En villégiature dans les Alpes italiennes, la commissaire Simona Tavianello s'apprête à gâcher ses vacances et celles de son questeur de mari, embringuée malgré elle au milieu d'une bataille opposant un échantillon d'écolos radicaux à une entreprise de bio-technologie, accusée de décimer les colonies d'abeilles de la vallée, victimes du Colony collapse disorder (1).
« Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre ». Que le présage soit ou non d'Albert Einstein, les abeilles ont un rôle primordial au sein de l'écosystème. Afin de vous épargner de brillantes mais néanmoins fastidieuses explications scientifiques (sic), je résumerais les choses ainsi (bien pratique, les syllogismes...) :
L'homme a besoin des plantes pour vivre
Les plantes ont besoin des abeilles pour les féconder
[donc] L'homme a besoin des abeilles.
A défaut d'échapper à la caricature - bons écologistes d'un côté et industriels cupides et pollueurs de l'autre (encore que Monsanto, pour ne prendre que cet exemple, est en soi une caricature) -, Quadruppani pose avec raison la question de la marchandisation du vivant et de l'éthique technologique, dans un monde où la recherche du profit supplante bien souvent l'intérêt commun, égratignant au passage les excès de la politique anti-"éco-terroriste" et la collusion Etat/multinationales.
Sa réponse est plutôt cocasse et (Attention ! éloignez les enfants, prévenez le Medef, chaussez vos tongs UMP...) discrètement subversive, à moins de ne pas distinguer l'allégorie de l'abeille ouvrière désertant la ruche et laissant la reine en plan...
On pourrait rétorquer qu'avant d'étaler ses théories politico-économico-gauchisantes, un roman se doit d'abord d'être bien écrit. Ca tombe bien, il l'est, et mêle agréablement légèreté de ton et sujet de fond. D'une prose fluide et sinueuse que d'aucuns trouveront aprêtée, d'autres simplement élégante : reste qu'on ne trouve pas à tous les coins de gondoles un auteur capable de manier l'ironie ou l'anastrophe (je viens de m'abonner à Figures de style magazine) avec autant d'aisance.
Ajoutez encore une bonne dose d'hédonisme (l'amour de la bonne chair et des rondeurs féminines) un soupçon de libertinage et une jolie brochette de personnages secondaires, ingrédients déjà généreusement présents dans Saturne, premier volet des aventures de la Tavianello (2).
En parlant de tête de gondole, rappelons au passage - ça ne coûte rien - qu'il n'est pas interdit de réfléchir lorsqu'on lit un polar, en plus de se divertir.
La disparition soudaine des ouvrières / Serge Quadruppani (Ed. du Masque, 2011)
(1) ou "syndrôme d'effondrement des colonies d'abeilles", phénomène encore inexpliqué et d'ampleur endémique qui ne laisse pas d'inquiéter la communauté scientifique. Mr Wikipédia vous fournira volontiers quelques renseignements de base, ici.
(2) les séances gastronomiques ou les revigorantes disputes conjugales de Simona rappellent évidemment celles de Montalbano, le personnage de Camilleri dont Quadruppani est le traducteur en France.