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15 septembre 2011 4 15 /09 /septembre /2011 00:00
"Puis je compris : j'étais devenu pareil... pareil à Paolino (...) J'avais la même fureur, la même envie de tout casser. Je me remis à pleurer, devant le miroir, comme un minot, à chaudes larmes... nu strunz', un con."

Comme tant d'autres dans o'quartier, Gennaro vit de petits trafics jusqu'au jour où, convoqué par le boss Don Rafele, sa vie prend une autre tournure. Trafics, meurtres, torture : Gennaro n'est pas taillé pour ça - "moi je voulais seulement gagner ma vie."


L'offenseL'ambition de De Filippo n'est pas d'explorer les arcanes de la Camorra, à la manière d'un Roberto Saviano, ni de raconter l'ascension d'un jeune homme dans la hiérarchie mafieuse, mais de montrer comment "le Système" s'empare de lui, le soumet, assèche ses émotions, et combien cet homme, en définitive, interagit avec son milieu.

Ce milieu, c'est un quartier populaire de Naples, où l'ont vit de magouilles et les uns sur les autres dans des logements vétustes, "une enclave dedans la ville. Et après y' avait la ville, avec d'autres gens, d'autres règles, la loi, les immeubles normaux, il y avait l'université, l'école... la mer". Un terrain fertile et une main d'oeuvre inépuisable pour la mafia. Cette réalité, Gennaro ne la perçoit que confusément ("je ne comprends rien" répète-il plusieurs fois au cours de son récit) et même, ne se considère pas véritablement comme un camorriste avant que sa femme, excédée, ne lui ouvre les yeux.

A ce moment, la conscience alourdie par la mort d'un gosse ou l'innocence bafouée d'une pute, en proie au doute et à la culpabilité, il a encore le choix : se sauver ou devenir un autre Paolino, ce "fou criminel" qui l'a pris sous son aile. Mais comment déserrer l'étau de la Camorra ? Le dénouement, un peu faible, laisse entendre que la famille et l'amour des siens suffiront. Optimisme discutable.


L'ambition (réussie) de l'auteur passe aussi par la langue, une narration à la première personne*, dans un mélange d'italien et d'argot napolitain (excellemment rendu dans la traduction) : De Filippo se glisse habilement dans la peau de son personnage, sans qu'on voit jamais son ombre, ou presque
. Tout ce que nous voyons, nous le voyons à travers le regard de Gennaro. C'est à travers, et seulement à travers sa parole que le lecteur suit et reconstitue les événements, en s'arrangeant des digressions, des ellipses voire des moments de confusion du narrateur.

C'est aussi à travers Gennaro que l'auteur nous montre comment la camorra, cette séculaire et prospère organisation, a élargi ses activités à l'international (drogue, prostitution) et investi dans des secteurs légaux (l'immobilier, par exemple). Comment elle a atteint un tel degré de toxicité : en charge de la gestion des déchets, elle pollue les sols et la baie de Naples, comme elle pollue les consciences. Comment elle a infesté les institutions et comment rien d'important ne se décide sans elle.
Pire : ce que laisse entrevoir L'Offense, c'est que la Camorra, de bien des manières, est l'institution. La norme. C'est sans doute ce qui effraie le plus, plus encore que l'extrême violence dont elle use pour asseoir son pouvoir.


L'Offense / Francesco De Filippo (Sfregio, 2006, trad. de l'italien par Serge Quadruppani. Métailié, Noir, 2011)


* le premier roman de l'auteur traduit en français, Le naufrageur, utilise le même procédé narratif et raconte sensiblement la même histoire - un jeune albanais se retrouve sous les ordres d'un chef de la mafia.
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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 00:00

"Et le théâtre de la peur aurait mis en scène sa farce travestie en tragédie sous les applaudissements crépitant du monde entier".

Si ces deux romans de l'auteur de Romanzo Criminale ont pour toile de fond le terrorisme - ou plutôt le terrorisme comme arme de manipulation massive
-, ils jouent sur deux registres différents, l'un sur le mode intimiste, l'autre (co-écrit avec le scénariste Mimmo Rafele) multipliant personnages, complots et ramifications occultes.


