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29 juin 2011 3 29 /06 /juin /2011 00:00

Martin Suter s'était déjà aventuré en lisière du polar avec Small world ou La face cachée de la lune, il y rentre de plein pied avec Allmen et les libellules, qui est aussi le premier opus d'une série.
   
couverture suterOù on fait connaissance avec Johann Friedrich von Allmen, gentilhomme suisse et rentier ruiné, collectionneur d'art et chapardeur à ses heures, amateur d'opéra et d'orchidées (comme Nero Wolfe, le détective de Rex Stout), lecteur compulsif (notamment d'Elmore Leonard, référence qui tranche dans ce décor compassé). En deux mots : un indécrottable snob, et tout l'opposé de son fidèle serviteur guatémaltais, Carlos.

L'intrigue, relativement secondaire, tourne autour de cinq coupes Art nouveau Emile Gallé incrustées de libellules, et dérobées à un riche homme d'affaires par notre apprenti-gentleman cambrioleur afin d'apaiser un créancier belliqueux.
   

Dans ce "pilote", l'auteur s'attache surtout à dépeindre son personnage : son extraction "nouveau riche" qu'il s'efforce de gommer (allant jusqu'à annoblir son patronyme), son irrépressible goût du luxe, sa superficialité assumée, ses manies et ses airs affectés tournés en ridicule par un Martin Suter volontiers moqueur, et dont l'ironie très second degré apporte un certain charme au récit.
Un charme auquel participe également le caractère résolument anachronique d'Allmen, homme d'antan en butte à la modernité (et sauvé grâce à d'obsolètes... bretelles) pour qui un moteur de recherche demeure un mystère insondable.
     
Ce qui confère au roman cette atmosphère surannée et so british - à laquelle renvoie l'éducation du héros dans une boarding school ainsi que les nombreux recours à la langue de Shakespeare - , si bien qu'on a l'impression d'être plongé dans la gentry, la bonne société anglaise, plutôt qu'en Suisse alémanique.

D'ailleurs, les sympathiques aventures d'Allmen et de son intendant rappellent immanquablement les romans de P.G. Wodehouse consacrés à Bertie le dandy écervelé et son majordome Jeeves. Ici aussi, le fidèle domestique passe son temps à sauver la mise de son maître tout en se montrant bien plus malin que lui (à ce titre, les adeptes de Freud pourront s'amuser du climat d'homosexualité latent qui règne entre les deux hommes, alors même qu'Allmen se vante avec insistance de ses nombreuses conquêtes féminines).



Bref, de quoi se délasser quelques heures, surtout si on affectionne les fauteuils club, l'odeur du cigare and a cup of tea. Et d'y prendre goût, le cas échéant : à la fin du roman, Allmen se découvre une vocation de détective. "Pourquoi pas", répond laconiquement Carlos.


Allmen et les libellules / Martin Suter (Allmen und die Libellen, 2011, trad. de l'allemand par Olivier Mannoni. Bourgois, 2011)  

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15 avril 2010 4 15 /04 /avril /2010 00:00

Il arrive qu'un roman plein de qualités nous laisse malgré tout un goût d'inachevé. Parfois, c'est l'inverse : convaincant malgré ses défauts. C'est cette impression que me laisse ce polar allemand, premier d'une série mettant en scène le commissaire Gereon Rath.


L'auteur a choisi de situer son récit en 1929, une période-charnière particulièrement mouvementée. Depuis la fin de la guerre, l'Empire a fait place à la République de Weimar. L'Empereur est au placard, le chancelier a pris les rênes. Vive la démocratie et les folles nuits de Berlin ! Alcool, drogue, sexe, p
artout on s'amuse, on swingue, dans les cabarets, les bars, les caves.
C'est Berlin l'excessive, l'interlope, la dépravée. Les lendemains vont déchanter et la gueule de bois sera sévère, mais nous n'en sommes pas encore là.


Le Poisson mouilléLe jeune commissaire Gereon Rath, originaire de Cologne, a été muté à la brigade des moeurs de Berlin suite à une bavure. Un pis-aller, et une seule idée en tête : rejoindre la glorieuse brigade criminelle.
L'occasion se présente quand un cadavre est repêché dans un canal : Rath est le seul à connaître son identité et décide d'enquêter pour son compte, avant que ce cas ne rejoigne les affaires non élucidées, les "poissons mouillés".

Une enquête aux multiples connexions qui le mène dans les bas-fonds de la ville et du côté des ringvereine - des organisations criminelles - et des exilés russes, jusqu'à un mystérieux chargement d'or. 

Arrogant, carriériste, individualiste : Gero Rath est loin d'inspirer la sympathie, chez le lecteur comme chez ses collègues, qui lui reprochent son ambition dévorante et son arrivisme. Tour à tour couvert de gloire et de ridicule, le personnage gagne en épaisseur au fil du roman, sans pour autant se transformer en chevalier blanc (et c'est tant mieux !).


Volker Kutscher est historien, et on pourrait s'attendre à ce qu'il greffe sur une mince trame narrative un ensemble d'observations et de faits historiques. Pas du tout. C'est même le romancier qui se révèle, et nous embarque illico dans cette histoire-fleuve et d'autant plus évocatrice, impossible à lâcher malgré quelques longueurs et une intrigue parfois alambiquée.

Si l'enquête policière prend le pas sur le roman historique, on peut cependant reprocher à Kutscher de jouer au guide touristique et de nous abreuver de repères topographiques (on frôle l'overdose de _strasse et de _platz) alors qu'il aurait pu exploiter encore davantage le contexte socio-historique d'une époque passionnante, point de bascule secoué d'idéologies contraires, où se croisent et s'affrontent malfrats, communistes, anti-staliniens, nationaux-socialistes, miliciens de tous bords, soldats de 14 revanchards et belliqueux, policiers...
 

