Comme tant d'autres dans o'quartier, Gennaro vit de petits trafics jusqu'au jour où, convoqué par le boss Don Rafele, sa vie prend une autre tournure. Trafics, meurtres, torture : Gennaro n'est pas taillé pour ça - "moi je voulais seulement gagner ma vie."

Ce milieu, c'est un quartier populaire de Naples, où l'ont vit de magouilles et les uns sur les autres dans des logements vétustes, "une enclave dedans la ville. Et après y' avait la ville, avec d'autres gens, d'autres règles, la loi, les immeubles normaux, il y avait l'université, l'école... la mer". Un terrain fertile et une main d'oeuvre inépuisable pour la mafia. Cette réalité, Gennaro ne la perçoit que confusément ("je ne comprends rien" répète-il plusieurs fois au cours de son récit) et même, ne se considère pas véritablement comme un camorriste avant que sa femme, excédée, ne lui ouvre les yeux.
A ce moment, la conscience alourdie par la mort d'un gosse ou l'innocence bafouée d'une pute, en proie au doute et à la culpabilité, il a encore le choix : se sauver ou devenir un autre Paolino, ce "fou criminel" qui l'a pris sous son aile. Mais comment déserrer l'étau de la Camorra ? Le dénouement, un peu faible, laisse entendre que la famille et l'amour des siens suffiront. Optimisme discutable.
L'ambition (réussie) de l'auteur passe aussi par la langue, une narration à la première personne*, dans un mélange d'italien et d'argot napolitain (excellemment rendu dans la traduction) : De Filippo se glisse habilement dans la peau de son personnage, sans qu'on voit jamais son ombre, ou presque. Tout ce que nous voyons, nous le voyons à travers le regard de Gennaro. C'est à travers, et seulement à travers sa parole que le lecteur suit et reconstitue les événements, en s'arrangeant des digressions, des ellipses voire des moments de confusion du narrateur.
C'est aussi à travers Gennaro que l'auteur nous montre comment la camorra, cette séculaire et prospère organisation, a élargi ses activités à l'international (drogue, prostitution) et investi dans des secteurs légaux (l'immobilier, par exemple). Comment elle a atteint un tel degré de toxicité : en charge de la gestion des déchets, elle pollue les sols et la baie de Naples, comme elle pollue les consciences. Comment elle a infesté les institutions et comment rien d'important ne se décide sans elle.
Pire : ce que laisse entrevoir L'Offense, c'est que la Camorra, de bien des manières, est l'institution. La norme. C'est sans doute ce qui effraie le plus, plus encore que l'extrême violence dont elle use pour asseoir son pouvoir.
L'Offense / Francesco De Filippo (Sfregio, 2006, trad. de l'italien par Serge Quadruppani. Métailié, Noir, 2011)
* le premier roman de l'auteur traduit en français, Le naufrageur, utilise le même procédé narratif et raconte sensiblement la même histoire - un jeune albanais se retrouve sous les ordres d'un chef de la mafia.