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29 janvier 2009 4 29 /01 /janvier /2009 00:00

"C'est une longue et triste histoire. Non. C'est une longue histoire comique et ridicule".


Mario Alvarez, ancien professeur d'anglais (et amateur de Chandler et d'Hammett), vient d'arriver à La Paz, avec en poche quelques pesos, quelques grammes d'or et une obsession : obtenir un visa de tourisme pour aller voir son fils en Floride... et y rester.
Vêtu de son plus beau costume, il se rend au consulat américain, muni de fausses attestations de ressources. Mais une fois sur place, il panique et s'enfuit avant même d'avoir plaidé sa cause, persuadé qu'il va être démasqué.
A partir de ce moment, Mario va tenter par tous les moyens détournés d'obtenir le précieux sésame.

Arpentant les rues de La Paz, il va croiser sur sa route une ribambelle d'individus plus ou moins recommandables, chacun éclairant un pan de la société bolivienne et de son histoire. Député véreux et gonflé d'orgueil ajustant ses convictions politiques au pouvoir en place, qu'il soit dictatorial ou démocrate, poétesse renommée se lamentant sur la perte de l'accès à l'océan Pacifique, mais aussi escroc arnaquant les candidats au rêve américain, trafiquants de drogue, travestis achetant leur tranquillité aux agents de police...


Des hauteurs de La Paz, où s'entassent dans la promiscuité et la pauvreté le petit peuple - vendeurs ambulants, prostituées, artisans, indiens, garçons de café... - aux beaux quartiers où se retrouvent aristocrates et gens de pouvoir, la visite est éloquente. Déjà terminée qu'on n'aura pas vu le temps passer.

Notre guide s'appelle Juan de Recacoechea, né à la Paz en 1937 et journaliste en Europe durant de nombreuses années. Aucun pathos ni jugement de sa part, il donne simplement à voir.
Avec humour et philosophie, jamais pontifiant, il nous dit d'une voix enjouée les injustices et les contradictions de son pays, malgré le dépit et l'agacement qui pointent parfois au détour d'une phrase.
Prenant tour à tour les intonations du roman noir ou les accents du chroniqueur social, il nous raconte, à travers celle de Mario, l'histoire de la Bolivie contemporaine et en grande partie celle de l'Amérique latine, notamment dans ses rapports complexes (...d'infériorité, souvent) avec le voisin nord-américain.

Les Etats-Unis comme eldorado ? Non, plutôt la seule voie pour échapper à la misère et aux horizons bouchés dans un pays où la naissance est un facteur déterminant, où les classes sociales sont solidement délimitées. Voilà à quoi tente de se soustraire - maladroitement - Mario, antihéros attachant, mélange de Candide et de K., le personnage du Procès de Kafka.

American visa est l'histoire d'une chimère, et l'un de ces beaux romans sud-américains qui mêlent si bien la farce et le drame.


American visa / Juan de Recacoechea (American visa, trad. de l'espagnol (Bolivie) par Isabelle Gugnon. Ed. Panama, 2008)

PS : aux dernières nouvelles, ça va plutôt mal pour les éditions du Panama, actuellement en redressement judiciaire. A suivre...

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