La forme de la peurSuite à l'assassinat de son ami et collègue Dantini, Lupo, un policier chevonné des Affaires internes, enquête discrètement sur une bande de flics ripoux de la brigade anti-terroriste, à la solde du "Commandant", homme d'influence et stratège d'une guerre perpétuelle contre les homosexuels, les arabes, les Noirs, les droits-de-l'hommiste et tutti quanti. Autant d'obstacles à la suprématie de la race blanche et de la civilisation occidentale. 
Parmi eux se trouve Marco Ferri, un ancien protégé de Dantini, ex-hooligan plein d'une violence latente. 


Eternelle histoire du Bien contre le Mal, habilement construite mais plutôt schématique ici - gentils démocrates vs méchants idéologues et brutes épaisses -, même si certains personnages ne manquent pas d'intérêt ni de nuances, au premier rang desquels Marco, un de ces "tendres assassins au milieu du gué" dont on se demande de quel côté il va finalement pencher ; ou le caustique et clairvoyant Lupo, figure morale qui doit malgré tout composer avec ses principes.


Au-delà de l'intrigue et des protagonistes, le grand intérêt de ce livre réside dans la mise à jour des forces antagonistes et occultes qui s'affrontent jusqu'au sein même de l'Etat, et surtout, dans la réflexion sur la façon dont le terrorisme islamique peut servir d'outil d'instrumentalisation des populations : la stratégie de la peur comme politique de gouvernance et de sujétion, synonyme par ailleurs d'intérêts économiques et de restriction des libertés individuelles.

Le sujet est passionnant, mais on garde malheureusement une impression d'inachevé. Non pas que les auteurs tombent dans le roman à thèse paranoïaque (de toute façon, il suffit de se rappeler la mise en scène des américains à propos des soi-disants armes chimiques irakiennes et la campagne de désinformation qui a suivi), mais on ne les sent pas non plus en mesure de dépasser le stade de la dénonciation ou d'étayer plus clairement leur raisonnement.


Enfin, le roman souffre à mon sens de tournures parfois maladroites ou verbeuses - dues à l'écriture à quatre mains ? - et d'un enrobage de marivaudage relativement incongru.

Des défauts qui ne font pas pour autant de La forme de la peur un mauvais roman, loin de là, mais pour faire une comparaison, Saturne de Serge Quadruppani - justement le traducteur de ce livre -, qui aborde des thématiques semblables, est beaucoup plus convaincant.





Le père et l'étranger
Moins sinueux, moins ambitieux peut-être, Le père et l'étranger me semble néanmoins plus harmonieux, en tout cas plus abouti. Un court et beau roman sur l'altérité.


Au centre de soins pour enfants gravement handicapés où Diego emmène son fils Giacomo chaque semaine, il rencontre Walid, père du jeune Yussuf. Un homme affable, réservé et énigmatique. Les deux hommes se lient d'amitié, jusqu'au jour où Walid disparaît sans laisser de trace et qu'un mystérieux homme de l'ombre accuse le fugitif d'être un dangereux terroriste et ne demande à Diego de collaborer.

Abasourdi, démuni, sans nouvelles de son ami, son alter-ego, depuis plusieurs mois, Diego se replie sur lui-même, avant de finalement se lancer à sa recherche.

De ce jeu-là - soupçons de menace terroriste, manoeuvres en sous-main -, on ne saura quasiment rien, aussi peu au fait que Diego, simple quidam balotté par les événements - lecteur décentré déchiffrant entre les lignes, au mieux, ce qu'il ignore. 

La guerre des civilisations n'aura pas lieu
Peu importe, l'essentiel est ailleurs, dans cette relation entre les deux hommes, l'italien et l'arabe, où se mêlent loyauté, reconnaissance mutuelle, respect, et cette souffrance partagée du parent pour l'enfant malade, l'enfant différent. Un autre "étranger", lui aussi objet de crainte et de préjugés.


Au final, si les deux romans se font écho, tels l'envers et l'endroit d'un même décor, j'ai préféré pour ma part l'atmosphère tamisée de l'un à la lumière crue (mais inégale) de l'autre.



