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17 août 2011 3 17 /08 /août /2011 00:00

Publié dans la nouvelle collection Robert Pépin présente de Calmann-Levy (l'historique éditeur de Connelly ayant quitté Seuil Policiers), le premier roman du sud-africain Roger Smith nous convie à un chassé-croisé effréné dans les rues du Cap, mettant aux prises quatre hommes :

Jack Burn est un ancien soldat américain ayant fui les Etats-Unis avec femme et enfant après s'être laissé entraîné dans une vilaine affaire ; Benny Mongrel, ex-taulard et membre d'un gang, s'est juré de changer de vie et vivote comme gardien de chantier ; l'adipeux inspecteur Gatsby Barnard, pourri jusqu'à la mœlle, règne depuis des lustres sur les bas-quartiers des Flats ; tandis que Disaster Zondi, un super-flic venu de Johanesburg, a juré de le faire tomber.


mélanges de sangsNous baladant d'un bout à l'autre du Cap, Roger Smith donne à voir une ville contrastée - entre affluence touristique et recrudescence des gangs -, s'attardant particulièrement sur la zone des "Flats", un gigantesque township s'étendant sur la plaine à l'est du Cap où se déploient une misère et une violence extrêmes.

Cependant la dimension sociétale et ethnique (discrètement introduite par la distribution des rôles : un yankee, un métis, un boer, un zoulou) demeure en arrière-plan, Roger Smith privilégiant l'action et la vitesse d'exécution. Situations et rebondissements s'enchaînent à vive allure tandis qu'on passe prestement d'un personnage à l'autre - la multifocalisation servant moins à offrir différents points de vue sur la nation arc-en-ciel qu'à imprimer un rythme ultra-rapide au récit.

Plutôt faible dans sa peinture de l'Afrique du Sud d'aujourd'hui, malgré un effort louable, le roman vaut surtout par la quête improbable que mène chacun des protagonistes pour sa propre rédemption, que ce soit Barnard le fanatique mystique, Burns et ses errements passés, ou Mongrel qui aspire plus simplement à une forme de paix intérieure et finira par gravir la Montagne (celle de la Table).


Au final, Mélanges de sangs s'avère un polar bien ficelé et entraînant, heureusement dénué de bons sentiments et ne cédant pas au happy-end lénifiant. De là à considérer Roger Smith comme une nouvelle voix du polar sud-africain, il y a une marge : s'il maîtrise son sujet, il ne possède pas (encore) la hauteur de vue d'un Louis-Ferdinand Despreez, voire d'un Deon Meyer.


Mélanges de sangs / Roger Smith (Mixed Blood, 2009, trad. de l'anglais (Afrique du Sud) par Mireille Vignol. Calman-Levy, Robert Pépin présente..., 2011)

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12 février 2010 5 12 /02 /février /2010 00:00

"Si vous ne vous intégrez pas, personne ne le fera pour vous. C'est ça le problême avec ce pays, tout le monde se plaint, personne ne veut rien faire, personne ne veut oublier le passé." 

Hier, l'Afrique du sud fêtait l'anniversaire de la libération de Nelson Mandela - le 11 février 1990. "Madiba" avait mené dans les années 90 un processus de réconciliation nationale qui a porté ses fruits. Mais des problèmes demeurent : criminalité, pauvreté, sida, tensions inter-ethniques.

Pour s'en rendre compte, on peut ouvrir un livre d'histoire. On peut aussi ouvrir un polar de Deon Meyer, un auteur aujourd'hui incontournable.


13heuresOn avait fait connaissance avec l'inspecteur Benny Griessel dans Le Pic du diable. Alcoolique, au fond du gouffre. Sa femme l'avait jeté dehors. Règle tes problèmes, après on verra. Benny a bientôt purgé sa peine : six mois d'exil hors du foyer conjugal, six mois d'abstinence, à peine un accroc extra-conjugal. Ce soir il a rendez-vous avec Anna, quelle va être la sentence ?

