« si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi... Et si ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi... ». (Evangile de Saint Matthieu)
Entre les Ecritures et l'écriture, Brian Evenson a dû choisir. Rejeté par la communauté mormone, il a choisi la seconde option. Tant mieux pour nous.
L'auteur, présent au Festival America de Vincennes en septembre dernier, expliquait que les choses s'étaient "un peu arrangées" depuis - il revoit ses enfants régulièrement et son ex-femme lui adresse même la parole ! - même s'il évite d'évoquer ses romans et son travail avec sa famille. Tant mieux pour lui.
Il faut dire que ses textes sont loin d'être "inoffensifs" ; lui-même confie qu'il était le premier choqué en écrivant La Confrérie des mutilés. D'ailleurs, ce roman publié en France l'année dernière, dans l'excellente collection Lot49, vient seulement de paraître aux Etats-Unis.
Kline, détective privé, s'est fait sectionner la main par "le gentleman au hachoir", avant de cautériser lui-même sa plaie (sur un réchaud !) et de lui tirer une balle dans la tête.
Fascinée par cet "exploit", une secte de mutilés volontaires, au terme d'un débat théologique, le charge d'élucider le meurtre du dénommé Aline, le fondateur de leur communauté. Mais Kline a... les mains liées et l'enquête est un simulacre : on ne le laisse pas interroger les témoins ni voir le corps, et la scène de crime n'est qu'une reconstitution !
Au sein de cette confrérie où la hiérarchie des fidèles dépend du nombre de mutilations, on assistera, entre autres à une "fête d'amputation" (ou pince-fesses au hachoir...) et à une séance de streap-tease, intégral pour le coup !
Naviguant entre l'absurde de Beckett ou de Kafka et l'horreur de Poe, on est littéralement happé par ce roman pour le moins atypique, où l'épouvante le dispute à l'humour noir.
Grotesque, grinçant, drôle, sanguinolent, La Confrérie des mutilés tient à la fois du polar, du roman gothique, du conte (cruel). La prose sèche et affûtée (ok, facile...) sert parfaitement l'histoire, installant une tension qui ne faiblit à aucun moment du récit.
Bien-sûr, on peut voir dans cette allégorie une attaque en règle contre les mouvements sectaires, les églises et toute forme d'embrigadement. Mais plus qu'un pamphlet, il s'agit surtout du combat d'un individu qui refuse de suivre les chemins que d'autres ont tracé pour lui, et de se plier aux dogmes, poussés ici jusqu'à l'absurde.
Un ovni littéraire. Incisif, inspiré, novateur.
La Confrérie des mutilés / Brian Evenson (The Brotherhood of Mutilation, 2006, trad. de l'américain par Françoise Smith. Le Cherche-Midi, Lot 49, 2008)