La forme de la peur (La forma della paura, 2009, trad. de l'italien par Serge Quadruppani. Métailié, Noir, 2011)
Le père et l'étranger (Il padre e lo straniero, 2004, trad. de l'italien par Gisèle Toulouzan et Paola De Luca. Métailié, Suite italienne, 2011)

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13 janvier 2011 4 13 /01 /janvier /2011 00:00

Que diriez-vous d'un peu de légèreté, de soleil, de galéjade, de quoi oublier un moment vos tracassins ou l'hiver qui n'en finit pas ? Alors la compagnie de Montalbano me semble toute indiquée.



La piste de sableEn s'aréveillant ce matin-là, le commissaire Salvo Montalbano découvre sur la plage devant chez lui... un cheval mort. La bête, couverte de sang, a été cruellement battue à coups de barres de fer. Le temps d'appeler ses collègues, la carcasse a disparu !


Révolté par le martyre de l'animal, Salvo tient absolument à éclaircir ce mystère (son cheval de bataille, si j'ose dire...), et commence à fouiner du côté des courses clandestines et d'un monde équestre qui lui est totalement inconnu, où frayent ensemble parieurs, nobles, hommes d'affaires et... belles cavalières. La mafia, elle, n'est jamais très loin.

Pendant ce temps, des individus se mettent à le surveiller et à pénétrer chez lui comme bon leur semble, retournant tout mais ne volant rien. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien chercher ? Le dottori ne voit pas. A moins que le Dr Pasquano ait raison et que sa mémoire, avec l'âge... A moins que tout se mélange dans sa coucourge et qu'il ait des oeillères...



Qu'est-ce qui fut de neuf à Vigata ? Rien que du vieux !  Les tergiversations amoureuses du vieillissant mais toujours sémillant Montalbano, ses "relaxantes engueulades nocturnes" avec Livia, le baragouinage de Catarella ("Absentement manquants ils sont, dottori"), les petits plats d'Adelina, la mer, cette Sicile si théâtrale et contrastée...

Et cette langue mista de Camilleri, mélange savoureux d'italien et de dialecte sicilien truffé d'expressions régionales locales, encore une fois excellemment rendue par la traduction de Serge Quadrupanni.

Et le charme est toujours là, on ne se lasse pas de Montalbano, à moins de se lasser du soleil, de la bonne chère, de la belle chair, et des bons romans policiers. De la vie, quoi...


La piste de sable / Andrea Camilleri (La Pista di Sabia, 2007, trad. de l'italien (Sicile) par Serge Quadruppani. Fleuve Noir, 2011)

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3 août 2010 2 03 /08 /août /2010 00:00

"...ce rêve étrange et pénétrant / D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime / Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même / Ni tout à fait une autre..." (Paul Verlaine)


De retour, et pour commencer la moisson estivale, voilà une Rumba sensuelle, rythmée et délicieusement surannée, publiée aux éditions Anacharsis par un certain Alberto Ongaro, romancier touche-à-tout et scénariste de bandes-dessinées vénitien né en 1925, qui fut longtemps le complice d'Hugo Pratt. 


Rumba"Evidemment, Huston n'était pas son nom. Puisqu'il était dépourvu d'un nom dont il pût tirer vanité, Huston s'était donné son nom tout seul après avoir vu un vieux film de John Huston, Le Faucon maltais, un film des années 40 qui lui avait paru être le plus beau film qu'il eût jamais vu ou qu'il verrait jamais. L'alchimie produite par la photo en noir et blanc, par le jeu entre Humphrey Bogart, Sydney Greenstreet et Peter Lorre et par le sentiment de défaite, de perte inéluctable qu'on tirait de l'intrigue, l'avait à ce point fasciné qu'il en était comme imprégné et que l'on en retrouvait des traces dans ses livres, fréquemment situés dans le milieu des perdants et dans les années quarante."

Enfant illégitime, John B. Huston a grandi dans un pensionnat religieux, "occupant son temps à rêver de tuer les soeurs les unes après les autres". Ce fut justement l'une d'elle, la seule à trouver grâce à ses yeux, qui lui suggérât "de donner corps à ses envies criminelles sans pour autant devenir un assassin". C'est ainsi que Huston trouva sa vocation : écrire des romans policiers.