Mais pour le moment il n'a pas le temps de s'en inquiéter. Réveillé à l'aube, deux affaires sur le dos : une jeune touriste américaine a été tuée tandis que sa copine est toujours poursuivie dans les rues du Cap par une bande de Noirs et de Blancs - étrange ; un célèbre producteur de musique afrikaans a été retrouvé assassiné chez lui.
Dans les deux cas, la pression monte - diplomatique, médiatique. Le temps presse, la journée va être longue et éreintante. 
Comme si ça ne suffisait pas, Griessel doit jouer les gardes-chiourmes. Il a été chargé par sa hiérarchie de former et de superviser de jeunes enquêteurs, des produits de la discrimination positive et d'une nouvelle politique au sein d'une police par ailleurs minée par la corruption. 
Les "bleus" :
La zouloue Mbali Kaleni se heurte au machisme de ses collègues, qui se moquent de ses rondeurs. Elle n'en a cure et fonce droit devant, pleine d'autorité et de détermination.
Vusi Ndabeni, un Noir plein de bonne volonté, se heurte le plus souvent à l'indifférence, à la suffisance ou au mépris.
Fransman Dekker, un métis à la rage difficilement contenue. Pas assez noir, pas assez blanc, c'est selon.


A travers ces personnages, Deon Meyer donne à voir les tensions ethniques qui parasitent toute la société sud-africaine. Entre zoulous, xhosas, afrikaners, métis... Chacun restant sur son quant-à-soi, englué dans ses préjugés, ses ressentiments, ses incompréhensions et parfois son auto-apitoiement.
Malgré tout, il se montre plutôt optimiste pour l'avenir : les couleurs de l'arc-en-ciel bavent un peu, mais ces hommes et ces femmes, malgré leurs différences et leur défiance mutuelle, parviendront finalement à travailler et à résoudre les problèmes ensemble.

Si chacun des personnages incarne un pan de la société et agit comme révélateur, l'auteur ne s'en sert pas seulement pour servir son propos, mais leur confère une vraie personnalité (comme d'habitude, ai-je envie de dire), à commencer par Benny Griessel, un rescapé (d'un système, d'une bouteille, d'un naufrage conjugal) et un homme de bonne volonté, avec ses faiblesses, ses failles et ses espoirs.

Voilà pour le fond.
Sur la forme, rien de bien nouveau mais une méthode bien rôdée : des histoires qui s'entremêlent savamment et une intrigue millimétrée. Du bon boulot, rondement mené.

Un glissement, cela dit : la chronique sociale est toujours présente, mais il me semble que Deon Meyer s'attèle davantage au suspense, raccourcit ses chapitres, accélère encore le rythme.

Est-ce pour cela que 13 heures me semble un cran au-dessous des précédents ? Sûrement, mais de toute façon on se laisse embarquer une fois de plus, et le plaisir est intact.


13 heures /
Deon Meyer (13 UUR, trad. de l'anglais (Afrique du Sud) par Estelle Roudet. Seuil Policiers, 2010)


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20 septembre 2009 7 20 /09 /septembre /2009 00:00

"Tu sais, Chicano, dans ce bled il ne faut compter sur personne."

Aujourd'hui, onze recours ont été déposés auprès du Conseil Constitutionnel gabonais, en vue d'invalider la victoire d'Ali Bongo - fils du défunt président Omar Bongo - aux dernières élections présidentielles du 30 août. Scrutin litigieux. Soutien discret du gouvernement français au pouvoir en place. Manifestations. Une quinzaine de tués selon un député de l'opposition. Litanie.

Qui sait, le nouveau chef de l'Etat va peut-être accorder une grâce présidentielle à un certains nombre de prisonniers.
Comme celle dont profite Chicano, par procuration : portant quasiment le même nom qu'un co-détenu, il est libéré à sa place ! 
Quatre ans plus tôt, le braquage d'un commerçant libanais avait mal tourné : un mort, deux complices qui se font la malle et lui sur le carreau à payer pour les autres. Alors Chicano ne se fait pas prier et saisit sa chance pour repartir de zéro et mener une vie honnête, à Libreville.

Mais dans un "pays gangréné par la corruption", on ne peut vraiment compter sur rien ni sur personne, et le pauvre Chicano, pourtant pas plus méchant qu'un autre, va l'apprendre à ses dépens. En se faisant d'abord rabrouer par la femme qui ne l'a pas attendu, puis en se laissant entraîner par ses anciens "copains" dans un nouveau casse qui devrait leur rapporter un max : braquer un camp militaire et empocher l'argent sensé payer la garnison.
Ca fait bientôt vingt briques dans la nature, et beaucoup de monde à le renifler, à commencer par les deux flics chargés de l'affaire...


Otsiemi connaît ses classiques et son triptyque braquage-partage-bidonnage est bien servi, avec ce Chicano dans le rôle du mouton qu'on envoie à l'abattoir.
Le style est nerveux et bourgeonne d'expressions locales bien senties. Otsiemi ne se prive pas non plus d'épingler au passage le "népotisme de l'armée gabonaise", "la brutalité de chiens mal nourris" des flics et l'injustice du système, quand on arrête les "petits délinquants pendant que les ouattara vident les caisses de l’État sans être inquiétés."

