Play Misty for me, répète inlassablement Jessica Walter à Clint Eastwood dans le film éponyme (Un frisson dans la nuit, en version française), avant de l'entraîner dans sa folie meurtrière.
Habile variation (et autre conclusion) autour du même thème, Lazy Bird est le huitième roman - premier publié en France - de l'auteure québécoise Andrée Michaud.
Bob Richard a traversé la frontière du Québec pour s'installer à Solitary Mountain, une petite ville du Vermont, où il a été engagé comme animateur de nuit par une radio locale.
Richard est un type solitaire au passé douloureux, ayant toujours vécu un peu en marge, peut-être pour fuir le regard insistant des gens, intrigués par cet homme à la peau si blanche. Pas de famille ni de véritable ami, si ce n'est le souvenir d'un chien. Aucun dépit chez lui. Il vit comme il l'entend, et puis de toute façon il ne peut rien contre son albinisme.
"Play Misty for me, Richard". Lorsque qu'une femme lui demande de jouer le standart d'Erroll Garner, il pense d'abord à une blague, mais la voix qu'il vient d'entendre n'est "pas celle d'une fille qui plaisante". Menacé, épié, Richard commence à paniquer.
Qui est Misty ? June, Freda, Sally, Elsie, Tina, Sarah ? Laquelle est-ce, parmi toutes ces femmes maladivement seules de Solitary Mountain, dont on ne sait jamais jusqu'à quelles extrémités vont les pousser leur chagrin, leur ressentiment et leur frustration ?
Si Lazy Bird ménage le suspense et fait monter graduellement la tension jusqu'à l'accélération finale, on se laissera plutôt porter par la voix et le débit d'André Michaud, qui aux raccourcis habituels du page-turner préfère emprunter les méandres et les longues boucles, multipliant descriptions et digressions, s'attardant sur le ressenti et les pensées des personnages, flânant au bord d'une rivière, évoquant telle chanson ou tel film.
On prend le temps d'humer l'atmosphère confinée de la petite ville, de faire connaissance avec ses habitants, avec sa faune (dont un mystérieux chevreuil, albinos lui aussi), de rencontrer quelques beaux personnages, comme Charlie the Wild, un ermite ("...l'être le plus civilisé qu'il m'ait été donné de rencontrer") tout droit sorti d'un roman de Jim Harrison, ou Lazy Bird, la jeune protégée de Richard, qui a "appris à vivre en donnant des coups de griffes ou des coups de pied pour se réfugier aussitôt dans une espèce de Disneyland où Donald Duck écoutait du Led Zeppelin en déjeunant."
Alors, selon ses goûts ou son humeur du moment, on soupirera d'impatience ou on se laissera bercer par son flot de paroles, au rythme de la musique, omniprésente, celle des Doors, et du jazz surtout - Charlie Parker, John Coltrane et beaucoup d'autres.
Dans tous les cas, le roman d'Andrée Michaud nous rappelle aussi qu'en matière de polar, le Québec a de beaux (et trop méconnus) arguments à faire valoir. Et quand ils sont de cette qualité-là, on en redemande.
Lazy Bird / Andrée A. Michaud (Québec Amérique, 2009. Seuil, 2010)