Lorsqu'un ami d'enfance, récemment sorti de prison, lui demande son aide pour élucider le meurtre de Cayetana Falcon Laferrere, une femme dont il est tombé éperdument amoureux quelques années plus tôt, Huston - y voyant aussi quelque matériau pour un futur roman - va jouer les détectives privés et se coltiner, des bas-fonds de Rio à la haute société brésilienne des années 50, quelques personnages pour le moins équivoques : un milliardaire libidineux aux nerfs fragiles, un tueur à gages s'abritant derrière un costume de lin blanc, un avocat à la réputation douteuse et puis... et puis une pléïade de femmes fatales, suaves et subtilement provocantes.

En plusieurs endroits, une chanson lui revient aux oreilles, comme un choeur ou un refrain, une rumba lancinante et mélancolique qui semble relier entre eux chacun des protagonistes.



Comme dans les grands romans noirs, l'enquête sert de prélude à la quête. Quête de soi, quête amoureuse, quête de sens, quête excitante et vaine d'un faucon maltais (quel qu'il soit) douloureusement inaccessible, ici celle d'une femme inconnue, d'une morte amoureuse, mystérieuse et fascinante, qui éveille chez Huston des émotions inédites, sans que jamais ne le quitte ce "fond de tristesse" (Huston est d'ailleurs plus proche d'un Philip Marlowe que d'un Sam Spade), cette saudade qui imprègne tout le roman.

Ongaro s'empare des clichés et des codes du hard-boiled, s'en amuse et s'en délecte - le lecteur aussi - et livre un vibrant hommage au roman noir de Chandler et d'Hammett, mais son texte n'a pas pour autant l'aspect un peu clinique, artificiel de ce type d'exercice (de style) : cette Rumba brille aussi par une intrigue savamment sinueuse, l'élégance de son style et une pointe d'exotisme.

L'une des belles découvertes de l'année.


Rumba / Alberto Ongaro (Rumba, 2003, trad. de l'italien par Jean-Luc Nardonne et Jacqueline Malherbe-Galy. Anacharsis, 2010)

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16 février 2010 2 16 /02 /février /2010 12:08

J'avais déjà eu l'occasion ici de vous parler de l'italien Piergiorgio Di Cara, à propos de son dernier roman Verre froid et du personnage de Salvo Riccobono, flic à la brigade anti-mafia de Palerme et "double" de l'auteur.

Dans ce nouveau roman, on croise bien Riccobono dans les couloirs de la questure, et l'ombre de Cosa Nostra plane comme une chape de plomb, mais on a changé de service et fait connaissance avec Pippo Randazzo et son équipe, de la criminelle.


Di CaraRandazzo, la trentaine plus ou moins célibataire, est issu d'une famille bourgeoise - un père ancien député de gauche, qui "avec le massacre de l'opération Mains propres (...) a réussi à traverser l'océan de merde en restant propre" - aurait pu être rentier ou haut-fonctionnaire, mais il a choisi d'être flic. Pas par vocation, mais plutôt par un concours de circonstances, un concours d'inspecteur en l'occurence. Pour le moment, ça lui convient, il verra plus tard si...

Une mère de famille sans histoires vient d'être torturée et battue à mort à son domicile. L'enquête est au point mort. Seule piste : une série d'appels anonymes reçus par le mari.

Les procédures se mettent en place - écoutes, filatures, interrogatoires... - et les méninges aussi. Randazzo et ses collègues échafaudent, vérifient, confrontent, s'enlisent et s'extirpent tour à tour dans une affaire aussi banale que sordide.


Un artiste a eu beau installer une inscription géante "HOLLYWOOD" sur la montagne qui domine Palerme, on n'est pas dans un film. Pas d'effets spéciaux chez Di Cara, mais un souci de réalisme, en ce qui concerne notamment le métier de policier : des tonnes de paperasse et de formulaires, un travail d'investigation lent et fastidieux, et surtout un travail d'équipe. Oubliez les courses-poursuites, les fusillades et les héros, chez Di Cara il n'y a que des hommes qui font simplement leur boulot, et ont une vie après ce boulot... quand ils ne sont pas rappelés en catastrophe !

Les personnages sont d'ailleurs bien croqués - dans leurs manies, leur façon de s'exprimer, leurs relations avec leurs collègues ou leurs proches -, l'intrigue convaincante, et j'aime aussi la façon dont Di Cara parle de sa ville et lui donne vie.