Malgré cela, je suis un peu resté sur ma faim, déçu que l'auteur n'allonge pas davantage ses 130 pages, en densifiant son intrigue et son propos, d'autant plus qu'il y avait matière à jeter du pavé dans la mare plutôt que quelques ronds dans l'eau (même croupie).


La vie est un sale boulot / Janis Otsiemi (Jigal, 2009)

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14 juin 2009 7 14 /06 /juin /2009 20:06

Au Festival Etonnants Voyageurs, Moussa Konaté racontait cette anecdote : des amis (blancs, c'est important) venus le voir au Mali, faisant du stop après être tombés en panne de voiture, ont constaté que les conducteurs accéléraient à leur passage. Finalement parvenus à destination, ils s'en sont étonnés auprès de Moussa, qui leur a rappelé qu'en Afrique, le blanc est la couleur des esprits. Une blanche au bord de la route, à la nuit tombée qui plus est, avait donc peu de chance de voir une voiture s'arrêter !

Des esprits, il en est aussi question dans cette malédiction du Lamantin. Après L'Empreinte du renard, situé en pays Dogon, Moussa Konaté nous fait découvrir une autre ethnie, les Bozos, surtout présente au Mali. Semi-nomades, ils vivent principalement de la pêche le long du fleuve Niger.

Quand Kouata, leur chef, ainsi que sa seconde épouse Nassoumba sont retrouvés morts, les Bozos invoquent la colère de Maa, l'esprit des eaux.
Le commissaire Habib et son fidèle adjoint Sosso, chargés de l'enquête, se mettent eux à la recherche d'un assassin de chair et d'os.
Le pragmatisme d'Habib, "élevé à l'école des blancs", se heurte rapidement aux superstitions et aux traditions des Bozos - et aussi d'une bonne partie de ses concitoyens -, qui entretiennent un rapport au monde où la magie occupe une grande part.


Konaté sait conter une histoire, et si on peut lui reprocher d'être un peu trop didactique - les dialogues ressemblent parfois à de courts exposés -, ses descriptions et ses observations de la vie quotidienne, des coutumes et des croyances de ses compatriotes (et ceux notamment appartenant à des ethnies au mode de vie traditionnel et séculaire) sont toujours pertinentes.
 
Il montre certaines réalités de son pays : le frottement constant (et plus ou moins grinçant) entre le respect des traditions et une société qui se modernise, l'importance de la religion - ce mélange étonnant d'animisme et d'islam - et des castes, la corruption généralisée qui infeste en premier lieu les rangs de la police...


Lire Moussa Konaté, c'est en quelque sorte un remède contre l'occidentalo-centrisme. Au lieu des pseudo-réponses définitives et simplistes qu'on nous assène si souvent sur l'Afrique, ses romans, eux, donnent à voir, et font naître des questions, que personnellement j'ai plaisir à laisser flotter un peu sous la surface apparente des choses... Sur la part de vérité contenue dans les légendes, sur l'idée de progrès et celle de modernité, associée trop souvent peut-être aux seules capacités techniques et technologiques, sur l'altérité...

Bref, on en ressort un peu moins ignorant et un peu plus ouvert sur le monde. C'est loin d'être toujours le cas, non ?


La malédiction du Lamantin / Moussa Konaté (Fayard Noir, 2009)

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14 avril 2009 2 14 /04 /avril /2009 00:00

On connaît les sud-africains Deon Meyer et L.F. Despreez, le sénégalais Abasse Ndione, le malien Moussa Konate (dont un nouveau roman doit sortir le mois prochain) ainsi que l'algérien Yasmina Khadra et son commissaire Llob. J'en oublie certainement, mais toujours est-il que les auteurs africains de polars ne sont guère nombreux.

On peut désormais ajouter Kwei Quartey, jeune médecin ghanéen désormais installé aux Etats-unis et auteur d'un bon premier roman.


Darko Dawson, inspecteur de la police d'Accra, est chargé de se rendre à Ketanu, un village éloigné au bord de la Volta - en pleine brousse, pour le coup - afin d'élucider le meurtre d'une jeune étudiante qui participait à un programme de lutte contre le sida.
Une enquête particulière pour lui, puisque Ketanu est aussi le village natal de sa mère, disparue 25 ans auparavant dans des circonstances jamais éclaircies.


