Avec deux romans traduits en France, l'irlandais Sam Millar a déjà trouvé nombre d'échos favorables parmi les fans de polar. Pour ma part, j'ai peur de ne pas joindre ma voix au concert de louanges, en tout cas en ce qui concerne Redemption factory.
Le roman s'ouvre sur une scène terrible, le calvaire d'un militant de l'IRA accusé de trahison et séquestré par ses pairs. Il n'en réchappera pas.
Vingt ans ont passé. On fait connaisance avec son fils, Paul Goodman. Parce qu'il doit absolument trouver du boulot, ce dernier se présente aux abattoirs de la ville, dirigées par Shank, imposant bonhomme de sinistre réputation et obsédé par l'oeuvre de William Blake.
L'endroit est d'"une horreur à couper le souffle, comme une chapelle Sixtine ensanglantée par des barbares bouillonants de rage dans une hideuse frénésie".
Après avoir réussi son examen de passage (et quel examen...), il est engagé et se fait tant bien que mal au boulot, essayant d'éviter l'inquiétante Violet et au contraire d'approcher Geordie, la jeune femme aux jambes arnachées de métal qui règne sur l'équipe des bouchers.
Paul n'a pas l'intention de passer sa vie à découper de la bidoche, et il compte sur le snooker - une variante du billard - pour le tirer de là. Encore faut-il qu'il soit repéré lors d'un tournoi. En attendant, il passe tous ses moments libres à jouer, en compagnie de son pote d'enfance Lucky.
C'est en allant acheter une queue de billard qu'il fait la connaissance de Philip Kennedy, qui se montre étonnament généreux avec lui. Comme s'il voulait se racheter d'un ancien pêché.
Une atmosphère menaçante et poisseuse peuplée de sadiques sanguinaires : Redemption factory pouvait naturellement prétendre à faire grimper notre taux d'adrénaline, mais ressemble finalement à un mauvais film d'épouvante, d'autant plus que les scènes gore ont tendance à désamorcer la tension déjà faible.
C'est d'autant plus dommageable qu'il faut attendre la moitié du récit avant qu'il ne passe quelque chose de véritablement intéressant, à savoir la relation naissante entre Paul et Geordie, qui donne un peu d'humanité à cet univers lugubre et sans espoir, qui donne aussi du contraste et par conséquent une autre dimension à l'intrigue. Mais le souffle retombe, imperceptiblement, dans ce roman sans réelle densité et qui, surtout, ne parvient jamais à exploiter le thème pourtant central de la rédemption, à le transcender ; la charge émotionnelle reste inoffensive.
Enfin, j'ai le sentiment que l'auteur hésite sans cesse entre différents registres - farce macabre, réalisme, conte gothique -, et le tout donne un patchwork parfois décousu, des motifs et des évocations auxquels je n'ai guère été sensible.
Tout n'est pas raté pour autant, on a droit à quelques scènes marquantes (sacré bain de sang...), et Sam Millar parvient à nous accrocher malgré tout, grâce au rythme qu'il imprime au récit et aux métaphores qui le colorent agréablement - bien que certaines laissent perplexe ("Lucky poussa un cri terrifiant, comme celui d'un chien que l'on coupe en deux."), et que les "comme" et "comme si" polluent les premiers chapitres.
Si bien qu'on se laisse porter sans déplaisir jusqu'au dénouement - par ailleurs assez prévisible, mais c'est peu, trop peu à mon goût pour sauver ce roman.
Allez plutôt voir du côté de Jack O'Connell pour l'aspect gothique, de J.C.Ballard pour le bizarre, de Ted Lewis pour le climat de violence âpre.
Allez aussi voir du côté de Jean-Marc et Cynic, pour les avis contradictoires.
Redemption factory / Sam Millar (Redemption factory, 2005, trad. de l'anglais (Irlande) par Patrick Raynal. Fayard Noir, 2010)