Malgré tout, je suis resté un peu sur ma faim. Même si j'ai passé un bon moment, même si je n'ai pas grand-chose à reprocher à ce polar, sinon un manque de tension dramatique (comme au cinéma ?!) et un Pippo Randazzo qui n'a pas (encore ?) l'épaisseur d'un Salvo Riccobono.

Mais peut-être cela viendra-t-il, et j'irai même vérifier car Di Cara a, de toutes façons, piqué ma curiosité.


Un autre avis sur actu-du-noir.


Hollywood Palerme
/ Piergiorgio Di Cara (Hollywood, Palermo, 2005, trad. de l'italien par Hervé Denès. Métailié, Noir, 2010)

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20 janvier 2010 3 20 /01 /janvier /2010 00:00

Les habitudes, ça a parfois du bon.
En janvier ou février de chaque année, on a droit à notre p'tit Camilleri ! Et au coeur de l'hiver, ça réchauffe toujours le corps - et le coeur - de faire une petite virée littéraire en Sicile, en compagnie de ce cher Montalbano.


Les ailes du sphynx"Mais où donc étaient passés ces petits matins quand, à peine aréveillé, on se sentait traversé d'une espèce de courant de bonheur pur, sans motif ?" se demande t-il. Le poids des ans s'apitoie Montalbano n°1. Foutaises répond Montalbano n°2, présente ta démission ou "alors lève-toi, va besogner et casse pas les burnes".

Montalbano finit par se lever, aidé par le coup de téléphone de son collègue Catarella ("Ah, dottori, dottori !"), pour se retrouver sous la pluie-près d'une décharge sauvage-face au corps d'une jeune femme, jeté là comme un vulgaire détritus. Nue, défigurée par une balle de gros calibre, un papillon tatoué sur l'omoplate.

Personne ne sait encore son nom, mais il s'agirait d'une immigrée russe, employée par l'association La Bonne Volonté, qui s'occupe de ramener dans le giron du Seigneur les brebis égarées et de leur confier des tâches domestiques dans diverses maisons. De bonne volonté, les responsables de la dite association n'en montrent guère face aux questions du commissaire, qui du coup les suspecte d'avoir pris quelques libertés avec l'adage "charité bien ordonnée commence par soi-même".

Une piste intérressante, seulement... nous sommes en Sicile. Un pays qui marche sur la tête, un pays où il est impossible de mener une enquête à son terme dès lors qu'elle implique un politicien, un ecclésiastique, un notable... La pression est trop forte, les accointances trop anciennes.
Et puis, de manière générale, les moyens mis à la dispositions des policiers - comme des autres administrations - sont ridicules : "Les commissariats n'avaient pas d'essence, les tribunaux n'avaient pas de papier, les pitaux n'avaient pas de thermomètre, et en attendant, au gouvernement moribond, ils pensaient au pont sur le détroit de Messine".


On ne peut pas dire que ça va fort pour Montalbano !
Entre les chausse-trappes de l'enquête, ses démêlés amoureux avec Livia, sa compagne de toujours, et le questeur qui le harcèle à propos d'un mari volage soi-disant kidnappé, c'est tempête sous un crâne ! Des rafales de doutes et de questions existencielles, mais fort heureusement notre homme n'a pas perdu son insatiable 'pétit, et trouve toujours un petit moment pour aller se revigorer à la trattoria du coin, en dégustant quelques rougets grillés (côté petits plats, on a même droit dans ces pages à la recette détaillé de la 'mpanata de cochon !).
Et on s'attache de plus en plus à ce bonhomme, débordant de nonchalance, d'humanité, d'auto-dérision, aussi maladroit en privé qu'affûté dans son travail.


Toujours aussi gouailleur, drôle, théâtral, Camilleri ne se prive pas par ailleurs d'épingler les travers de cette société sicilienne, et d'autant plus qu'il y est profondément, viscéralement attaché.

On sait qu'il a déjà écrit la dernière aventure - funeste - de son personnage, qui sera publiée après sa mort. D'ici là, pourvu qu'on ait encore quelques tranches de Sicile à la Montalbano, si fines et savoureuses !
Une bonne habitude, vous dis-je.