On repère assez vite les fausses pistes de l'auteur, qui reprend les schémas classiques du roman policier, mais comme souvent avec le polar, l'intérêt est ailleurs. Loin de tout pittoresque, Quartey dresse un tableau en clair-obscur de la société ghanéenne et nous donne un bon aperçu de la vie quotidienne d'un pays tiraillé entre des pratiques ancestrales et l'avènement d'une certaine modernité. En abordant les questions de la polygamie, des liens familiaux, du sida, de la condition des femmes, ainsi que du poids des traditions et des superstitions.

D'ailleurs, Dawson est lui-même le fruit de cette société en pleine mutation. Quand il règle seul et à sa manière un problème domestique sans en discuter avec sa femme, celle-ci lui rétorque : "Tu es censé être un homme moderne et progressiste, en faveur de l'égalité des femmes, tout ça, mais, en fin de compte, est-ce que ce n'est pas cette bonne vieille phallocratie qui pointe le bout de son nez ?".


Un style direct, léger et sans fioritures stylistiques pour une intrigue policière simple et efficace, des personnages bien campés : il n'y a pas grand-chose à reprocher à ce polar, sans grande prétention sur le plan littéraire certes, mais dépaysant, intéressant et agréable à lire. On poursuivra avec un certain plaisir cette exploration de la société ghanéenne, microcosme de l'Afrique noire.


Épouses et assassins / Kwei Quartey (Wife of the Gods, trad. de l'anglais (Ghana) par Michèle Valencia. Payot suspense, 2009)

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24 juin 2008 2 24 /06 /juin /2008 14:03

Après La mémoire courte, paru en 2006, revoilà Louis-Ferdinand Despreez, auteur sud-africain d'expression française (par ses ancêtres huguenots) et son personnage Francis Zondi, de la police de Pretoria.


Ce qui caractérise en premier lieu "Bronx" (il est surnommé ainsi en raison de son passage au FBI), ce sont ses angoisses existencielles : digressions mentales, réflexions sans fin sur la condition humaine, questionnements sur son pays, cette nouvelle Afrique du Sud post-apartheid...
Pourfendeur acharné du crime, doté d'une forte personnalité, empathique, il tente toujours d'analyser le comportement de ses congénères, même s'il déteste par dessus tout la victimisation et le laisser-aller dans lesquels se complaisent ses frères de couleur.
Vous l'aurez compris, la personnalité de Zondi tient pour beaucoup dans les romans de Despreez, qui dresse à travers son personnage un portrait acide et sans concession de la Nation Arc-en-Ciel, encore profondément inégalitaire.


A travers une affaire de kidnapping d'enfants, Despreez nous montre une société sud-africaine en pleine désintégration, en pleine déliquescence morale, où règne un climat délétère, alourdi par les rancunes et frustations des différentes communautés raciales, héritage empoisonné de l'Apartheid.

Avec colère, parfois avec accablement, Despreez dénonce pêle-mêle l'incompétence et l'aveuglement des dirigeants politiques, les préjugés et le racisme latent (qui n'est pas seulement l'apanage des boers), la naïveté des intellos-gauchistes, la bêtise crasse des touristes...


Noir, terriblement violent, dérangeant (d'autant plus que les victimes sont des enfants), politiquement incorrect, cet excellent polar se veut aussi une étude d'une société malade, d'autant plus instructive et pertinente que Despreez évite toute simplification ou raccourci intellectuel mais s'évertue au contraire à restituer la complexité des difficultés que rencontre son pays, pour tenter d'en saisir le sens et d'en comprendre les mécanismes.
C'est son grand mérite.

Extrait :
"son pays bien-aimé s'était laissé prendre au piège de l'autosatisfaction ; tout simplement parce que les noirs avaient été libérés de l'apartheid sans violence, que la planète entière leur avait délivré un satisfecit et leur avait fait croire que toutes leurs souffrances allaient ainsi être effacées d'un coup de baguette magique par Magic Mandela... (...) Et tout le monde s'était alors endormi sur les lauriers de la démocratie bredouillante en se berçant de cette illusion que tous les Sud-Africains étaient devenus des frères de sang inconditionnellement amoureux de leur nouveau drapeau, comme si aucune rancoeur ou aucun malentendu n'avait subsisté."


Conseil(s) d'accompagnement : les romans de Deon Meyer bien-sûr, ainsi qu'un roman paru l'année dernière, Retour au pays bien-aimé, de Karel Schoeman.


Le noir qui marche à pied / Louis-Ferdinand Despreez (Phébus ; coll. Rayon noir, 2008)

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