'impression de parcourir la biblio-disco-DVD-thèque idéale de sir Bruen. Pas désagréable, mais elle prend de la place.


Alors, pour ceux qui ont déjà lu Bruen, allez-y sans crainte, on passe toujours un bon moment chez lui. Et pour les autres, attendez plutôt une autre occasion ou rendez-vous chez Jack Taylor ou R&B.


Cauchemar américain / Ken Bruen (American skin, 2006, trad. de l'anglais (Irlande) par Thierry Marignac. Gallimard, Série noire, 2009)
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12 septembre 2008 5 12 /09 /septembre /2008 00:00


nullR&B, c'est un peu Ed McBain revu et corrigé par les Marx Brothers. Et s'il s'est certainement inspiré des enquêtes du 87ème district, Bruen rajoute quelques ingrédients de son cru : un brin de folie, un zeste de dérision et un goût pour la caricature poussé jusqu'à l'extrême.

Ses personnages de flics, par exemple, sont de vrais stéréotypes : hormis Roberts & Brant, on trouve un homosexuel, une Noire, un chef aussi stupide qu'exécrable... Original, non ?
Le truc, c'est que Bruen joue si bien de ces clichés qu'il nous amuse aussi, sans toutefois tomber dans la parodie ni se prendre trop au sérieux.

Et puis on se tord de rire à chaque page ou presque, sous les coups d'éclat-de folie-de sang des deux zigotos et les répliques savoureuses dont nous régale l'auteur.

Si Roberts est encore à moitié fréquentable, Brant a vraiment tout du sale enfoiré : un franc-tireur cynique, je-m'en-foutiste et misanthrope, à moitié véreux, qui terrorise autant ses collègues que les truands londoniens. 
Mais encore une fois, Bruen retourne la situation à son avantage : oscillant entre le drôle et le féroce, il fait de Brant un être aussi méchant qu'attachant ; et qui s'avère un personnage plus complexe que ne le laisse paraitre au premier abord le bloc monolithique façonné sommairement par Bruen.


Côté intrigues, ça a tendance à s'amenuiser entre le premier et le dernier de la série, et c'est peut-être le danger qui guette l'auteur : négliger l'intrigue au profit des seuls personnages. On verra.
En attendant, les enquêtes sont autant de prétextes à foutre le bordel et à regarder ensuite ce petit monde s'agiter : rançonneurs amateurs poseurs de bombes, milice aryenne d'autodéfense, mouchards, petites frappes toutes pointures, hiérarchie excédée, et au milieu de tout ça nos deux compères Roberts & Brant, sortes de Starsky & Hutch passés du côté obscur de la Force.


Décapant, désopilant, politiquement incorrect ; voilà ce qui me vient à l'esprit à la lecture de R&B, qui peut évoquer des choses graves sans se prendre au sérieux. Ca a l'air simple mais c'est plus rare qu'on ne pense.

Alors, c'est sûr, si vous avez du mal à amortir le choc de la rentrée et la tristesse des jours raccourcisssant à vue d'oeil, plongez-vous dans R&B, ça devrait vous faire le plus grand bien. 
Respectez tout de même la posologie : pas plus d'un Bruen/semaine, où vous pourriez ressembler dangereusement à Brant, humilier vos collègues, négliger votre femme et envoyer votre chef se faire f..... !


Vixen / Ken Bruen (Vixen, trad. de l'anglais (Irlande) par Daniel Lemoine. Gallimard, Série noire, 2008)
& Le Gros Coup (Gallimard, Série noire, 2004 ; rééd. Folio policier, 2005)

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