 

Berlin est alors le théâtre de tensions et d'enjeux politiques très forts. Tandis que les manifestations communistes sont réprimées dans le sang, les groupuscules d'extrême-droite et les SA affutent leurs armes et leur idéologie.
C'est aussi pour ça que Le poisson mouillé reste un très bon roman malgré ses lacunes : parce qu'il montre bien ces équilibres précaires et la façon dont les choses peuvent basculer d'un côté ou de l'autre, tout comme l'affaiblissement des sociaux-démocrates et la montée en puissance des nazis.

 

Des lacunes que Kutscher aura peut-être gommé dans son second roman (en cours de traduction). Toujours est-il que je suis curieux de lire la suite et de voir, notamment, comment va évoluer Gereon Rath. Alors que les policiers de l'Alexanderplatz répètent comme un mantra "faire respecter la loi, faire régner l'ordre" sans vraiment se préoccuper de politique, quels choix fera-t-il lui, à l'orée du nazisme ?


Conseil(s) d'accompagnement : je ne sais pas ce que ça vaut, mais chez 10/18 a paru dernièrement L'homme intérieur d'un dénommé Jonathan Rabb, un roman policier dont l'action se déroule aussi à Berlin en 1929, dans le milieu des studios de cinéma.


Le poisson mouillé / Volker Kutscher (Der nasse Fish, 2007, trad. de l'allemand par Magali Girault. Seuil Policiers, 2010)

 

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4 mai 2009 1 04 /05 /mai /2009 00:00

"Il y a deux choses que les allemands ne savent pas faire : les révolutions et les romans policiers." La boutade serait de l'écrivain britannique George Bernard Shaw.
C'était avant Jacob Arjouni et son privé turc, Pieke Bierman ou Bernard Schlink (avec Brouillard sur Mannheim notamment), mais il est vrai que l'Allemagne n'a pas une grande tradition de polar.

Parmi les rares auteurs traduits en France, on trouve Andrea Schenkel, dont Actes Sud publie ici le second roman. Comme dans le précédent, La ferme du crime, elle s'inspire d'un fait divers : dans les années 30 à Munich, plusieurs jeunes femmes furent sauvagement assassinées par un tueur en série. Ce dernier, prénommé Josef Kalteis, fut finalement arrêté et condamné en 1939.


Ne vous inquiétez pas, je ne dévoile rien qu'on sache déjà après avoir lu la 4ème de couverture ou la première page du roman, qui s'ouvre sur une note du procès expliquant que "la sentence sera exécutée sans délai" et qu'"on évitera toute annonce publique" : "le peuple allemand est sain et doit le rester. (...) Il est intolérable que cet élément asocial ait pu sévir pendant des années dans l'Ouest de Munich et qu'il souille cette ville qui est le berceau du mouvement, et qui est si chère au coeur de notre Führer bien-aimé."
Là on se dit que ça démarre bien et que l'auteur va nous parler de ce petit grain de sable dans la machinerie idéologique nazie. Eh bien non. Soit.

Elle s'attache en fait à retracer le parcours sanglant du meurtrier et les dernières heures de ses victimes, en adoptant successivement le point de vue des témoins, des proches des victimes et des victimes elles-mêmes. Et alors qu'on s'attend à une reconstruction linéaire, elle effectue un compte-à-rebours et remonte dans le temps jusqu'à la première victime, Kathie : c'est elle qui occupe le centre le récit, dont la mort signe à la fois le début du carnage et la fin du roman. Une jeune fille simple, un peu naïve et pleine de rêves qui a fui sa campagne pour découvrir la grande ville et la promesse d'une vie trépidante.


Les témoignages, qui se suivent et se ressemblent, sont entrecoupés par des bribes d'interrogatoires de Kalteis, qui se défend assez mollement et semble peu concerné par le sort réservé aux victimes.
Un peu... comme nous, finalement. Est-ce parce qu'on n'a pas eu le temps de bien la connaître ? En tout cas, je suis resté plutôt insensible à l'histoire de Kathie, que l'auteur s'évertue pourtant à rendre attachante

D'autre part, cette mort programmée désamorce en grande partie la tension du récit. Ce qui n'exclut pas automatiquement une montée dans l'angoisse, me direz-vous. C'est vrai, mais en ce qui me concerne, mon intérêt diminuait à mesure que l'histoire progressait.

Enfin, si la construction du récit est vraiment astucieuse, je regrette que l'auteur ne fasse pas revivre un peu mieux le Berlin des années 30. Elle a peut-être jugé que la folie meurtrière de Keltais était dissociable du contexte, mais il y avait là quelque chose à creuser il me semble, tant l'horreur des crimes - associée à l'imminence de la guerre et à la montée en puissance du IIIème Reich - tranche singulièrement avec l'ambiance festive et insouciante de la capitale bavaroise.


En Allemagne, Un tueur à Munich a obtenu en 2007 le Prix Friedrich Glauser, la plus grande récompense accordée à un roman policier. Quand j'ai lu ça, j'avoue avoir pensé, fielleux : "la concurrence ne doit pas être bien féroce". Vous serez peut-être moins sévère que moi.


Un tueur à Munich : Josef Kalteis /
Andrea Maria Schenkel (Kalteis, trad. de l'allemand par Stéphanie Lux. Actes Sud, Actes noirs, 2009)

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