Les ailes du sphynx / Andrea Camilleri (Le alli della sfinge, 2006, trad. de l'italien (sicile) par Serge Quadruppani. Fleuve noir, 2010)

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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 00:00
"Mais comment était-elle faite, cette femme ? Comment se faisait-il qu'à peine il s'était forgé une conviction sur sa femme, il lui suffisait d'un geste pour l'envoyer en l'air ?"


Mmmh, j'ai pensé un moment mettre un simple lien vers Actu-du-noir, où JM Laherrère dit tout ce qu'il faut et comme il faut du nouveau roman d'Andrea Camilleri. Mais ce serait un peu court de ma part, alors je vais quand même y consacrer quelques lignes en m'efforçant de ne pas trop paraphraser mon collègue !

On dit parfois d'un écrivain qu'il "a un style". Les plus honnêtes - ou les moins vaniteux - vous répondront que c'est d'abord l'histoire qu'on veut raconter qui conditionne le "style" et donc le choix des mots, du ton, de la syntaxe.

Comme le démontre ici Camilleri qui délaisse sa verve coutumière et son dialecte "montalbanesque" pour nous introduire, avec une langue dépouillée, toute en effleurements, dans le cocon douillet d'une maison bourgeoise, où règne la même sobriété et la même retenue.

Les habitudes ont la vie dure, et ce jour-là notre homme - dont on n'apprendra jamais le nom - se lève à 6h, enfile son costume et noue sa cravate. Son chauffeur l'attend, afin de l'emmener comme tous les jours à la banque, dont il est le directeur. 
Seulement, le voilà depuis ce matin à la retraite, ce qui le laisse démuni et vaguement désorienté, après une vie réglée comme une horloge.

Dix ans auparavant, il a épousé en secondes noces une femme superbe et beaucoup plus jeune que lui, dont la soif de reconnaissance sociale n'égale que son appétit sexuel. Un appétit comblé par des amants de passage avant que ne s'installe directement sous le toit conjugal un lointain cousin. Une situation que la mari accepte avec philosophie, se contentant de l'affection que ne manque pas par ailleurs de lui témoigner Adèle. S'il l'aime profondément, cette femme demeure malgré tout une énigme à ses yeux, tantôt sainte tantôt putain.


Et en effet, on ne parvient jamais à déceler véritablement la nature de cette trouble héroïne. Une fois même le roman terminé, nous voilà partagé, tout comme l'époux, entre le regret de l'avoir mal considérée et une suspicion tenace - quel rôle a t-elle véritablement joué dans la déchéance de son époux ?

Mais les murs (siciliens, de surcroît) de cette maison bourgeoise, où glissent comme des fantômes les domestiques affairés, sont sûrement trop épais pour laisser percer la vérité. Tout y est tu, étouffé, soigneusement dissimulé sous des apparats de respectabilité. Peut importe même qu'on s'associe à quelque entreprise mafieuse, pourvu que les apparences soient sauves...


Une fois de plus, chapeau bas, signore Camilleri. Le tailleur gris, plutôt cintré (130 pages), coupe classique coupé droit, ne manque ni d'élégance, ni de finesse, ni... de style.


Conseil(s) d'accompagnement : l'émission Métropolis, sur Arte, a diffusé le week-end dernier un reportage sur l'écrivain.


Le tailleur gris / Andrea Camilleri (Il tailleur grigio, 2008, trad. de l'italien par Serge Quadruppani. Métailié Noir, 2009)
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23 mai 2009 6 23 /05 /mai /2009 00:00

J'ai eu l'occasion de parler ici du précédent roman de Perissinotto, A mon juge, un "polar épistolaire" très réussi. Malheureusement, je ne peux pas en dire autant de cette petite histoire sordide qui me déçoit d'autant plus que cet auteur nous avait habitués à bien mieux.


Commençons par l'histoire, abracadabrantesque comme dirait l'autre : sur les conseils d'un ami, Benedetta Vitali, une riche bourgeoise milanaise, charge Anna Pavesi de retracer les derniers jours de sa demi-soeur, qu'elle n'a pas connue. Elle voudrait aussi retrouver son cadavre, pour le faire enterrer dans le caveau familial. Ah oui, j'ai oublié de vous dire : ce dernier a mystérieusement disparu entre la morgue et le cimetière. 

Anna n'est pas détective mais psychologique. Tant pis ! Elle accepte malgré tout, afin de renflouer son compte en banque.

