Considéré par les amateurs comme une figure de la SF actuelle (cf par exemple le n°61 de la revue Bifrost), Thierry Di Rollo fait une incursion dans le polar, tout en nous projetant dans un futur proche.
2022, second tour des élections présidentilles. Les sondages donnent vainqueur Saulnier, du parti d'extrême-droite Le Franc, devant Mautremont, le candidat sortant social-démocrate.
Le dénommé Mornau n'a aucun doute sur l'issue du scutin. Il connaît l'avenir, il y a contribué. C'est ce qu'il est en train d'expliquer au "petit inspecteur" qui vient de l'arrêter sans qu'il n'oppose de résistance. Son enrôlement au Franc comme porte-flingue, le maniement des armes, son apprentissage auprès de Brunard, la tête pensante du parti. La façon dont les idéologues du parti ont manoeuvré pour s'emparer du pouvoir, provoquant successivement l'échec du "Petit" puis d'une gauche timorée.
Comme tout roman d'anticipation sociale, Préparer l'enfer décrit un futur éventuel en s'appuyant sur le présent. Une façon pour Di Rollo de nous alerter concernant la propagation de la vidéo-surveillance (qui trouve habilement son apogée à la fin du roman, quand c'est l'individu lui-même qui épie et dénonce son voisin), la lente érosion des libertés individuelles, et surtout la banalisation de l'extrême-droite.
Banalisation en bonne marche d'ailleurs, il suffit d'observer comment, depuis quelque temps, la Présidente du Front national gagne en respectabilité parmi les médias et la population, comment elle polit son image de présidentiable, en signifiant son exclusion à un jeune conseiller du parti pris en flagrant délit de salut nazi ou en déclarant personæ non gratæ les skinheads pour le cortège du défilé du 1er mai.
Di Rollo approfondit encore sa réflexion, et développe un concept tout à fait intéressant de "démocratie ajustée" : "Réduire les libertés progressivement et, en même temps, ne jamais compromettre l'esprit de contestation, le laisser vivre pleinement. Les masses laborieuses, ou plutôt ce qu'il en reste, continuent de protester, de réclamer le maintien de leurs droits, sans se rendre compte un seul instant que ces mêmes droits s'amenuisent par petites touches, à la faveur de réformes a priori indépendantes, mais finalement conjuguées. Réduire la liberté, donner l'illusion qu'elle est intacte parce qu'on peut encore se battre pour la conserver, lier ce bouillonnement social avec la coercition et la culture de la peur. Et la paranoïa sécuritaire. Vous comprenez ?"
Reste que la trame romanesque est aussi mince qu'un bulletin de vote (certains épisodes - la jeunesse morne de Mornau, son amour à sens unique pour une voisine, leurs jeux dangereux - n'apportant que peu de matière et de sens), et laisse finalement place à un roman à thèse. Roman salutaire, néanmoins.
Préparer l'enfer / Thierry Di Rollo (Gallimard, Série Noire, 2011)