Bon, certains auteurs tricotent avec talent des scénarios bien plus fantaisistes, mais ici ça ne marche pas. L'entrée en matière et la mise en place des différents éléments de l'intrigue est poussive et maladroite.
Le reste du récit, dénué de la moindre tension dramatique, est truffé d'invraisemblances et de raccourcis tout aussi improbables, derniers recours d'un auteur qui semble bien empêtré dans cette histoire à dormir debout.

Et que dire de l'héroïne-narratrice, Anna Pavesi ? Récemment séparée, elle promulgue à son chat la tendresse qu'elle ne peut plus témoigner à son ex. C'est tout ? Non, mais son auto-analyse perpétuelle, son auto-apitoiement chronique et ses errements amoureux m'ont profondément ennuyé, d'autant plus qu'ils n'apportent rien au récit et ne parviennent même pas à donner un semblant d'épaisseur au personnage. Un personnage qu'on pourrait bien retrouver, comme le laisse entendre l'auteur à la fin du roman. Bon...

Les apparences même ne sont pas sauvées : la prose plutôt plaisante d'A mon juge s'est transformée ici en une espèce de bavardage pontifiant et laborieux, rythmé par une profusion de points d'exclamations (on dirait du mauvais théâtre) et de considérations oiseuses.

J'attendais un ristretto bien corsé, j'ai avalé - de travers - de l'instantané. Insipide et instantanément oublié.


Une petite histoire sordide / Alessandro Perissinotto (Una piccola storia ignobile, trad. de l'italien par Patrick Vighetti. Gallimard, Série Noire, 2009)
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2 mars 2009 1 02 /03 /mars /2009 09:55
Après Joseph Bialot, un peu de légèreté... On quitte le Berlin des années 40 et des morts-vivants pour la Sicile, écrasée par un soleil de plomb en ce mois d'août, et ce cher dottore Montalbano, bon vivant impénitent et bonhomme ô combien attachant !
Si c'est en hiver que les jours rallongent, c'est en hiver aussi qu'on a droit, comme chaque année, à notre petite escapade sicilienne. Un avant-goût des beaux jours à venir, quelques minutes d'ensoleillement supplémentaires. Et ça fait sacrément du bien !


Sur ordre de sa chère et tendre Livia, Montalbano a dû dénicher en catastrophe une villa en bord de mer pour un couple d'amis et leur jeune (et insupportable) garçon. Mission réussie, sauf que les incidents vont se multiplier, entre l'invasion de cafards puis de souris, la disparition soudaine de l'enfant et, finalement, la découverte d'un cadavre dans le sous-sol "caché" de la maison (sport national en Sicile : dissimuler un étage lors d'une construction pour contourner un permis de construire trop restrictif, et entamer ensuite une procédure de régularisation !).

S'en suivent les interrogatoires des témoins de l'époque et la sinueuse reconstitution des événements, le tout par une chaleur assommante qui semble d'ailleurs émousser - à moins que ce ne soit la lassitude ou l'âge - quelque peu la vivacité d'esprit de Montalbano, plus prompt à aller piquer une tête, déguster une caponata arrosée d'un blanc bien frais ou se mettre en caleçon pour supporter la canicule...

A l'enquête vient s'ajouter une seconde affaire à propos d'un accident mortel sur un chantier de construction. L'occasion pour Camilleri de dresser un constat accablant des magouilles politico-mafieuses de l'île, du cynisme et de l'impunité des puissants, de la justice moribonde. Jeux d'alliances et d'influence forment un véritable système, et ce n'est pas un simple accident qui peut changer la donne, surtout quand la victime n'est qu'un immigré de passage !


Si ce n'est peut-être pas le meilleur de la série, on ne se lasse pas des aventures - plus que des enquêtes - de Salvo Montalbano, comme on se lasse pas d'entendre les pépites linguistiques du collègue Caratella et les répliques savoureuses qui émaillent chaque dialogue.
Une vraie Commedia dell'Arte, légère et rafraîchissante !

Surtout, qu'est-ce qu'on rigole ! Pas de demi-sourire, non, ni ce petit rire bref en point d'exclamation, mais un gros rire franc avec les dents ! Alors on pose le bouquin, le temps de se marrer un bon coup, en s'imaginant la scène et en riant de plus belle. Ce qui n'est quand même pas si courant, surtout avec le roman noir.

Décidément, on devrait toujours avoir un Camilleri/Montalbano sous la main !


Et puis, une fois de plus, il faut noter l'excellent travail de Serge Quadruppani. Ses traductions dans l'esprit de "l'italien sicilianisé" sont de véritables performances.

Enfin, ne manquez pas la belle interview de l'auteur sur Polar blog. Où l'on apprend notamment, que Montalbano va disparaitre pour de bon, dans un ultime roman que Camilleri a déjà écrit et qui sera publié après sa mort. On lui souhaite longue vie...


Un été ardent / Andrea Camilleri (La Vampa d'Agostc, 2006, trad. du sicilien par Serge Quadruppani avec l'aide de Maruzza Loria. Fleuve Noir, 2009)

PS : Pour les fans absolus de Montalbano, une idée de vacances ici !
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28 octobre 2008 2 28 /10 /octobre /2008 00:00

"S'il y a quelque chose qui ne va pas, c'est que ce sont toujours les plus faibles qui trinquent ; ceux qui sont obligés de laisser les autres leur marcher dessus ; ceux qui n'ont pas encore compris que les ongles servent à rester accroché à la vie, ceux qui ont des griffes encore peu robustes et peu pointues. Comme le petit Claudio."

J'ai déjà eu l'occasion de mentionner Loriano Macchiavelli, et son précédent roman traduit en France, Bologne ville à vendre. On peut rappeler quand même qu'il fait partie des précurseurs du roman noir italien et a influençé nombre d'auteurs, parmi lesquels Massimo Carlotto qui se considère lui-même comme son "fils".


nullDerrière le paravent n'est pas vraiment une nouveauté : inédit en France, il est paru en Italie il y a une trentaine d'années déjà.
Ce qui n'enlève rien à la qualité du texte ni à la pertinence du propos. 
Un petit bonus : cette édition est accompagnée d'une préface de l'auteur, qui remet le roman dans son contexte socio-historique.
Il évoque notamment le Pilastro, ce quartier de la banlieue de Bologne, qui est au coeur même du roman. Un ghetto où semble échouer toute la misère du monde et où il est parfois plus difficile de lutter contre les préjugés que contre la misère (le "kärcher" n'est d'ailleurs d'aucune utilité...).

Des préjugés, le sergent Sarti Antonio en a aussi, qui vient juste d'être affecté aux rondes de nuit dans ce quartier de grande pauvreté et de petits trafics.
Après le meurtre du petit Claudio, qu'il avait pris sous son aile, il s'obstine à retourner tout le quartier, submergé par la colère et le dépit, convaincu que le coupable s'y trouve. Le meurtre a bien eu lieu au Pilastro, non ? La méfiance et la répulsion instinctives qu'éprouve Sarti Antonio à l'égard de ses habitants vont l'aveugler, jusqu'à ce qu'il regarde derrière le paravent, et découvre que les apparences sont parfois trompeuses.


Ca fait plaisir de retrouver Sarti Antonio, notre policier, comme se plait à l'appeler l'auteur. Moins coléreux que bougon, moins ridicule qu'émouvant, moins résolu qu'entêté, Sarti n'est pas un policier ordinaire. Plutôt un Socrate moderne, qui aurait même trouvé sa Pythie, en la personne de Rosas, clochard céleste et philosophe, éternel compagnon de notre policier qui vient chercher chez lui quelques oracles quand l'écheveau de l'enquête se fait trop compliqué. 

Une chose à savoir, pour finir : l'auteur lui-même fait souvent irruption dans le récit, se met en scène, interpelle son personnage, le suit, littéralement, le questionne, prenant parfois le lecteur à témoin. Ces interventions peuvent déconcerter au premier abord. Pour ma part, je m'y suis habitué assez vite - d'autant plus que Macchiavelli se montre affectueux et complice à l'égard de son (anti-)héros - mais vous serez peut-être seulement agacé par ces intrusions intempestives. A vous de voir.


Derrière le paravent / Loriano Macchiavelli (Passato, presente e chissà, trad. de l'italien par Laurent Lombart. Métailié, coll. Noir, 2008)

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